Dérivatifs

Dérivatifs

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 24 mai 2007

La presse algérienne en ferait-elle trop au sujet de l’abstention massive des Algériens aux élections législatives du 17 mai ? Aucun des partis « vainqueurs » ne le dit ouvertement, mais on les sent fortement agacés par ces journalistes qui ont l’outrecuidance de poser des questions sur le système politique algérien et les partis politiques.

Pourtant, ce sont les journaux qui, par impératif de fonction, s’intéressent le plus à la politique et essaient – sans réussir en général – d’y intéresser les Algériens. Ce n’est pas leur faute. Ils l’ont fait aussi pour cette élection mais avec une réelle nouveauté depuis plus d’une décennie: ils ne se sont pas « engagés » pour ou contre une partie. Ils ont fait l’effort de couvrir, en réprimant les bâillements, la campagne électorale mais ils n’ont pas fait campagne. Peu importent les raisons qui ont poussé les journaux à cette retenue, mais le fait est qu’ils ont plus rapporté que commenté ou dénoncé. Le résultat est que contrairement aux échéances passées, ils n’ont pas créé d’illusion, ni donné une image déformée de la réalité.

On peut dire, au risque de provoquer l’ire de ceux qui vont occuper les travées de l’APN, que la presse s’est globalement « abstenue » et qu’elle a évité de fabriquer des artifices au jeu politique actuel. Les vainqueurs ont dit ouvertement et de manière unanime qu’en s’abstenant massivement, cela ne signifie pas que les Algériens « adhèrent » à l’appel au boycott de « certaines parties ». Soit ! A plus forte raison, cela ne signifie pas qu’ils « adhèrent » aux partis qui ont appelé à la « participation massive ». L’abstention est un « message fort » contre les privatisations, a déclaré la représentante du PT, comme si elle comptabilisait les abstentionnistes avec ceux qui ont adhéré à son discours anti-privatisation.

Il y a de toute évidence un problème de cohérence dans l’explication. Si l’on dénie à certaines parties qui ont appelé au boycott le droit de se prévaloir des abstentions, cela devrait l’être davantage pour ceux qui ont appelé à la participation. Quant à la loi électorale que l’on veut amender, on sait qu’elle n’est pour rien dans le taux d’abstention et qu’elle n’est pas nécessairement une voie royale pour donner du crédit à la scène politique.

En réalité, les responsables de partis donnent l’impression de botter en touche pour éviter les questions gênantes. Si les Algériens abstentionnistes n’ont pas suivi les appels au boycott – considérons que c’est une vérité qui ne mérite pas discussion ! -, cela signifie-t-il qu’ils n’ont rien voulu dire et qu’il n’y a pas de message ?

L’abstention n’est pas un programme politique, mais elle n’est pas dénuée de message politique. A moins de vouloir en minimiser l’importance, il y a dans le phénomène de l’abstention au moins l’expression d’une profonde insatisfaction – pour ne pas dire davantage – qu’il ne sert à rien d’occulter. Il faut l’appréhender avec gravité plutôt que de chercher des dérivatifs qui cachent mal une certaine autosatisfaction.