Insondable Algérie

QUESTIONS D’UN ETE BRULANT

Insondable Algérie

Le Quotiden d’Oran, 6 juillet 2003

Bouteflika fait l’éloge de l’armée, Abassi Madani et Ali Benhadj sont libres mais sans droits, les arouchs continuent de susciter le chagrin d’Ahmed Ouyahia, l’Amérique souhaite que l’on regarde «vers l’avenir» … Y a-t-il du sens ?
La plupart de ces événements ont beau se dérouler au grand jour, ils refusent de se laisser «lire» pour ce qu’ils sont censés être. Les étés ont toujours été propices aux bruissements et aux rumeurs qui viennent donner du sens caché à ce qui est apparent. Le dernier été d’avant les présidentielles amplifie la tendance.
Ceux qui tentent de donner du «sens» dans la périphérie constituée par les partis et accessoirement les journaux à défaut d’admettre qu’ils manquent d’éléments pour fonder une explication, sont réduits à transformer leurs souhaits en analyse. Et comme les souhaits ne sont pas uniformes dans les périphéries, cela donne, à défaut d’une information solide, une idée des variétés des attentes et des positionnements.
Dans une vie «politique» hors norme, nous vivons depuis des mois – et contre les affirmations répétées des personnes habilitées – dans l’idée d’un conflit et d’une crise durable entre la haute hiérarchie de l’armée et le président de la République. Même si un homme comme le général à la retraite Rachid Ben Yelles s’évertue avec une constance remarquable à nier ce conflit, celui-ci est devenu une «donnée» médiatique. Qu’il ne faut pas minimiser puisqu’en vertu de l’aphonie des institutions, la presse est devenue le lieu de la «politique». Quand intervient un discours du président fort élogieux pour l’armée devant les généraux, ceux qui se sont chargés de donner systématiquement du «sens» à ce qui se dit en perdent un peu de leurs repères. Mais ne s’en éloignent pas trop car l’information fait toujours défaut.
Les «lectures» ne s’appuient plus dès lors que sur les souhaits, les animosités ou les a priori. Les lecteurs n’ont qu’à choisir, selon leurs propres souhaits, celle qui leur convient en l’insérant dans la perspective permanente des présidentielles. Cela donne plusieurs variantes, selon les donneurs de «sens» : Bouteflika s’est réconcilié avec les généraux, il les courtise pour avoir un second mandat, il fait dans l’opportunisme ou il tente de les leurrer.
Cela va dans tous les sens. Il reste toutefois quelques éléments solides à relever. Bouteflika a bien abandonné son discours du milieu, il n’est plus dans le «consensus». Il a adopté celui de son chef de gouvernement Ahmed Ouyahia qui peine d’ailleurs à amadouer les arouchs pour se consacrer à la bataille contre la «menace islamiste». L’alignement de Bouteflika sur Ouyahia trouble bien entendu ceux qui – dans la périphérie sous-informée – ne veulent pas de lui pour un second mandat. Bouteflika développe aujourd’hui le même discours qu’ils lui opposaient hier. Comme il y a des années, il a développé le même discours que lui opposaient les réconciliateurs. Faut-il chercher nécessairement du sens à une situation où il est encore manifestement trop tôt pour tirer des conclusions ? La seule chose qui semble évidente – et la cacophonie ambiante le confirme – est que le jeu politique actuel est insondable et que les institutions qui gravitent autour – partis, assemblées et médias – ne sont d’aucun secours pour qui cherche à comprendre.
La chose est tellement entendue qu’elle déteint sur les commentaires que font les Etats-Unis sur l’Algérie.
L’appel à regarder «vers l’avenir» est d’une telle causticité qu’il suscite la même cacophonie de «lectures» qui convoquent aussi bien le 11 septembre 2001 que les analystes pessimistes de la Rand Corporation sur la capacité du régime à contenir les islamistes. «Nous espérons que les Algériens regardent désormais vers l’avenir, en dépassant les violences qui ont fait 100 000 morts en une décennie», a déclaré le porte-parole du département d’Etat. Très professionnel ce porte-parole américain qui a livré en une phrase un constat et un voeu sans trop se mouiller. Le «regarder vers l’avenir» est prudent et susceptible d’être lu, selon ce que l’on souhaite et que l’on désire. Tout comme on «lit» un entretien du général Lamari ou un discours de Bouteflika. Mais peut-on vraiment sonder l’avenir quand on n’a pas même une idée de ce que pense la population algérienne aujourd’hui même ?
Ali Benhadj et de Abassi Madani sont libres mais sans droits politiques. Les deux hommes n’ont rien dit mais on a beaucoup parlé d’eux. Des journalistes étrangers se sont fait renvoyer pour l’avoir fait et le gouvernement algérien a pris le risque, pas vraiment utile, de s’attirer des remontrances. En Algérie, les commentaires sur cette libération légale n’ont guère surpris. Le MSP souhaite qu’ils participent à la résorption de la crise, le RND demande à ce qu’ils se tiennent silencieux.
Mais le plus frappant est qu’en filigrane, on continue, douze ans après l’incarcération des dirigeants du FIS, à se poser des questions sur leur influence au sein de la société. Que pèsent-ils, ont-ils les moyens d’influencer les comportements de l’électorat en cas d’élections vraies ? Difficile de ne pas relever que ce sont des questions de 1991 et qu’elles sont censées avoir été réglées par la mise en place d’institutions élues et d’un remodelage de la constitution. Mais la question concerne-t-elle l’ex-FIS ? Ne s’agit-il pas, à la faveur de cette libération crainte par les uns et souhaitée par les autres, d’une interrogation plus lourde au sujet d’une société fatiguée et éprouvée qui est devenue, au fil de la crise, aussi insondable que les jeux de pouvoirs en Algérie ?
Car s’il faut revenir au point de départ, il faudra rappeler que pour arrêter le processus électoral, le régime avait fait une sorte de mea-culpa en considérant qu’en choisissant le «FIS, les Algériens avaient apporté une mauvaise réponse à de vrais problèmes». Douze ans après, a-t-on apporté un début de réponse à ces «vrais problèmes» ? Le fait que l’on s’interroge encore sur le poids de Ali Benhadj dans la société constitue peut-être un élément de réponse.
K. Selim