Bouteflika de retour à Alger

Bouteflika de retour à Alger

« Combien j’ai été sensible… »

El Watan, 26 avril 2006

Poirson. Hauteurs d’Alger, entre Hydra et El Biar. Trafic routier interrompu. Un cortège de berlines noires s’engouffre dans la maison familiale du Président. Hier matin, le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, est rentré à Alger après son séjour à l’hôpital militaire français du Val-de-Grâce pour « des examens post-opératoires », selon la version officielle rapportée par l’APS, qui évoque un « bilan déclaré très satisfaisant ».

Le Président algérien avait quitté vendredi dernier l’hôpital où il avait été admis deux jours plus tôt pour subir « un contrôle médical prévu de longue date » faisant suite à l’hospitalisation de Abdelaziz Bouteflika en novembre 2005, déjà au Val-de-Grâce, officiellement pour un « ulcère hémorragique ». Tout aurait pu se passer, presque, sans faire de vague, d’autant que cette visite, la troisième du genre, semble-t-il, a été couverte, par Alger, avec un lourd rideau de silence. Le souci d’informer l’opinion nationale étant traditionnellement mis entre parenthèses. Or, depuis Constantine, et deux jours avant son hospitalisation, Bouteflika accuse la France coloniale de « génocide identitaire » à l’encontre des Algériens. Et voilà que Jean-Marie Le Pen, leader du Front national (FN, extrême droite), commémorant, avec confiance en son avenir politique, l’anniversaire de ses alarmants résultats à la présidentielle de 2002, ébruite la visite médicale du numéro un algérien. Et comme une infernale mécanique bien huilée, l’extrême droite et une partie de la droite sautent sur l’occasion, à commencer par Philippe De Villier, d’extrême droite lui aussi, qui extrapole et s’engage en plein délire anti-islam, Nicolas Sarkozy qui lance : « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter. » Reprenant le slogan du Front national jeunesse des années 1980 : « La France, aime-là ou quitte-là ! », etc. L’Etat français se met aussi de la partie. Le mal-aimé d’Alger pour avoir soutenu la loi du 23 février 2005 glorifiant le colonialisme, le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste Blazy, médecin de formation, ironise : « Je vois qu’(Abdelaziz Bouteflika) apprécie les médecins français, je vois qu’il apprécie les hôpitaux français. » Apparemment imperturbable, le chef de l’Etat a envoyé hier un message à son homologue français, Jacques Chirac, pour lui exprimer « combien (il a) été sensible aux témoignages (qu’il a) reçus de la part de tous ceux qui, en France, sont restés fidèles à la vieille tradition d’hospitalité du peuple français ». Bouteflika a-t-il décidé de noyer la polémique dans un verre d’eau diplomatique ? Ou rend-il la pareille ironie à Douste Blazy ? « Puis-je vous demander, Monsieur le Président, de bien vouloir être mon interprète auprès du corps médical de l’hôpital du Val-de-Grâce qui a manifesté, de bout en bout, une compétence reconnue et un dévouement exemplaire, qualités éminentes qui, en la circonstance, sont de nature à inspirer le plus bel hommage que l’on puisse rendre à la médecine française », a écrit le chef de l’Etat. « Nous sommes restés attentifs et perplexes face à cette ‘‘affaire’’ », note un diplomate en poste à Alger, ajoutant : « Les relations entre Alger et Paris sont passionnelles, les lectures politiques sont parfois dépassées par les sentiments, c’est pour cela que les Algériens feignent de préférer le pragmatisme américain. » Car derrière la polémique et le retard accusé dans la signature du traité d’amitié, les relations entre les deux pays semblent moins réductibles à un débat, pourtant si nécessaire, autour de la mémoire. « Les relations sont trop importantes et elles sont trop sensibles aussi pour qu’on tombe dans le piège des déclarations de certains hommes de droite, même s’ils sont assez puissants et connus », déclare à Associated Press (AP) Malek Serraï, ancien conseiller à la Présidence algérienne, ajoutant : « S’agissant d’une large part de la population française, tout comme de la population algérienne, il y a un vœu réel pour une coopération de qualité. » « La France sera toujours importante en Algérie, dont elle accueille un million de ressortissants », rappelle de son côté à AP Hugh Roberts, spécialiste de l’Afrique du Nord à l’International Crisis Group.

Adlène Meddi