La chose

La chose

Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 6 mars 2006

L’ordonnance promulguée, les mesures d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation sont mises en oeuvre avec célérité. On connaît le leitmotiv qui est à la base de la démarche du pouvoir: tourner la page et passer à autre chose.

Nous voilà donc dans une paix et une réconciliation qui passent inaperçues, hormis pour ceux qui bénéficient de mesures d’élargissement ou d’extinction des poursuites.

Le référendum sur la charte sert d’argument pour clore des questions cruciales qui n’ont pas encore été abordées. Un référendum répond bien à une question: il permet au pouvoir de prendre les mesures qu’il juge utiles. Mais il est difficile d’en tirer argument pour clore un débat sur les causes profondes d’une crise qui a meurtri la société algérienne. Or, tout semble s’organiser pour qu’il n’y ait pas matière à débattre, comme si tous les enseignements avaient été tirés et que notre pays avait définitivement purgé, par une thérapie dictée par le haut, tous ses problèmes.

Nous savons tous que ce n’est pas le cas et que les seules leçons valables sont celles qui pénètrent profondément le tissu social, celles que les Algériens tirent en s’impliquant en tant que citoyens. De toute évidence, on a considéré qu’une telle démarche était trop «risquée» en raison des blessures et des rancoeurs accumulées.

Mais se donne-t-on vraiment les moyens de les traiter, ces rancoeurs qui pèsent lourdement et qui pèseront encore longtemps ? Que dire de ces dispositions pénales prévues par l’article 46 de l’ordonnance contre quiconque «utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale», si ce n’est qu’elles offrent une marge d’interprétation si élastique qu’elles sont déjà perçues comme un interdit formel d’essayer de comprendre et d’analyser cette période cruciale de la vie de la nation.

Il est loisible de constater déjà qu’hormis les familles des personnes élargies dans le cadre de ces dispositifs prévus par l’ordonnance, la société semble étrangement absente de cette page qu’elle ne voit pas vraiment tourner. S’est-on vraiment donné les moyens pour qu’elle se sente concernée, pour qu’elle comprenne, quand tout semble être définitivement mené par le haut tel un rouleau compresseur ?

On le sait, un des problèmes lourds de la société algérienne est un défaut d’accumulation et de transmission des expériences historiques. Chaque génération se retrouve dans la situation inconfortable de devoir tâtonner pour réinventer les choses en prenant le risque de refaire les erreurs des aînés et des ancêtres.

Nous voilà, encore une fois, contraints collectivement et individuellement à passer à «autre chose», sans chercher un sens à cette «chose» que nous avons vécue et subie. En conservant l’espérance, peut-être vaine, que la société algérienne a tiré au moins la conclusion que la violence n’est pas et ne peut être une solution…