Paris veut-il en finir avec la polémique sur la loi du 23 février ?

Paris veut-il en finir avec la polémique sur la loi du 23 février ?

Debré devrait rendre son rapport avant les délais fixés par Chirac

De Notre Correspondant A Paris: S. Raouf, Le Quotidien d’Oran, 4 janvier 2006

La France officielle cherche-t-elle à en finir au plus vite avec la polémique sur la loi du 23 février 2005 et ses dommages collatéraux ? A l’évidence, la question se pose à la vue de l’agenda parlementaire au seuil de l’exercice 2006.

Sitôt rentré de vacances, le président de l’Assemblée nationale française s’est attaqué à un des dossiers les plus délicats de la 12ème législature. Sans attendre, Jean-Louis Debré a entamé le cycle d’auditions qui devraient servir à la rédaction d’un rapport en relation avec le texte controversé. Le premier parlementaire de France a été chargé le 9 décembre dernier par Jacques Chirac pour mener une «mission pluraliste» destinée à «évaluer l’action du parlement dans le domaine de l’histoire et la mémoire».

Rompant un silence de huit mois sur la polémique mémorielle, le chef de l’Etat français a donné à la mission trois mois pour rendre ses recommandations. Selon toute vraisemblance, ce délai pourrait être ramené à deux mois, voire moins. Si l’on en croit les hypothèses de travail émises par son entourage, Jean-Louis Debré semblerait décidé à déposer son rapport sur le bureau présidentiel fin janvier, sinon à la mi-février au plus tard. Au demeurant, c’est bien pour écourter les délais fixés par le chef de l’Elysée que le premier parlementaire de France a entamé au pas de charge, hier, ses rencontres avec des personnalités et associations d’horizons et d’obédiences diverses.

Le locataire du perchoir devait inaugurer son programme d’auditions par des entretiens avec les représentants du tissu associatif pied-noir et harki. Autrement dit, le camp favorable à la teneur de la loi du 23 février qui a poussé par des pressions diverses à l’adoption du très controversé article 4 suggérant aux enseignants d’histoire de faire valoir «le rôle positif» de la France pendant la colonisation. Aucune indication n’était disponible, hier en fin d’après-midi, sur la teneur des conversations et les idées émises par les uns et les autres. Un parlementaire de gauche exclut le moindre changement de cap de cette mouvance vis-à-vis de la teneur de la loi de février. «Face à la mobilisation des historiens, de la société civile et de la gauche, les milieux rapatriés et harkis vont s’efforcer de tout mettre en oeuvre pour préserver l’article 4», a-t-il indiqué au Quotidien d’Oran.

Dans la foulée, Jean-Louis Debré rencontrera au courant de cette semaine des juristes et des historiens. Avec les premiers, il sera question, sans doute, d’une question d’école qui a largement cristallisé la controverse depuis février 2005: le législateur a-t-il vocation à faire oeuvre d’histoire et de mémoire ?

Premier magistrat de France, Jacques Chirac a anticipé les débats dans son intervention télévisée du 9 décembre en déniant aux députés toute irruption dans le champ de l’histoire et de la mémoire. Presque au même moment, deux figures de proue de l’équipe présidentielle, le Premier ministre Dominique de Villepin et la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, ont tenu un discours quasiment similaire. Les juristes partis, Jean-Louis Debré, autre proche du chef de l’Etat, ouvrira les portes de son bureau aux historiens, pan le plus mobilisé dans la campagne pour l’abrogation. Rien n’a filtré sur la liste des historiens appelés à alimenter le «background» du président de l’Assemblée nationale pour les besoins de ses recommandations.

Tous les noms connus de la «science du passé» devraient être de la rencontre avec Jean-Louis Debré. De Gilbert Meynier à Claude Liauzu, de Sylvie Thénault à Benjamin Stora et de Marc Ferro à Gilles Manceron, artisans parmi d’autres de la mobilisation historienne contre un article qui sonne, à leurs yeux, comme une invitation à enseigner une histoire dictée par les politiques.

On ignore si Max Gallo, l’un des plus illustres historiens de France mais non impliqué dans l’élan pétitionnaire, sera au rang des auditionnés. Le biographe de plusieurs personnalités hexagonales, dont De Gaulle et Napoléon, s’est joint a posteriori au débat. Dans une tribune libre publiée le 30 novembre dernier dans Le Figaro, il a poussé la charge contre un article 4 «malvenu, non pas seulement à cause du contexte, mais du fond». Mais, dans le même temps, il n’a pas résisté à la tentation de rappeler la communauté historienne de gauche à ses pages non dénuées de teneur coloniale.

«(…) Il est vrai que l’histoire de la colonisation a souvent été magnifiée, édulcorée. Mais en même temps l’école historique et géographique française, sur le terrain, constituait une histoire et une géographie coloniales, au-dessus de tout soupçon. La chaire d’histoire de la colonisation, en Sorbonne, était, dans les années soixante, occupée par Charles-André Julien, historien de l’Afrique du Nord et par ailleurs socialiste, ami de Blum», a rappelé Max Gallo. Signe de sa liberté de pensée, cet intellectuel de gauche a assumé, en 1983, la fonction de secrétaire d’Etat, porte-parole du gouvernement dans le cabinet de Pierre Mauroy. En 1992, il avait pris ses distances à l’égard de François Mitterrand pour se rapprocher de Jean-Pierre Chevènement fraîchement démissionnaire de son poste de ministre de la Défense.

Curieusement, la libre tribune de Max Gallo n’a pas suscité la moindre polémique alors que la contre-offensive du PS contre l’article 4 était à son paroxysme. Curieusement encore, Max Gallo a choisi les colonnes du Figaro pour rappeler aux socialistes que, de 1905 aux années quarante, ils «ont été souvent les apôtres de la colonisation, au nom de la mission civilisatrice de la République».

«Leur amnésie sur ce sujet – en ce centième anniversaire de leur parti – dit bien les ambiguïtés du moment face à une histoire coloniale qui a formé, entre les années 1880 et le milieu du XXe siècle, une part importante de l’imaginaire national, avec ses rêves, ses horizons lointains et envoûtants, ses héros et ses peuples mythifiés, tels les Touaregs».

Ces perceptions aux termes très contrastés de la loi du 23 février vont-elles ressurgir à la faveur des auditions de la «Mission Debré» ? Au risque d’envenimer le débat sur le passé colonial de la France au lieu de le pacifier ? Les observateurs se gardent de s’avancer sur les tendances qui imprimeront le rapport destiné à Jacques Chirac.

Jean-Louis Debré «part sans aucun a priori», indiquait, hier, un membre de son entourage cité par Le Parisien. «Il va consulter, écouter beaucoup avant de rendre son avis comme il le faisait quand il était magistrat».

Le président de l’Assemblée nationale se lance dans la mission d’évaluation de l’action du parlement dans le domaine de l’histoire et de la mémoire alors que la campagne abrogationniste ne faiblit pas. Bien au contraire. Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) de Mouloud Aounit se prépare à une marche à la veille de l’an 1 de la loi. De leur côté, les partis de gauche songent, eux aussi, à une action similaire, poussés en cela par le succès de la pétition nationale: 45.000 signatures recueillies en moins d’un mois.

Cette alerte aussi vive n’a pas échappé à la «Mission Debré» qui, soucieuse de calmer les choses, compte faire des propositions «aussi vite que possible» avec le souci de «ne pas prendre ce sujet à la légère», dit-on dans l’entourage de Debré. En hâtant le travail pour lequel il a été missionné par Chirac, le premier parlementaire de France chercherait également à tuer dans l’oeuf l’autre «mission de réflexion» commandée par Nicolas Sarkozy à l’avocat médiatique Arno Klarsfeld.

Candidat non déclaré à l’Elysée, le ministre de l’Intérieur s’est emparé d’un sujet dont il sait qu’il sera désormais au coeur des enjeux de la présidentielle de 2007. Dans le camp chiraquien, l’initiative n’a pas échappé à la vigilance. Cité par Le Parisien, un député proche du chef de l’Etat a qualifié la sortie «historienne» du patron de l’UMP de «concurrence inappropriée». C’est de la «politique paillettes», a-t-il taclé.