Doutes sur la capacité de la Cédéao à «reconquérir» le Nord-Mali : La «défection» de l’Algérie fait grincer des dents

Doutes sur la capacité de la Cédéao à «reconquérir» le Nord-Mali : La «défection» de l’Algérie fait grincer des dents

par Salem Ferdi, Le Quotidien d’Oran, 30 septembre 2012

Trois mois après les destructions de mausolées à Tombouctou, des djihadistes islamistes qui contrôlent le nord du Mali ont repris, hier samedi, leur hargneuse besogne contre un autre mausolée à Goundam, à 90 kilomètres de Tombouctou.

Le Premier ministre malien a estimé que seul le MNLA est éligible au dialogue et affirme que la participation de l’Algérie et de la Mauritanie est «incontournable». Les officiels français disent officieusement que la «défection» de l’Algérie leur pose problème.

Comme lors des précédentes destructions, un djihadiste filmait la scène pendant que ses acolytes s’attaquaient à coups de hache au mausolée. Les djihadistes imposent leur ordre moral à la population à travers des actions choquantes de destructions de symboles religieux, de lapidations, de flagellations et d’amputations. Ces actions «héroïques» sont mises en exergue par le chef du gouvernement malien, Cheick Modibo Diarra, pour demander un soutien rapide du Conseil de sécurité à une intervention militaire. Sujet évoqué mercredi, à New York, et où des réserves ont été exprimées par Hillary Clinton et Ban Ki-moon malgré l’appel pressant du chef de l’Etat français, François Hollande, à une intervention rapide. «Chaque jour qui passe, nous avons davantage de mutilations, d’amputations, de viols, d’actes de barbarie dans le nord de notre pays», a déclaré au journal le Monde, Cheick Modibo Diarra, en affirmant que dès que la résolution sera adoptée, «la plupart de ces malfrats et bandits essaieront de s’échapper avant même que les choses sérieuses commencent. Seuls les plus endurcis resteront». Une vision qui semble trop optimiste alors que la force de 3.300 hommes de la Cédéao n’existe qu’en théorie et que le souhait de voir l’armée malienne se retrouver «en première ligne» est d’une réalisation des plus aléatoires. Sans compter que l’unanimité en faveur de l’intervention n’existe pas au Mali lui-même comme en témoigne la manifestation organisée, vendredi, par des groupements proches des putschistes.

MODIBO DIARRA : «L’ALGERIE ET LA MAURITANIE «INCONTOURNABLES»

Sur l’idée de dialogue, Modibo Diarra estime que seul le MNLA est susceptible d’être un interlocuteur, mais il «ne représente que 10%» de la population au Nord et n’est plus présent militairement. Pour lui, Ançar Eddine est dans la définition du terrorisme et ne peut être concerné par le dialogue. «Les pays qui parlent de négociations nous ont fait perdre du temps. Six mois après, un millier de terroristes dotés d’armes sophistiquées se sont installés. Cela n’a rien à voir avec les revendications de petits groupes dissidents du Mali», a déclaré Modibo Diarra en soulignant que le Mali et la Cédéao joueront un rôle-clé «mais il faut aussi inviter des pays du champ, tels que l’Algérie et la Mauritanie dont la participation est incontournable, des amis, comme le Maroc ou le Tchad». Revenant une nouvelle fois sur l’Algérie et la Mauritanie, le Premier ministre malien estime leur participation «incontournable». Selon lui, la question «n’est pas de savoir qui est pour ou contre une intervention. Chacun dans cette affaire a son opinion». C’est pourtant la question centrale. La Cédéao est censée apporter une contribution de 3.300 hommes pour aider une armée malienne qui n’est pas au mieux de sa forme et qui a besoin d’un travail, long, de restructuration. L’insistance sur le rôle «incontournable» de l’Algérie et de la Mauritanie est clairement envisagée sous l’angle d’une intervention militaire. Or, l’Algérie est, officiellement, plus que réservée à l’idée d’une intervention. Et même si cette intervention était adoubée par le Conseil de sécurité, il est peu probable que l’Algérie déroge à son attitude de non-intervention de l’armée algérienne hors du territoire national.

RECRIMINATIONS

Cette «défection» de l’Algérie comme s’est permis de l’écrire un journal français suscite des récriminations d’officiels anonymes français sur l’attitude «ambiguë» de l’Algérie, sur sa politique au Sahel assimilable «à de la bienveillance envers le terrorisme !», sur son «manque de transparence» et sa propension à aller plus vers «une sorte de pacte de non-agression avec AQMI que son éradication». Dernière pique en date, liée à des informations sur la présence de deux «Franco-Algériens» dans les rangs d’Aqmi : le DRS algérien ne s’occupe pas beaucoup de la «chasse aux Franco-Algériens ou aux Français au sein d’AQMI»… Cette accumulation des critiques exprime-t-elle la crainte des Français de devoir, en raison de la «défection algérienne» aller au charbon directement ?

C’est une lecture possible et elle en dit long sur la «confiance» qu’ont les Français sur les capacités de la force de la Cédéao de pouvoir réellement faire le travail de «reconquête». En tout état de cause, cette intervention des forces de la Cédéao mettra encore des mois à se mettre en place. Il lui faut avoir l’approbation du Conseil de sécurité et ensuite la mettre en place sur le terrain dans un contexte d’instabilité politique à Bamako avec des putschistes «ex» qui n’en finissent pas de se rappeler au bon souvenir d’un pouvoir officiel faible.


Confusion à Bamako sur fond de bruit de bottes

par Kharroubi Habib, Le Quotidien d’Oran, 30 septembre 2012

Au Mali, il existe indubitablement un consensus national, populaire, politique et gouvernemental sur le refus de la partition du pays suite à la rébellion touareg au Nord et à la prise de contrôle ensuite de cette région par des groupes armés islamistes, et sur l’urgence d’agir pour y mettre fin. Mais c’est la cacophonie à Bamako s’agissant de l’option à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif. Celle de l’intervention militaire sous la forme d’opérations qu’entreprendrait l’armée malienne que viendrait épauler une force constituée de contingents militaires d’Etats membres de la CEDEAO officiellement entérinée par le président de la transition Dioncounda Traoré, soulève des vagues au motif qu’elle enclencherait un engrenage attentatoire à la souveraineté nationale du Mali.

Les moins enthousiastes pour l’option endossée par Dioncounda Traoré et le gouvernement sont les militaires maliens ou du moins leurs éléments dont le coup d’Etat contre le président constitutionnel du pays A.T. Touré a précipité le pays dans le chaos où il se trouve. Leur opposition trouve du répondant dans la population de Bamako comme l’a démontré la manifestation anti-intervention étrangère de vendredi, mais aussi au sein de la classe politique et même au gouvernement de transition. L’option officielle adoptée par les autorités maliennes a aussi ses détracteurs à l’étranger, des pays frontaliers avec le Mali dont l’Algérie et d’autres de la communauté internationale qui ne sont pas convaincus que la force militaire combinée envisagée sera en mesure de reprendre le contrôle du Nord-Mali et d’en chasser les groupes armés islamistes. Ils craignent au contraire que l’intervention se traduira par l’extension du chaos à toute la zone sahélienne et pour des Etats voisins du Mali à sa contamination de leurs propres territoires limitrophes.

Pour autant, les adversaires de l’option choisie par les autorités maliennes ne prônent pas le statu quo dans la crise malienne. Et n’ont aucune sympathie pour les groupes islamistes qui occupent le Nord-Mali ainsi qu’ils sont sournoisement accusés par les parties pro-interventionnistes. Ils sont tout autant déterminés à contribuer à «crever l’abcès» de la crise malienne. Mais en soutenant une autre approche qui est qu’il faut d’abord régler l’aspect malo-malien de cette crise : ce qui passe par une remise en ordre institutionnelle à Bamako et au sein de l’institution militaire du pays à qui revient la défense de la souveraineté nationale du Mali et de son intégrité territoriale, mais aussi par un dialogue en parallèle avec les représentants divers de la population au Nord y compris celle qui a pris fait et cause pour la rébellion targuie. L’on est loin de vouloir aller dans ce sens à Bamako et la situation confuse qui y règne arrange les desseins des puissances et forces qui poussent à l’intervention étrangère à laquelle ils assignent des objectifs qui vont au-delà de la seule restauration de l’unité territoriale du Mali.

Parce que l’Algérie est le pays du champ dont la prise de position anti-interventionniste a un effet entraînant sur la scène régionale et internationale par la pertinence de la logique des arguments qu’elle avance pour la défendre, elle est la cible d’une campagne diplomatico-médiatique visant à sa neutralisation. Tout est mis en œuvre à cet effet : du mensonge le plus manifeste en passant par l’interprétation la plus abusivement fausse des déclarations officielles algériennes, jusqu’aux rumeurs les plus extravagantes sur les prétendus conflits politiques internes qu’alimenterait la position des autorités algériennes. Le tout escompté est de contraindre l’Algérie à donner sa caution à une opération qui pue un retour en force de la «Françafrique». Cette politique qui fait tant de mal au continent africain.