Témoignage de Merouane Benahmed

Témoignage de Merouane Benahmed

Recueilli en prison en 2003, transmis à Algeria-Watch en mai 2006

Voici mon histoire avec la démocratie d’aujourd’hui dont la vitrine est la Justice et les droits de l’homme et l’envers du décor l’injustice, la tyrannie et le commerce des personnes dans l’intérêt des politiques et sacrifiées …
(…)
Dès le début des évènements en Algérie, le peuple craignait pour sa sécurité et il avait le choix entre être tué, banni ou emprisonné, si par bonheur l’emprisonnement lui était échu. A cette époque là, il n’y avait pas de distinction parmi les tués (membres du FIS ou non). Le meurtre a été utilisé pour servir l’intérêt du pouvoir en créant une situation de terreur. Pour ma part j’ai été l’un de ceux qui ont fui. Si la fuite est désignée par un autre terme, alors je fais partie de ceux-là. Si le fait de rester en attendant de se faire tuer est raisonnable, alors je ne suis pas raisonnable.

En 1994, mon frère qui n’avait pas encore atteint l’âge de 17 ans a été assassiné ainsi qu’une dizaine de personnes.

A Khemis-Miliana, 17 personnes ont été tuées par les commandos parachutistes de Meftah, à la fin de la journée, une semaine après le mois sacré du Ramadhan. Cela s’est passé un samedi (jour du marché) au Souk el-Haddiyyah. Ils ont pris huit personnes de ce marché et ils les ont tuées tandis que nous étions témoins de cet acte lâche. Nous avons alors inhumé les victimes dans une fosse commune car elles étaient dans un tel état que l’on ne pouvait les distinguer les unes des autres. Aujourd’hui, elles sont comptabilisées au nombre des disparus. Pour ne pas allonger mes propos, je n’évoque pas d’autres évènements car ils sot nombreux.

Puis vint le tour des massacres de masse car les meurtres par quinzaines ne suffisaient plus à servir les intérêts de façon efficace.

En 1995, ce régime mis au point une autre politique. Il a changé ses plans en agissant sous le parapluie du GIA. En 1996, à Wadi Bda, situé dans la wilaya de Ain Defla, 84 personnes ont été assassinées et si Dieu ne nous avait pas permis d’être présents, le nombre de victime eût été plus important et cela, plusieurs habitants de la région peuvent en témoigner. La plus grande catastrophe est la boucherie de Relizane avec 400 personnes massacrées: parmi elles, des femmes et des enfants. Et cela fut organisé avec le consentement du maire de la commune de Relizane. Tout le monde est témoin de cela. (…)
Je n’affabule pas en parlant de ces évènements et Dieu seul sait combien j’en ai vu.

Fin 1997, nous avons entendu parler de la „trêve“ entre le régime et l’AIS (Armée islamique du salut). Mais celle-ci n’a pas été annoncée officiellement par les deux parties par le biais des médias. Nous nous sommes alors mis à douter de ce qu’allaient faire apparaître ces promesses. Pour résumer, cette „trêve“ consistait en un cessez-le-feu des deux parties et l’octroi de zones sûres ainsi que de la liberté de mouvement pour les combattants opposés au régime. J’ai observé cette „trêve“ de mes propres yeux et j’ai su qu’il s’agissait d’un écran de fumée pour dissimuler la tuerie et la traîtrise. A titre d’exemple, dans la zone de Oued Rhiou, l’armée a laissé un groupe de l’AIS descendre de ses caches et, après quelques jours, l’armée les a encerclés, en envoyant deux hélicoptères de transport de troupes par surprise. Il y eut 21 combattants de l’AIS assassinés lâchement. Et il y a eu plusieurs dizaines de scénarii de ce genre.

Après cela, je décidai d’émigrer et de laisser les lieux à ceux qui en ont hérité. Fin 1999, j’étais au centre des réfugiés algériens de Melilla, l’enclave sous souveraineté espagnole, située au nord du maroc.

A l’été 2000, je suis parti vers Madrid pour rencontrer une avocate en vue de l’obtention de papiers. Ma situation financière était très délicate. Je décidai alors de partir pour la France chez mon frère. J’ai donc demandé l’asile territorial. En janvier 2001, j’ai reçu un titre de séjour provisoire de 3 mois puis peu après, j’ai reçu une lettre de notification de rejet de l’asile. Un mois plus tard, je recevais une autre lettre m’indiquant que je pouvais formuler un recours, chose que je fis au mois de juin 2001.
Pour résumer, je dirai que je fais partie de ceux qui se sont trompés quant au titre de pays des droits de l’homme dont se targue la France. (…)

Je me trouvais ainsi [fin décembre 2002] en garde-à-vue, comme si j’avais été aux mains des autorités algériennes, étant donné que je suis considéré comme l’un des chefs „islamistes“ qui ont combattu ce régime injuste, dont le monde entier a pu témoigner. Au cours de cette garde-à-vue, l’un des enquêteurs m’a dit mot pour mot que „le GIA avait eu raison de frapper la France car il savait parfaitement que nous sommes [la France] derrière le régime en Algérie“. Et cela est bien vrai.

Le but de l’interrogatoire était de m’obliger à déclarer que j’étais venu en France pour commettre un acte terroriste. Tous les pays ont sacrifié leurs offrandes sur l’autel du 11 septembre. Il fallait bien que la France aussi offre quelque chose, surtout en cette période de fêtes et de célébrations de la fin de l’année civile. Ils ont donc utilisé la politique de la carotte et du bâton. Ils m’ont d’abord dit: „fais comme telle personne et nous libérerons ta femme“. Puis ils m’ont menacé de nous livrer mon épouse et moi aux autorités algériennes car ils savaient pertinemment bien que nous sommes tous les deux recherchés en Algérie. Puis, lorsque j’ai refusé toutes leurs propositions leur chef Bruguière m’a dit: „tu as deux jours sinon on t’envoie directement en Algérie et nous savons très bien quel sera ton sort là-bas [mon élimination]“.

En ce qui concerne les violences exercées à mon encontre, j’ai été attaché les mains derrière le dos et ils me donnaient de violents coups de poings, de genoux et de pieds. Ils étaient en face de quelqu’un qui leur ressemblait anatomiquement mais pour le reste n’avait aucun point commun avec eux. Pendant ce temps, le téléphone ne cessait de sonner pour donner des nouvelles destinées à noircir les journaux et déverser leur propagande à la radio et à la télévision. Je finis par leur dire: „si vous voulez que je vous dise que j’ai participé aux évènements du 11 septembre, je suis prêt à le faire“. Ils répondirent: „non, nous voulons quelque chose en France“. Je rétorquai: „parlez moi d’une quelconque action en France et j’en reconnaîtrai la responsabilité“. Puis je n’ai pas su quoi dire. Si je voulais libérer ma femme, il fallait que je forge un quelconque scénario concernant cette action mais je ne fais pas partie des gens qui ont l’habitude de regarder des films policiers.

Pour ce qui est des coups, ils ont failli me briser la main droite, ils m’ont tuméfié les deux yeux et m’ont donné de violents coups à l’abdomen. Puis ils ont fait venir un médecin. J’ai alors songé au miel mélangé au poison: la torture mélangée aux droits de l’homme. Quand je leur ai demandé s’ils voulaient que je leur dise que lorsque je me suis rendu en Georgie j’avais rencontré des Tchétchènes, ils m’ont répondu oui. Je leur ai alors fait des déclarations dont je ne me rappelle plus très bien le contenu. Ils ont obtenu ce qui leur convenait et cela en échange de la libération de mon épouse. Ils ont alors soupesé ces paroles et ont conclu qu’elles correspondaient à ce qui convenait à leur politique et leurs intérêts. Peu après, vint une femme cagoulée (je pense qu’elle était une américaine des Etats-Unis) qui a répété les mêmes questions concernant mes rencontres avec les Tchétchènes.

Concernant les objets qui ont été trouvés dans le domicile que j’occupais, je ne savais pas qu’il était interdit aux arabes de posséder des composants électroniques, une caméra vidéo ou un ordinateur. Même ma montre Casio a été l’objet de certains articles de journaux. Naturellement, en prison, j’ai une montre, Indiglo, est-ce aussi interdit? Je ne le sais pas.
Pour ce qui est des deux flacons, les enquêteurs savent parfaitement à quoi sert le perchlorure de fer. Il est utilisé en électronique. Ils ont trouvé en ma possession des composants électroniques et un flacon d’environ 250 ml (utilisé pour dessiner les circuits électroniques). Cela se vend dans n’importe quel magasin électronique. Quant au second flacon, il s’agit d’un médicament pour les oreilles appartenant à ma femme et que j’ai obtenu auprès d’une médecin qui exerce dans la ville de Stains, derrière le marché. S’ils veulent s’en assurer, ils peuvent le faire aisément.

A propos des composants électroniques lesquels ils ont prétendus qu’ils étaient cachés à l’intérieur d’un lave-linge, en voici l’anecdote: pendant l’enquête et après 3 jours d’efforts, il leur fallait trouver au moins un minimum d’éléments sur lesquels s’appuyer. Après m’être rendu en leur compagnie au domicile que j’occupais, juste avant d’en sortir, j’ai remarqué l’un d’entre eux qui n’avait pas le même aspect. C’était un spécialiste en électronique et j’ignorais pourquoi il était venu avec eux. Lors de notre retour au domicile, ils ont exécuté le même travail de destruction au lieu de recherches minutieuses (auxquelles on s’attendrait s’il y avait quelque chose à trouver). Après cela, à la dernière minute, comme par hasard, une femme a fait mine de trouver ce fameux composant électronique. J’ai alors songé aux films policiers.

Au sujet des composants électroniques, je dis qu’ils les avaient saisis dès mon interpellation ainsi que l’ensemble des autres objets. Au troisième jour, ils sont revenus avec moi à la maison en faisant mine de les avoir trouvés seulement ce jour-là. Cela est faux et on peut se demander pourquoi ce spécialiste n’était pas présent au premier jour?

A propos de la combinaison, lorsque j’en ai entendu parler, j’ai pensé que j’étais peut-être l’un des chercheurs du Président irakien interrogés actuellement par les inspecteurs de l’ONU. Je n’ai jamais eu connaissance de l’existence d’une telle combinaison, je croyais qu’il s’agissait d’un simple treillis militaire. Il se trouvait parmi d’innombrables vêtements. En effet, le propriétaire du domicile perquisitionné possédait une dizaine de cartons d’un volume de 1 m³ environ, remplis de vêtements divers.

En conclusion, je dirais que j’ignore si j’ai été arrêté sur la base de mon parcours en Algérie ou si je suis victime d’une sinistre machination pour de sombres intérêts. En réalité, après le 11 septembre, l’Algérie a envoyé de nombreux dossiers parmi lesquels celui qui me concerne.