Une lasagne d’honneur avec Guerrato
Le Quotidien d’Oran, 23 novembre 2006
Lucio Guerrato, chef de la délégation de la Commission européenne, quitte l’Algérie et sera remplacé par M. Plaza, un Allemand actuellement installé au Chili appelé à « continuer sur la même ligne qui est la mienne jusqu’en 2010 ».
Polémiste, quelque peu arrogant, Lucio Guerrato le restera jusqu’au bout… de son mandat de chef de la délégation de la Commission européenne en Algérie. En tant que tel, il aura passé très exactement 5 ans et 9 mois à Alger, marquant ainsi la fin d’une carrière bien pleine et bien riche. Guerrato ne reprendra pas du service au niveau de la Commission européenne à Bruxelles parce qu’il part à la retraite dans une région de la France – le Périgord – où il compte s’initier à l’écriture d’une nouvelle rubrique qu’il intitulera « crise de foie ». Et « je continuerais à écrire au Quotidien d’Oran », a-t-il lancé.
Il a bien voulu rencontrer hier la presse, des journalistes avec qui il a eu à travailler tout au long de son séjour à Alger. Guerrato n’est pas homme à aimer dresser le bilan de ses activités pour annoncer son départ. « J’ai l’impression de faire mon testament, ce qui me déprime profondément », avoue-t-il. Alors il aborde « la chose la plus gaie » en affirmant que « je me suis bien trouvé ici et j’ai une reconnaissance envers la presse qui ne m’a pas toujours bien traité mais avec laquelle j’ai parfois polémiqué (…), j’aime bien polémiquer… ». Il invitera les journalistes à sa table pour déguster d’excellentes lasagnes. « Je vous invite avec plaisir à une lasagne d’honneur, en principe c’est un vin d’honneur mais je ne sais pas qui boit et qui ne boit pas », a-t-il tenu à préciser.
Il ne prendra congé sans avoir effectivement fait le point sur les programmes qu’il a exécutés pour le compte de l’Algérie. « Comment vous voyez l’avenir de l’Algérie ? », interroge-t-il avant de se prêter aux questions des journalistes. Optimistes, confiants, certains journalistes estiment l’être. « Sur quoi vous vous basez ? », demande-t-il. Peu importe les réponses des journalistes. Guerrato fera les remarques qu’il estime nécessaire de faire. « Vivre des années difficiles ne donne pas des mérites », lancera-t-il pour éloigner tout subterfuge justifiant l’échec. « Comment vous voyez le secteur de l’agriculture, celui de l’industrie ? », continue-t-il de demander. « Moi, je suis un peu confiant, je ne répondrais pas par des notes mais je mettrais un signe positif », dit-il. Les services ? Pour lui, «c’est en fonction du développement des autres secteurs ». Les éléments fondamentaux d’un pays qui fonctionne bien, l’éducation « ou celui qui rentre à l’école et qui en sort dans 20 ans ». Mais « alors, je ne vous parle pas de la stabilité politique, je peux vous donner deux éléments dans ce sens, l’Algérie ayant subi tout, c’est une stabilité profonde à long terme ». Voilà un constat que Guerrato fait par anticipation sur un pays duquel il ne regrette rien « parce que je ne suis pas homme à regretter quoi que ce soit ».
Mais « combien l’affaire est compliquée de répondre à des choses si générales ! », s’est-il exclamé en soupirant: « je suis préoccupé par l’éducation, c’est le grand défi dans les années à venir ». A ses yeux, s’il y a une priorité nationale, c’est bien l’éducation ! L’industrie n’est rien par rapport à la complexité de ce secteur « parce qu’il faut juste jouer la concurrence et ce n’est pas un problème ». Il note que « grâce au projet que nous avons lancé pour les PME, nous avons contacté 600 à 700 entreprises, ce qui nous a permis d’avoir une large idée sur le patronat ». Résultat: « 7 sur 10 PME acceptent de faire de la mise à niveau ». Le portefeuille en possession de la Commission européenne pour l’Algérie est de 400 millions d’euros « avec une moyenne annuelle de nouveaux projets pour 50 millions d’euros ». Les subventions européennes pour le secteur de l’éducation « n’apporteront pas les changements parce qu’ils dépendent de ceux qui peuvent les faire », dit-il. Mais il pense qu’ainsi « nous posons un problème et il n’y a rien de plus contraignant que la mobilité, nous créons des perturbations et ça fait avancer les choses ». Il fait savoir qu’il a reçu la Cour des comptes pendant 10 jours et « on m’a demandé qu’est-ce qui a réussi et qu’est-ce qui n’a pas réussi, je suis très nuancé à ce sujet mais je dis que l’exécution matérielle a réussi dans 90% des cas pour 50 millions d’euros qu’on consacre chaque année à de nouveaux projets dont nous contrôlons matériellement l’exécution ». Il déclare: « Je suis convaincu d’une chose, là où nous avons apporté de la stimulation, ça va réussir à 30 ou 40%, je suis toujours optimiste pour ce genre de projets mais il faut toujours semer la perturbation. »
Guerrato revient sur ce qui est aussi essentiel pour le développement d’un pays, l’Administration « pour développer des services plus efficaces au profit des citoyens » puisque « l’Administration rattache le citoyen à l’Etat », celui-ci étant vu à «travers le guichetier». Parce que, dit-il, «les réformes, on ne sait pas trop ce que c’est!»
Ce qu’il pense avoir fait de bien en Algérie, Guerrato le classe sur trois niveaux. Le premier, « son legs » pour Alger, le festival européen qu’il qualifie de « chose la plus visible qu’il espère, va continuer » et pour lequel « j’ai créé un peu la formule». Il indiquera avec une pointe de fierté que « nous drainons chaque année 14.000 entrées qui, peut-être, ne sont pas tous contents des spectacles mais se sont déplacés quand même». Vient après ce que « j’ai écrit dans les journaux et les réponses des gens à mes articles sur Le Quotidien d’Oran m’ont vraiment motivé ». Il rappelle ses écrits sur l’interculturel, « un livre qu’il a écrit en août dernier où les choses n’allaient pas bien, guerre au Liban (…)». Sa conclusion dans ce livre, Guerrato en fait presque sa devise: «ce ne sont pas les échanges culturels qui comptent mais la reconnaissance des racines communes.» En troisième lieu, « grâce à une action combinée entre le ministre algérien des Affaires étrangères, la délégation, la Commission européenne et ajoute un de ses invités, la Mairie de Marseille et le Conseil général, nous avons dégagé un million d’euros pour la restauration de l’église de Notre-Dame d’Afrique».
«Des organismes qui s’associent pour faire une chose de hautement symbolique», indique-t-il non sans préciser que l’église reçoit des financements du gouvernement algérien, « un lien idéal pas seulement d’ordre matériel mais spirituel et culturel ». Guerrato ne manque pas d’affirmer qu’en Algérie « la culture a connu certaines évolutions en 6 ans mais il y a des lacunes graves ». Il reconnaît qu’il y a des romanciers de qualité « mais pas beaucoup d’essayistes qui font de la réflexion, les choses intéressantes écrites par des Algériens sont faites à l’étranger». Un élément qu’il estime cependant positif, « les pages culturelles dans les journaux». Il regrette que « tout le monde parle de culture mais on n’investit pas assez pour». Pour la simple raison, dit-il, que «les Etats ne le demandent pas et le budget européen existe mais il est utilisé d’une manière erronée, distribué par région». Il résume cette lacune à « un défaut à la base du système mis en place».
Ghania Oukazi