La participation ? Il ne faut pas trop compter sur Alger

Moins d’une semaine nous sépare du jour du scrutin :

La participation ? Il ne faut pas trop compter sur Alger

par Halim Mouhou, Le Jeune Indépendant, 12 mai 2007

A J-6 du scrutin législatif et à trois jours à peine de la clôture de la campagne de persuasion entamée par les candidats depuis bientôt trois semaines, la rue algéroise ne semble toujours pas «branchée» sur ce rendez-vous qui n’aurait pas manqué, sous des cieux plus «démocratiques», de susciter, par son importance, un véritable engouement populaire.

Ce qui renforce cette conviction est que rien de ce que nous avons pu constater, lors de notre petite virée effectuée au centre d’Alger, à El-Biar ou à Ben Aknoun ne laisse penser à un hypothétique sursaut d’orgueil citoyen de dernière minute qui amènerait les Algérois à se rendre en masse aux urnes le 17 mai prochain.

Notons toutefois, qu’étant en des journées «ouvrables», il n’est pas évident que l’on rencontre massivement dans la rue les potentiels électeurs qui, outre la frange des retraités, se comptent principalement parmi les rangs des fonctionnaires, des travailleurs et autres catégories socialement stables.

Deux «constantes» revenaient dans les propos des quelques personnes accostées tout au long du parcours allant du quartier Belouizdad (ex-Belcourt) jusqu’au célèbre café Tontonville en passant par la place Audin et bien évidemment par les quelques placettes publiques existantes et les cafés des deux quartiers des hauteurs d’Alger.

Tous connaissent la date de la tenue du scrutin. Le fil d’attache entre l’Etat et la société n’est pas totalement rompu. Tous, ou presque, estiment, chacun pour ses raisons propres, que le scrutin du 17 mai prochain n’apportera, comme les scrutins précédents, relève-t-on d’ailleurs, aucun changement.

L’autre constat fait est que toutes les personnes rencontrées n’ont pas manqué, un brin de regret ou même d’envie dans la voix, de citer l’esprit de «franchise et de transparence» qui a caractérisé la campagne présidentielle française qui vient de s’achever par la victoire «propre et acceptée par tous» de Nicolas Sarkozy, relevant par la même occasion toute la distance qui nous sépare du jour où l’on aura droit chez nous à une campagne aussi intense.

Chacun a ses raisons pour… ne pas voter ! Pour résumer l’état d’esprit des jeunes, il faudrait peut-être reprendre les propos d’Adel, 23 ans, étudiant en pharmacie. Celui-ci croit dur comme fer que les choses doivent changer, mais avoue ne pas savoir comment cela arrivera-t-il.

«Tout ce que je sais c’est que ce changement ne viendra pas des élections telles qu’elles avaient été toujours organisées depuis que je me souviens», résume-t-il en reconnaissant que la classe politique nationale est «à court d’imagination».

Un groupe d’une demi-douzaine d’étudiants qui venait de sortir de la Fac centrale donne l’impression de vivre le même «flottement politique», eux qui ont été «frappés par l’intérêt suscités chez les jeunes Français par leur présidentielle».

L’un d’eux, étudiant en troisième année d’interprétariat, assure que tout le monde n’est pas désespéré et qu’il ira voter, «pour le FLN», précise-t-il, le 17 mai prochain. Ces copains et copines ne sont pas de son avis, eux qui affirment qu’ils n’ont même pas de carte de vote.

S’ils disent tous que les élections prochaines ne changeront rien à leur situation, cette «situation» est néanmoins différemment vécue par les uns et les autres. Si pour les uns, les élections ne vont rien changer à leur «misère», pour les autres elles ne vont rien changer à leur très bon train de vie.

C’est le cas notamment de l’une des membres de notre groupe d’étudiants. Sara, 21 ans, étudiante en troisième année chirurgie dentaire, nous dit qu’elle ne va pas voter même si elle avoue que son «papa est dans le domaine», politique s’entend, et que sa «tata est déjà députée», parce qu’elle a «tout ce qu’elle veut».

Cet argument, à quelques nuances près, nous a été aussi servi par quelques jeunes gens à El-Biar et à Ben Aknoun qui se disent «s’en foutre éperdument des élections». «Nous avons tout ce que nous voulons, et si nous aurons besoin de quelque chose d’autre, ce n’est certainement pas un député qui nous le donnera», expliquent eux aussi.

Pour revenir à Sara, son «papa» est un colonel de l’ANP, nous dit-elle, et nous aurons la preuve quelques minutes plus tard. «Son» chauffeur ne tarda pas en effet à arriver pour la faire rentrer chez elle, nous laissant avec le reste de ses copains.

La majorité de ces derniers tourne carrément au ridicule nos «politicards». «Nos hommes politiques en sont encore à dire aux gens : votez pour nous, nous allons vous donner ceci ou cela», s’indigne l’un d’eux accusant ces derniers de ne pas avoir de «niveau».

Farès, 24 ans, licencié en sciences de gestion encore au chômage, rencontré auparavant dans un café à la place du 1er-Mai, est certain d’une seule chose : il n’ira pas voter le 17 mai prochain. «Y a-t-il un nouveau parti qui participe pour que j’aille voter ?» s’interroge-t-il en estimant que le reste des partis qui participent à ces élections ont tous été choisis et participent donc, selon lui, «au même jeu».

«Qu’ils se débrouillent avec leurs élections, ce sont eux qui en sont responsables ; mais qu’ils ne viennent pas nous dire aussi qu’on leur a volé ou qu’ils ont perdu l’amana que le peuple leurs a donnée», répond Farès à notre question de savoir si ce n’était pas la crainte de la fraude qui serait à l’origine de sa décision de boycotter.

Il ne voit pas d’utilité à voter puisque tous les partis se disent «d’accord» avec le programme du président de la République. «Bouteflika doit nommer celui qu’il estime être le plus capable d’exécuter son programme et il n’a pas à attendre qu’un parti ait «zaâma» la majorité à l’APN», dit-il expliquant que l’élection présidentielle «suffit largement».

Des gens plus âgés mais pas encore en âge de prendre leur retraite appréhendent l’événement électoral de jeudi prochain avec beaucoup plus de sagesse. Les choix des ces derniers sont plus «réfléchis», à l’image de ceux de ce groupe de fonctionnaires abordé dans un café à Ben Aknoun.

Quadragénaires et quinquagénaires, ils profitent de la pause de midi pour siroter un café avant d’attaquer la seconde partie de la journée. Entre les «ambitieux» qui sont «intéressés» par la politique et ceux qui voteront «par devoir et par responsabilité», d’une part, et ceux qui, d’autre part, se désintéressent totalement de la chose politique ou optent «politiquement» pour le boycott des prochaines joutes électorales, la tendance est au 50-50 parmi cette catégorie d’âge.

Les «papys» sauveront peut-être le scrutin Si l’électorat algérien n’était constitué que de retraités, le taux de participation aux prochaines législatives dépassera certainement les 90%, mais comme ce n’est pas le cas, nos vieux se contenteront seulement de sauver «l’honneur» en tirant un peu vers le haut ce taux.

L’écrasante majorité des gens de cette catégorie sociale rencontrés disent qu’ils vont voter même si quelques-uns parmi eux se disent hésiter encore. «J’ai toujours gardé espoir et j’ai toujours voté, mais j’avoue que pour l’instant je ne suis pas sûr de le faire cette fois», nous dit ce retraité de la SNTF assis sur un banc publique à la place de la Liberté de la presse, avenue Hassiba-Ben-Bouali, avec un autre retraité de la même entreprise publique, sur le sort de laquelle ils se lamentèrent tous les deux.

Son «copain» n’est pas du même avis. Lui, il ira voter jeudi prochain comme il l’a toujours fait depuis l’indépendance du pays. Pour notre retraité, «c’est un devoir que d’aller voter», et puis, ajoute-t-il, «c’est la seule manière avec laquelle on peut exprimer son avis sur les affaires de la nation».

Pour lui, «il faut que les gens s’expriment et ne fassent pas, à l’avance, des procès d’intention aux candidats», jugeant que ce désintéressement apparent des citoyens vis-à-vis des élections «est un mauvais signe pour le pays». Il regrette toutefois le fait de ne «pas connaître ces candidats» qui ne se sont pas, selon lui, suffisamment investis dans la campagne électorale.

«Nous aspirons à ce que la situation s’améliore», espère-t-il en disant avoir encore ses «enfants adultes et diplômés sous (sa) charge». Et la fraude électorale, ne craignez-vous pas qu’elle «pervertisse» votre avis ? «C’est aux partis d’assumer leurs responsabilités et de cesser de se lamenter sur la fraude alors qu’ils ont tous les moyens de l’empêcher ou, du moins, de la dénoncer», répond-il dans un excellent français, en martelant : «Il ne faut pas qu’ils (les partis) se fassent berner à chaque fois comme cela !»»C’est pour les jeunes que nous espérons que la situation s’améliore», ajoute-t-il encore en assurant que «nous pourrons changer beaucoup de choses en mieux».

En prononçant cette phrase optimiste, il tire son compagnon qui n’est pas du même avis que lui de son mutisme. Celui-ci cache à peine sa colère. «Rien n’a changé depuis le temps, c’est toujours el hadj Moussa ou Moussa el hadj», lui rétorque-t-il avouant en avoir «mare de cette vieille r…».

Ironie du sort ou paradoxes des temps modernes, ce sont les vieux qui espèrent le plus que la place soit enfin cédée aux jeunes générations. «Il faut qu’il y ait un changement, il faut donner la chance à la jeunesse», tonne notre retraité sceptique sous l’approbation de son compagnon.

H. M.