La dernière sortie du soldat Nezzar

La dernière sortie du soldat Nezzar

Les diversions de Bouteflika et une mystérieuse «offensive essentielle»

Le Quotidien d’Oran, 12 octobre 2003

Dans une interview au vitriol publiée hier par Le Soir d’Algérie, le général à la retraite Khaled Nezzar s’en prend avec véhémence au président Bouteflika et à ses frères, accuse clairement Belkhadem d’intelligence avec l’étranger – les Iraniens – et laisse entendre, sans le dire directement, qu’il serait lié au terrorisme.

Dans cette distribution des mauvais points et des horreurs, Yazid Zerhouni est tancé avec une politesse qui contraste avec la volée de bois vert que reçoivent Bouteflika et Abdelaziz Belkhadem. Est-ce un reste d’esprit de corps (Zerhouni est un ancien militaire), ou bien un reste d’espoir qu’il peut se retourner contre «son ami».

Sur Bouteflika et sa gouvernance, le général Khaled Nezzar restitue un condensé de ce qui a été écrit dans une partie de la presse. Il l’accuse d’avoir tout fait pour empêcher la parution de son livre en exerçant des pressions sur les éditeurs de la place d’Alger, ce qui l’a poussé à l’éditer à l’étranger pas de «gaieté de coeur». Un livre qui, selon lui, apporte la démonstration par des «faits et des arguments» qu’il mène le pays à la «catastrophe».

Il affirme se placer sur un «terrain politique» et parler en «tant qu’ancien responsable et en citoyen» et non au nom de l’armée. Mais, laisse-t-il entendre, il ne faut pas être surpris si ses opinions «convergent» avec celles du haut commandement de l’armée sur «les sujets importants». Il tente cependant d’expliquer les raisons des militaires qui ont agi en 1999 en soutenant «l’homme du consensus» par le fait que la «magistrature d’Abdelaziz Bouteflika était censée ouvrir l’ère de la convalescence et des grands chantiers» et qu’il s’agissait pour eux de «mener les transitions à leur terme…». Cette mission, Bouteflika ne l’a pas comprise et il s’est placé à «équidistance entre deux projets antagoniques». Désormais, selon lui, il fait appel «aux fourriers brevetés de l’intégrisme pour s’assurer des voix militantes afin de rester au pouvoir».

Dans sa charge contre Bouteflika dont le comportement, affirme-t-il, relève de la «psychopathologie», le général Nezzar rajoute de sacrées rasades sur le feu couvant du régionalisme en faisant une lecture particulière de la visite de Bouteflika à Batna et en se faisant le défenseur des Chaouia que les frères de Bouteflika considèrent, déclare-t-il, comme des «gens frustres et brutaux». Les péripéties de la vie politique lui inspirent «honte et dégoût» à l’égard d’un pays «livré au bon vouloir d’un homme» et des commis de l’Etat se mettant «au service du puissant du jour…».

D’aucuns diront à ce propos que le général Nezzar a la mémoire un peu courte et que la règle du commis de l’Etat se «mettant au service du puissant du jour» ne date pas vraiment de 1999. S’il affiche un mépris souverain pour le wali d’Alger «mort politiquement», il est, par contre, très poli à l’égard de Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur. Une politesse contrainte qui sonne également comme une mise en garde à l’égard d’un homme qui «a fait ses choix et les assume» et qui devra tôt ou tard en «assumer les risques locatifs». Pas de véritable jugement de valeur, mais une sorte de reproche à l’égard de cet ex-militaire qui «sait ce qu’il veut et continuera à aplanir la route au président candidat tant qu’il pourra le faire».

Nezzar parle curieusement comme si les élections se sont toujours passées à la régulière et que Bouteflika vient de déroger à la règle en utilisant les moyens de l’Etat pour «écarter ou subjuguer» ses adversaires potentiels. En tant que militaire, il perçoit dans la stratégie du «rusé, patient et sans scrupules» de Bouteflika des opérations de diversions, une multiplication d’écrans de fumée qui préparent «l’offensive essentielle» pour le moment où on l’attend le moins.

Quel est l’objet de cette offensive essentielle ? L’armée, les janviéristes ? Nezzar s’abstient de le dire mais, indique-t-il, la «vigilance doit être de rigueur pour éviter, le moment venu, d’être pris au dépourvu».

Le plus singulier est cependant d’apprendre de la bouche de Nezzar que les prochaines élections vont peut-être dépendre des urnes. «Abdelaziz Bouteflika sait qu’on ne remplit pas les urnes avec des incantations et la planche à billets, même en comptant sur des complaisances efficaces au sein de l’administration qui connaîtra, le moment venu, les «toilettages» idoines, mais avec des bulletins d’électeurs. Il aura besoin, en avril 2004, de bataillons d’électeurs militants, disciplinés et motivés…».

Bref, Bouteflika compte sur les voix des islamistes pour rempiler et Belkhadem est une «tête de pont politique qui prépare le débarquement des forces que la résistance de la République a contraintes au repli». Lequel Belkhadem est carrément accusé d’avoir été en intelligence avec les Iraniens. Khaled Nezzar laisse même entendre qu’il serait responsable de la mort d’un haut fonctionnaire des affaires étrangères. «Belkhadem, hôte de l’ambassade d’Iran, en même temps que le responsable de la direction Asie au ministère des Affaires étrangères algérien, fera un compte rendu fidèle au diplomate iranien de la teneur des conversations que lui-même et Abdelhamid Mehri avaient eues avec les membres du HCE. Le chef de la direction Asie, le regretté F… fera, bien sûr, un rapport à sa hiérarchie qui met en cause Abdelaziz Belkhadem. Quelques jours plus tard, ce fonctionnaire algérien sera exécuté. N’est-ce pas une insulte à la mémoire de nos morts, je dirais plus – un blasphème – de voir ce personnage représenter l’Algérie à l’étranger dans des hémicycles qui traitent du terrorisme…».

Le personnage de Belkhadem est en train de prendre une épaisseur remarquable au vu des tirs groupés qu’il reçoit de multiples directions, y compris du mouvement de redressement qu’il «coordonne». Alors Nezzar est-il pour Benflis ? Oui, à condition qu’il réponde à un très long «cahier de charges». Pour avoir l’onction du soldat Nezzar, Ali Benflis devra afficher davantage sa couleur et devenir plus républicain qu’il ne l’est, plus anti-islamiste qu’il ne l’est. Un «éradicateur» pour employer la formule consacrée.

Nezzar qui dit avoir rallié le «consensus» en 1999, exprime-t-il un nouveau «consensus» anti-Bouteflika ? Peu importe, mais ses propos confirment amplement que la cohésion interne du régime – dont il fait partie – est profondément lézardée et que l’échéance présidentielle ne sera absolument pas une partie de plaisir.

M. Saâdoune