Lettre de Me Coutant Peyre au Président A. Bouteflika à propos de l’affaire M. Benyamina

Monsieur Abdel Aziz Bouteflika
Président de la République
algérienne démocratique et populaire
Palais du Gouvernement
Alger – Algérie

Paris, le 15 juin 2006

Affaire : M’Hmed Benyamina

Monsieur le Président,
Jadis la République algérienne tenait fièrement le rôle de chef de file de l’organisation des pays non alignés, sous l’impulsion de son jeune ministre des affaires étrangères, le plus brillant de sa génération . Et aujourd’hui dans quel camps se trouve-t-elle, alors que celui-ci en est devenu le Président ?
Le 9 septembre 2005, Monsieur M’Hamed Benyamina, époux d’une française, Nadia Benyamina, et père de quatre enfants de nationalité française, demeurant en France, était arrêté arbitrairement par les services de sécurité algériens à l’aéroport d’Oran, alors qu’il s’apprêtait à rentrer chez lui après avoir rendu visite à ses parents en Algérie.
Or, Monsieur Benyamina ne faisait l’objet d’aucune procédure en Algérie, ni d’aucun mandat d’arrêt émanant de la France, comme le confirmait le Parquet français lui-même.
Cette arrestation qui a donc un caractère arbitraire, a été suivie d’une séquestration accompagnée de mauvais traitements. Elle est intervenue à la demande de services spéciaux français, hors tout cadre légal ou ordre des autorités constituées, se servant de la complaisance de leurs affiliés algériens.
M’Hamed Benyamina était libéré début mars 2006 mais à nouveau incarcéré le 2 avril suivant, toujours en Algérie, encore sur demande illégale des services français, faute de mandat d’arrêt ou de demande d’extradition.
Avocat français, désignée par l’épouse de M’Hamed Benyamina, aux côtés de mes confrères Amine Sidhoum et Med Salah Djemaï, je suis très troublée de ce que je lis dans le quotidien algérien « Liberté » du 18 avril 2006.

En effet, à l’occasion d’un article évoquant la nouvelle incarcération de M’Hamed Benyamina, il était relaté qu’après sa libération en mars, vous aviez personnellement sermonné votre ministre de la Justice « sur le fait que certains terroristes ne devaient pas se trouver dehors ». Désigniez-vous M’Hamed Benyamina parmi ceux-ci ?
Le ministre de la Justice, Monsieur Nourredine Yazid Zerhouni, et le ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz, quant à eux, n’ont fourni aucune explication précise à cette nouvelle incarcération et ne l’ont, en tous cas, pas justifiée par la production d’un mandat d’arrêt ou d’une demande d’extradition de la France. Ils ont par contre confirmé que M’Hamed Benyamina n’était visé par aucune procédure judiciaire en Algérie.
Je ne peux qu’en déduire que la République algérienne accepte de servir de geôle délocalisée, pour des intérêts étrangers, officieusement ceux de la France, et clandestinement, qui d’autre ?
Il vous sera peut-être utile de savoir que de soi-disant déclarations de la part de M’Hmed Benyamina, pendant sa séquestration par vos services de sécurité, mais en réalité inexistantes, auront servi de prétexte fallacieux à une opération barbouzarde de rafle en France, contre des femmes et des hommes d’origine algérienne, qui ne sont coupables de rien, sauf d’être musulmans.
De là mon émotion extrême lorsque la presse algérienne affirme que vous seriez le responsable de la reprise de la séquestration de M’Hamed Benyamina, alors que peu après vos remontrances sur la libération de celui-ci, vous rappeliez le rôle de massacreur joué par la France contre votre peuple, dont les nationalistes, étaient dénommés « terroristes » par l’Etat français, et les tortures et massacres appelés opérations de « pacification ».
Il est de votre honneur de faire immédiatement libérer sans condition Monsieur M’Hamed Benyamina.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.

 

Isabelle COUTANT PEYRE