M. Hennad: « Bouteflika est un homme de pouvoir, pas un homme d’Etat »

Mohamed Hennad (Politologue)

« Bouteflika est un homme de pouvoir, pas un homme d’Etat »

El Watan, 16 avril 2009

Mohamed Hennad est professeur de sciences politiques à l’université d’Alger. Dans cet entretien, il décortique les résultats de l’élection présidentielle du 9 avril, dresse un état des lieux de l’opposition démocratique en Algérie et évalue les possibilités de la société civile de produire le changement.

– Les résultats de la dernière élection présidentielle, même entachée d’irrégularités, a montré une nouvelle fois les limites de l’action partisane et des élites politiques traditionnelles pour provoquer le changement. Quelle lecture faites-vous de la prestation politique de l’opposition en Algérie ?
– Tout d’abord, il faut admettre que l’opposition n’a pas participé à ces élections qui ont été, à proprement parler, un one man show. Les partis qui y ont participé ont plutôt objectivement fait dans le parasitage du champ politique, avec comme tête de file le FLN et la soi-disant alliance présidentielle qui a de plus en plus tendance à se comporter comme courtier politique. Par ailleurs, il me semble que ce n’est pas tant les résultats de ce scrutin qui importent mais plutôt la manière dont s’est déroulée l’opération électorale et ce, depuis l’amendement de la Constitution en novembre dernier. Il faut rappeler quand même que cet amendement s’est déroulé contre toute éthique politique, et à la fin du deuxième mandat présidentiel limité à deux avant ledit amendement. Bref, espérons que l’opposition va bien réfléchir sur cette énième expérience électorale et en tirer les conséquences qui s’imposent. Quant aux résultats, ils étaient sans surprise. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’on se sent quelque part « malheureux » pour notre Président qui semble avoir préféré satisfaire son ego et celui de son entourage, y compris l’entourage familial. Il a donc préféré être un homme de pouvoir plutôt qu’un homme d’Etat (l’expression est empruntée). Apparemment, il n’a pas jugé utile d’entrer dans l’histoire comme un chef d’Etat qui aura ouvert la voie à de nouvelles mœurs politiques en Algérie – cette Algérie qu’il dit vouloir voir « forte et sereine »– mais aussi pour d’autres pays, notamment les pays arabes dont les peuples continuent, malgré tout, d’espérer beaucoup de l’Algérie en matière de changement politique. Vous savez quelle est la différence entre un homme d’Etat et un homme de pouvoir ? Eh bien, un homme d’Etat pense à l’avenir de la nation, tandis qu’un homme de pouvoir pense à la prochaine élection. Quant à l’opposition en Algérie, elle a encore beaucoup de chemin à faire pour se libérer de « l’habitus », dirais-je, du système de gouvernance que nous connaissons depuis l’indépendance du pays. Chaque parti politique dans notre pays donne l’impression de vouloir jouer à Zorro, sachant que cela arrange, au premier chef, le système en place. Il est clair qu’il est impossible de réaliser une transition démocratique réussie sans que cette opposition prenne justement ses responsabilités, à commencer par une « union sacrée » et s’entendre sur une feuille de route qui transcenderait les clivages politiques, lesquels clivages n’ont d’ailleurs pas lieu d’être pour le moment. Il s’agit bien de déterminer l’enjeu primordial avant de penser à autre chose.

– L’alternative pourrait-elle venir par le bas, à travers des initiatives citoyennes, qu’elles soient associatives, syndicales ou via internet ?
– Il me semble que parler de ce genre d’initiatives pourrait, en fait, trahir une certaine déception, du moment que les partis, pense-t-on, ont failli à leur mission. Vous dites « initiatives citoyennes », honnêtement, il est difficile de voir comment ces initiatives pourraient influer sur le cours des événements, à moins que vous ne pensiez à certains exemples comme celui de l’Ukraine il y a de cela quelques années, ou à ce qui se passe depuis quelques jours en Géorgie et en Thaïlande. Mais cela semble être une autre paire de manches. Bien sûr, les initiatives dont vous parlez sont indispensables, mais il n’en demeure pas moins que leurs effets restent relativement limités, car elles ne peuvent pas – notamment pour un pays comme le nôtre et dans l’état actuel des choses – être plus qu’un soutien aux forces politiques qui, elles, sont organisées et censées avoir un programme et une ambition politiques. Quant aux syndicats (autonomes, bien entendu), vous convenez, quand même, que le champ d’activité continue à leur être fermé. Ils éprouvent du mal à se faire reconnaître officiellement, à tel point que leur invitation à des réunions avec l’administration est parfois présentée comme s’il s’agissait d’une rencontre avec un partenaire « illégitime » et ce, pour ne pas mécontenter l’UGTA qui se comporte comme un syndicat monopolistique et qui fonctionne de plus en plus comme relais politique. Qui plus est, ces syndicats dits autonomes, préoccupés qu’ils sont par l’amélioration du pouvoir d’achat du travailleur, ont peu de possibilités de se pencher sur les problèmes politiques du pays. En ce qui concerne le rôle de l’internet, il n’est certes pas négligeable. Ce rôle est d’autant plus important qu’il sert comme source d’information (mais aussi de désinformation) importante et comme un miroir reflétant ce qui est ridicule dans nos mœurs sociales et politiques. Je pense que l’effet de l’internet se situe essentiellement au niveau de la culture politique par la contribution à son progrès, cela pour dire que son effet intervient plutôt sur le long terme.

– On dit que les Algériens sont en désaffection de la chose politique. Comment voyez-vous le renouveau de l’activisme militant au sein de la société civile dans un contexte de verrouillage des espaces d’expression ?
– Comme vous le savez, cette désaffection de la chose politique est, avant tout, un aveu d’impuissance. Elle peut aussi être expliquée par un rapport de force désespérément inégal qu’on ne voit pas comment il nous est possible de renverser. Ce qui est autrement plus grave, c’est que cette désaffection pourrait aussi signifier qu’en tant que nation, nous nous intéressons de moins en moins aux desseins communs et de plus en plus aux desseins individuels. Dans ce cas, parler de « patriotisme » deviendrait, sinon une sorte de blasphème, du moins une malhonnêteté. Quant à la société civile, voilà le Sésame ! D’abord, l’expérience de la société civile est relativement jeune en Algérie, alors que nous voulons un changement dans les meilleurs délais possibles et cela à l’avantage de cette société civile elle-même pour pouvoir affronter avec efficacité les pesanteurs sociales. La société civile algérienne, dans l’état actuel des choses, apparaît beaucoup plus sous la forme de relais que comme associations sociales authentiquement autonomes. Cependant, ce qui est grave, ce n’est pas tant le verrouillage des espaces d’expression que vous mentionnez, mais plutôt l’inefficacité de cette expression. On est plus ou moins dans la situation « les chiens aboient, la caravane passe », si bien que ce qu’on appelle chez nous la société civile, tend de plus en plus à recourir à des moyens plus ou moins violents pour s’exprimer, et l’on a même l’impression que c’est l’unique manière d’obtenir des résultats.

Par Mustapha Benfodil