La Kabylie résiste aux manœuvres du pouvoir

La Kabylie résiste aux manœuvres du pouvoir

Drapeaux noirs, carton rouge

Tizi-Ouzou (KABYLIE), DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIALLE SOIR – BRUXELLES – LE 8 AVRIL 2009

LE PRÉSIDENT Bouteflika s’offre un troisième mandat sur mesure, jeudi. En Kabylie, le boycott des urnes s’organise.

La symbolique est frappante. Elle est là, à l’entrée Est de la ville de Tizi-Ouzou, capitale de la Kabylie : un barrage filtrant de la police établi sous une passerelle pour piétons ; deux portraits géants de Bouteflika pendent de la passerelle et couvrent les herses du barrage. Portraits et affiche du président-candidat sont partout autour d’eux : les murs, les panneaux publicitaires, les pylônes électriques, les arbres… Aucune trace des cinq autres candidats à l’élection présidentielle de ce jeudi, par laquelle le chef de l’Etat sortant brigue un troisième mandat sur mesure.

Passé le barrage, les affiches du président sont absentes. On les retrouve plus haut, en ville, à proximité des commissariats de police et des carrefours surveillés par les motards. Ailleurs, elles ont été déchirées, arrachées. Pour éviter ces désagréments, le staff a trouvé la parade : afficher les portraits dans des locaux gardés. En un temps record, de nombreuses « permanences électorales » ont été ouvertes. Solution radicale mais coûteuse. « L’argent n’est pas un problème pour Bouteflika, affirme Hamid, voisin malheureux d’une « Boutefliquerie » dans la nouvelle ville ; il offre l’équivalent d’un an de loyer pour un seul mois de location. De quoi tenter les plus réticents ! »

Une chaise, une table, une sono dernier cri poussée à fond, des portraits de Bouteflika de tous les formats… Les permanences sont nombreuses, elles font un vacarme d’enfer, mais elles sont vides. « Pour afficher les portraits géants qui couvrent les façades des immeubles de 3 ou 4 étages, Bouteflika offre 350.000 dinars – 3.500 euros, NDLR – aux propriétaires, soit 25 fois le Smic », révèle Hamid. L’important, aux yeux du staff du président-candidat, est visiblement d’occuper le terrain, tout le terrain, pour donner l’image de superpuissance du candidat déjà président. Et c’est plutôt réussi : les autres candidats sont invisibles, inexistants…

Au siège du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), au rez-de-chaussée d’un petit immeuble de la Nouvelle Ville, on a hissé le drapeau noir en signe de deuil, à la place de l’emblème national, ce qui a valu au parti une campagne hystérique à la télévision publique. A l’intérieur, on s’apprête à distribuer un appel intitulé « le boycott pour l’espoir ». Ce sont les 10 parlementaires du parti qui battront le pavé : « On ne veut pas prendre le risque d’exposer nos militants, explique l’un d’eux. Nous, nous bénéficions de l’immunité parlementaire. »

C’est en effet un risque ! Car le pouvoir ne veut pas entendre parler de boycott. Depuis que le président Bouteflika a amendé la Constitution, le 12 novembre dernier, pour lui permettre de briguer un 3e mandat, tout le monde sait qu’il sera reconduit. Les poids lourds de l’opposition ont tous refusé de s’engager dans ce combat perdu d’avance. Le pouvoir a dû descendre très bas pour trouver des « lièvres » pour lesquels le seul fait d’être candidat constitue une formidable promotion. Aucun des 5 « lièvres » n’a jamais été ministre ni même maire. La plus connue, Louiza Hanoune, a obtenu 1 % aux présidentielles de 2004, contre 85 % pour Bouteflika ! Seule inquiétude, le taux de participation. Aux dernières législatives en 2007, il n’a pas dépassé les 35 %.

La guerre au boycott, menée depuis plusieurs mois sur tous les fronts, a mobilisé les mosquées, les lycées, les centres de formation, le Parlement… Les policiers ont été mobilisés pour faire du porte-à-porte auprès des mauvais votants. Les chaînes de radio et de télévision, une campagne d’affichage omniprésente et systématique matraquent le citoyen à longueur de journée pour le ramener dans les bureaux de vote.

Dans le discours officiel, le « boycotteur » est l’adversaire, l’incivique, l’impie, voire l’ennemi. Le ministre de l’Intérieur avertit : « Ils seront interdits d’activité sur le terrain. » Son Premier ministre, Ouyahia, est plus direct : « Ceux qui appellent au boycott sont des traîtres, des criminels. » Les traîtres, ce sont, à ses yeux, les partis kabyles : le RCD, le FFS – Front des Forces socialistes – d’Aït Ahmed et le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK, non agréé).
« Fin mars, un de nos militants transportant des appels au boycott a été arrêté dans un barrage routier pour “détention de tracts subversifs”, et conduit au commissariat où il a subi un interrogatoire musclé de plusieurs heures, fulmine le Dr Belahcène, de la direction du FFS. Toutes nos demandes de meeting ont été rejetées par les autorités. Nos conférences à Batna, Jijel, Annaba ont été interdites. Nous avons décidé de réagir. »

Le 2 avril dernier, bravant l’état d’urgence en vigueur depuis 1992, le FFS a donc organisé coup sur coup un meeting sur la voie publique et une marche à travers les rues de Tizi-Ouzou. Les militants brandissaient des milliers de cartons rouges contre le pouvoir organisateur de cette « mascarade électorale ». Au cours de cette manifestation, Karim Tabbou, 1er Secrétaire du FFS, a lancé un pari : « Les résultats de ce scrutin sont fixés à l’avance, la preuve ? Les voici : le taux de participation 65 à 70 % ; nº 1 Bouteflika élu au 1er tour ; puis viennent dans l’ordre Hanoune, Touati, Younsi, Oussaid, Rebaïne »…

HANAFI TAGUEMOUT