LADDH: Déclaration du 3 août 2004

Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH)

Déclaration

A l’instar de tous les pays sous régime autoritaire qui ont connu des conflits et des violations graves des droits fondamentaux de la personne humaine lesquelles ont laissé des stigmates et provoqué des commotions sociales, l’Algérie doit forcement, aujourd’hui ou demain, assumer son passé en tant que produit de l’action de ses ressortissants.

Tôt ou tard, elle devra reconnaître, élucider, expliquer, et assumer les divisions, les déchirures, les errements et les abus commis par les siens sur les siens, pour qu’elle puisse, enfin, dans la sérénité, élaborer un futur partagé par tous ses enfants.

L’étude des expériences dites de réconciliation nationale qui ont été mises en œuvre de par le monde, dans des pays aussi différents que l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili etc.…, nous enseigne que si la façon de procéder varie en fonction des dynamiques propres à chaque société, il existe néanmoins des soubassements communs qui, sans exception, ont assuré le passage des régimes dictatoriaux aux régimes démocratiques respectueux des Droits de l’Homme.

En effet et dans tous les cas :

– la vérité et la justice sont des préalables à la réconciliation et à la réparation.

– La commission qui a conduit la mise en œuvre d’un tel processus est toujours indépendante du pouvoir.

– Cette tâche n’a jamais été confiée à un organisme d’Etat, qui ne peut, dans un tel contexte, rendre justice pour un acte criminel commis par ces propres agents.

Cette commission a le pouvoir de convoquer et d’entendre quiconque peut fournir des informations utiles. Dans certains pays, il y a eu même des échanges publics entre les victimes et les auteurs des abus.

-Tous ces processus ont été conduits sous des régimes de transition motivés par les seuls intérêts supérieurs de leurs nations respectives et avec la volonté politique de leur assurer une crédibilité.

Ces préalables, hélas ! Ne sont pas réunis en Algérie.

Et pourtant, quoi de plus légitime que d’insister sur l’exigence d’autonomie, et de neutralité avérées de tout organisme d’investigation.

Dans un pays où les gouvernants ont détruit la cohésion sociale et anéanti les règles morales, et où les services occultes ont étendu leurs réseaux à toutes les franges de la société, une telle exigence est fondamentale.

Dans tout pays où l’Etat n’a pas combattu le terrorisme selon les lois républicaines mais par un contre terrorisme, s’installant ainsi dans une situation de hors la loi, une coopération avec un organisme d’Etat est frappée de suspicion légitime.

Partout où l’essentiel du jeu politique se passe en dehors du parlement et du gouvernement, la collaboration avec un organisme officiel doit passer par des conditions préalables que voici:

– condition de transparence et de neutralité.

– condition de diligence et d’effectivité afin que tout engagement pour œuvrer à une solution au problème se traduise par une mobilisation effective des volontés et des moyens sur le terrain afin d’aboutir dans des délais raisonnablement courts.

– Conditions d’exhaustivité et d’imputabilité pour que tout traitement du problème des disparus soit entier et ne laisse aucun élément dans l’oubli, si douloureux soit-il. L’indentification et l’imputabilité de chaque violation doivent être un moyen de faire échec aux amalgames.

L’impératif de justice étant ce qui dérange le plus les dignitaires du régime, comment ne pas voir dans l’initiative récente visant à résoudre le problème des disparus un manœuvre téléguidée ?

S’agissant de la commission ad hoc sur les disparus, ses objectifs publiquement déclarés se résument à « recenser les disparus, localiser leurs cadavres et indemniser leurs ayants droits ». Elle n’a donc pas les prérogatives lui permettant de satisfaire au standard universel, présumant par là même que tous les disparus sont morts.

Concrètement les démarches qu’elle a entreprises jusqu’à maintenant s’apparentent plus à des manœuvres dilatoires tendant à protéger les hauts dignitaires du régime qu’à répondre au besoin de vérité et de justice du citoyen.

Les propos tenus récemment au Forum d’El Moudjahid par M. Ksentini sont contraires à l’éthique de juriste et en contradiction avec la philosophie des Droits de l’Homme.

Toutes les victimes doivent être traitées sur un pied d’égalité et on ne comprend pas pourquoi des disparus devraient être exclus de l’identification par ADN.

La recherche de la vérité ne peut se satisfaire des seuls témoignages de repentis, surtout lorsqu’il s’agit de massacres.

La loi sur la concorde civile qui n’est en réalité qu’une mesure policière par ailleurs non conforme au droit international auquel l’Algérie a adhéré ne saurait être assimilée à un acte de générosité du peuple algérien.

Offrir l’impunité à un bourreau et lui permettre de narguer sa victime dénote le gouffre qui sépare gouvernants et gouvernés.

Mais derrière ces arguties et cette manière de poser les problèmes il y a une réelle détermination à ne pas aller de l’avant.

Face à toute cette agitation fébrile pour revoir à la baisse les exigences de la conjoncture, la LADDH refuse de cautionner une démarche qui a en réalité pour but d’escamoter, malmener et bafouer une question aussi cruciale.

Devant de telles visées la LADDH réaffirme :

– l’urgence et la nécessité de connaître la vérité sur toutes les violations perpétrées tant par les forces gouvernementales que par les groupes armés islamistes et notamment celles dont les répercussions sont considérables comme les viols, les disparitions forcées, les exécutions sommaires et les massacres de population.

– La nécessité de mettre fin à l’impunité, d’identifier les auteurs et de les juger pour empêcher de futures violations.

Il va sans dire que cette tâche considérable et ardue ne peut être menée à bien que par une commission indépendante composée de personnalités de haute valeur morale, reconnues pour leur impartialité, leur intégrité, leur compétence et ayant fait preuve d’un engagement pour la cause des Droits de l’Homme.

La LADDH observe avec tristesse les comportements de ceux qui, toute honte bue, s’attellent sans talent à instrumentaliser les Droits de l’Homme, à les vider de leur substance. Elle dénonce énergiquement toute formule qui relève d’un bas calcul politique et qui dénierait aux Algériens le droit à la vérité et à la justice.

La LADDH dénonce une démarche politique qui consiste à « effacer » les violations massives des Droits de l’Homme.

Enfin la LADDH se déclare disposée à apporter une contribution forte et constructive à toute initiative interne ou externe qui se fixera pour but un traitement loyal, global et définitif de ce douloureux problème.

Alger le 03-08-04

Le Bureau National

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