Participation du FFS aux prochaines élections : Normalisation du champ politique et neutralisation de la société civile

Participation du FFS aux prochaines élections : Normalisation du champ politique et neutralisation de la société civile

Kaddour CHOUICHA, La Nation, 20 Mars 2012

Ce qui n’était qu’une hypothèse vient de se concrétiser, le FFS participera aux élections législatives.

La teneur des deux derniers écrits de son président ainsi que le texte final adopté par son Conseil national indiquent nettement qu’il a été très difficile de concilier cette décision avec l’image qu’a entretenue le FFS, les mises en garde sévères du FFS envers qui s’aviserait de critiquer cette décision n’en sont qu’une illustration. Pourtant on ne peut oublier les remarques et critiques lancés par le FFS à tous ceux qui, à un moment ou un autre, ont adopté la même démarche.

S’agissant d’une décision très importante qui touche la sphère politique et non privée, il faut bien que les cadres du FFS acceptent le débat, qui n’a rien à voir avec l’invective, sans que cela soit considéré comme du lèse majesté.

Il me faut avouer ici que je viens de trouver une réponse, certes tardive, sur un comportement qui m’était apparu comme fort étrange sinon inexplicable. En effet pour avoir été, avec d’autres camarades, les initiateurs de l’appel qui a mené à la naissance de la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie (CNCD), il m’était apparu incompréhensible que l’ex secrétaire général du FFS puisse dans un premier temps affirmer que derrière tout cela il y a le DRS (heureusement que nous n’étions que trois au départ) puis dans un deuxième temps affirmer que les marches et rassemblement ne servent à rien « nous avons usé tellement de semelles » a été la métaphore utilisée dans une interview au quotidien El Khabar puis dans un deuxième temps affirmer à travers une interview au quotidien El Chourouk que « les organisations syndicales feraient mieux de s’occuper des problèmes de leur adhérents et de laisser la politique aux concernés ». On notera que le FFS a tout de même profité de la dynamique en tenant un meeting, certes réussi, à la salle El Atlas pour dire à ceux et celles qui espéraient le voir reprendre le terrain des luttes « circulez y a rien à voir ».

La suite des évènements semble donner raison au FFS et à ceux qui considéraient que nous n’étions que des rigolos, sinon des vendus, mais nous n’avions pas pour leitmotiv le célèbre « Dégage » adressé au régime mais un « bouge-toi » adressé aux citoyens, que l’on retrouve actuellement dans les arguments du FFS sous la forme de « remettre du mouvement dans le statu quo ». Et il faut bien constater que la dynamique créée persiste malgré la séparation de la CNCD au niveau d’Alger alors que celle d’Oran reste groupée autour d’un noyau après que l’assassinat du militant Kerroumi ait jeté l’effroi au sein d’un grand nombre de citoyens.

Si le FFS est d’abord comptable devant ses adhérents, il doit accepter que les citoyens de notre pays, devant lesquels tous les partis comptent se présenter, débattent de ses positions.
A cet égard nous voyons la participation du FFS aboutir à plusieurs résultats :

-En premier lieu une entrée d’argent car il en faut pour faire bouger un parti
-Une aspiration de nouveaux éléments qui seront, pour la plupart, loin de l’esprit FFS quelque soient les précautions prises, l’attrait de la mangeoire vaut bien des compromissions pour beaucoup de prétendants. Cet apport d’éléments n’est pas sans impliquer une dilution de ce qu’est l’esprit FFS (l’expérience des partis ayant suivi la même trajectoire est là pour le prouver).
-Une remobilisation des militants avec un éloignement même momentané et certes douloureux, des éléments pour qui la décision de participation est pour le moins contraire à l’éthique du FFS et je suis loin de me réjouir de cela.
-La participation au maquillage soigné du régime car des députés « bagarreurs » ne donneront que plus de charme et d’attrait à cette démocratie particulière tant adorée par le régime.
-La participation à la fragilisation de l’esprit de résistance que l’on retrouve chez beaucoup de militants, même ceux n’ayant pas fait un bout de chemin avec le FFS
-La participation à la fragilisation de la société civile car il est sûr que pour être présent dans un nombre de Wilayas suffisant, le FFS comptera sur les animateurs de la société civile. La tentation que représente le poste de député ne manquera pas de vider la société civile car « si le FFS le fait pourquoi pas nous ? » diront beaucoup d’entre eux.

D’ailleurs cette fragilisation se décline suivant plusieurs versants puisque le premier a été la promulgation de la nouvelle loi sur les associations qui sera sûrement suivi par la promulgation du code du travail qui est sûrement finalisé mais qui attend le moment propice pour apporter un verrouillage supplémentaire au sein du champ syndical.

Pour l’observateur attentif, le processus de fragilisation est déjà bien lancé puisque les accusations de financement extérieur sont lancées par les porte-voix du régime. La LADDH dont le Conseil National a refusé la proposition de prise en charge de l’observation des élections pour accorder plus de légitimité verra la pression croître pour raison de défaut d’alignement, même les organisations syndicales seront mises sous pression pour, parait-il, avoir été financées par l’organisation Américaine SOLIDARITY Center qui active dans le champ syndical. Les portes-voix oublient juste de dire que cette organisation est à titre officiel en Algérie et qu’elle a été invitée par l’UGTA pour mettre en œuvre des actions de formation, alors l’UGTA a-t-elle été financée et est-elle membre de la CNCD (il suffit d’interroger le site de Solidarity Center pour apprendre que l’activité essentielle de cet organisme est dirigée vers l’UGTA et qu’ensuite viennent les syndicats autonomes). Il est vrai que le régime Algérien accorde à ces organisations la possibilité d’activer en Algérie et cela pour soigner son image de marque mais en même temps refuse d’accorder une accréditation officielle se donnant ainsi la possibilité de faire réagir ses portes voix pour crier à la trahison.

De plus si chaque personne a le droit de vivre là où il lui sied, il est tout de même déplacé que l’auteur du livre, qui tombe à point par hasard, « Arabesque Américaine » qui vit dans un autre pays, se permette de dénigrer Fodil BOUMALA (avec qui tout un chacun peut ne pas être d’accord) en l’accusant d’être financé par les étrangers (un traitre quoi !) parce qu’il a fait un déplacement aux Etats-Unis. Dans le même ordre d’idée ,il est tout de même heureux que la presse Algérienne ait noté que la responsable Américaine aux affaires étrangères ait tenu à présenter « sa » société civile Algérienne sans que notre personnel politique et leur porte-voix ne crient à la traitrise eux qui la jouent chatouilleux sur la question du « nationalisme ».

Le régime Algérien pense avoir terminé la normalisation du champ politique et dirigera plus d’attention vers la société civile car il sait que la véritable opposition se trouve dans l’union des acteurs du champ politique avec ceux animant la société civile. La CNCD ne fût qu’une première expérience qui montre tout le potentiel qui existe, car qu’on le veuille ou non, je ne pense pas que le changement dans notre pays se fera par épuisement malthusien de l’actuel pouvoir ou par l’alternance acceptée qu’elle soit peu ou prou négociée. Le changement se fera quand la population décidera de sortir dans plusieurs villes pour se réapproprier le pays, plus nous serons nombreux à construire ce moment moins il en coûtera au pays et surtout à sa population.

Ce moment nécessite l’union de toutes celles et de tous ceux qui veulent le changement réel mais auparavant nous devons prendre le temps de construire les compromis nécessaires car la fracture qui remonte aux années 90 (éradicateur-réconciliateur) continue de peser de tout son poids sur la construction d’un front commun. Quand à l’éventualité d’une intervention étrangère qui pointerait à l’horizon elle est bien réelle puisque le régime Algérien travaille depuis plusieurs années à désarmer intellectuellement et politiquement la population Algérienne (ceci sans parler de l’état désastreux au niveau socio-économique) et à gérer le pays avec une violence telle qu’une frange de la population arrivera à la conclusion qu’il vaut mieux se débarrasser des autorités quelque soit la solution.

Seule une alternative politique plurielle mais unie pourra nous débarrasser des uns (poursuite de la dictature) et des autres (remodelage du pays pour asservir sous une autre forme leur appétit).

Pour avoir participé avec d’autres à l’activité de la CNCD, pour avoir pu débattre même avec ceux qui étaient contre il me semble que nous sommes en train de construire ce moment. A ce titre personne n’a le droit d’insulter l’avenir en créant et en alimentant d’autres ruptures au sein de ceux et de celles qui partagent la fidélité à celles et à ceux qui se sont sacrifiés pour le pays, pour sa liberté et pour la liberté dans la dignité et la justice sociale.

Kaddour CHOUICHA militant syndical