Bouteflika: « L’amnistie générale n’est pas de mon ressort »
Le président Bouteflika hier au siège de l’UGTA
« L’amnistie générale n’est pas de mon ressort »
El Watan, 24 février 2005
Le président Abdelaziz Bouteflika a déclaré que l’amnistie générale n’est pas de son ressort. Interpellé hier par une victime du terrorisme lors de son discours à la Maison du peuple, siège de l’UGTA, à Alger, le chef de l’Etat a réagi avec énergie : « C’est le peuple algérien qui va vous venger. »
« Je n’ai pas de prérogatives pour décider du projet de l’amnistie générale. Seul le peuple pourra trancher la question », a-t-il indiqué avant d’enchaîner : « Est-ce qu’on consolidera la paix et la stabilité en augmentant le nombre des victimes qui sont déjà de près de 150 000 et les pertes matérielles qui s’élèvent à 30 milliards de dollars ? » La réponse est, à ses yeux, claire : « Le peuple est fatigué. » Le président a reconnu qu’il sera incapable de demander au peuple de se prononcer sur le projet de l’amnistie s’il pressent que ce dernier n’est pas prêt à pardonner. « J’attends que les plaies soient cicatrisées et les cœurs apaisés », a-t-il lancé. Avant cette précision de taille sur un projet qui occupe la scène nationale, le président de la République est revenu sur la situation économique et son programme de réformes. Il n’a pas caché ses inquiétudes. Après avoir reçu les remerciements des adhérents de l’UGTA à travers leur premier représentant, Abdelmadjid Sidi Saïd, le chef de l’Etat est monté à la tribune pour n’en descendre que trois heures et demie plus tard. A la veille de la célébration du double anniversaire de la création de l’UGTA et de la nationalisation des hydrocarbures, qui correspondent au 24 février 1956 et 1971, M. Bouteflika a revendiqué sa part de syndicalisme. « Nous sommes tous des syndicalistes », a-t-il déclaré. Long, son discours était truffé d’anecdotes, de regrets et de bons souvenirs. Le premier magistrat du pays s’est plaint d’avoir hérité des erreurs du passé. « Laissez-moi vider mon cœur… », a-t-il demandé aux syndicalistes présents dans la salle Abdelhak Benhamouda. « Le taux de chômage est de 13%. Ce sont là des chiffres délivrés par des organismes internationaux », s’est-il targué avant de tenter de rassurer les travailleurs : « j’avais refusé, dans les années 1960 et 1970, la location des bases pétrolières et j’étais parmi ceux qui s’étaient battus jusqu’à la nationalisation des hydrocarbures. ». Après quoi, le Président revient à l’actualité. « nous avons endossé l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures, hier (mardi, ndlr). Nous allons attendre son application et voir les résultats. S’il ne répond pas à nos aspirations et attentes, nous n’hésiterons pas à le changer. Ce n’est pas du Coran ! », a-t-il promis. Le Président, qui a avoué que les changements « nous ont été imposés », a lancé un avertissement : « Celui qui a comploté quelque chose contre le pays, nous ne lui souhaitons que du mal. » Sur sa lancée, le chef de l’Etat a rassuré que les richesses stratégiques du pays appartiennent à l’Etat et au peuple et le demeureront. « La souveraineté nationale n’est pas à vendre au Beau Marché », a-t-il indiqué au milieu d’applaudissements. « Beaucoup de problèmes subsistent. Main dans la main, nous arriverons à les résoudre et à affronter l’avenir. Nous sommes dans l’exigence de rattraper le temps perdu », a-t-il ajouté. Pour lui, l’appel lancé à la cohésion « ne signifie en aucune manière que nous devons entrer dans un nouveau moule idéologique étriqué ou centré à l’excès ». M. Bouteflika s’est dit attaché à la promotion et au renforcement des cadres institutionnels de dialogue et de concertation. Il a insisté sur la nécessité d’élaborer « une charte citoyenne et un pacte économique et social ». Ce dernier permettra, d’après lui, de mieux arbitrer lorsque les objectifs économiques et sociaux se contrediront. En finir avec la dépendance Rappelant que les hydrocarbures occupent 98% des exportations, M. Bouteflika a fait comprendre que nous n’avons pas d’économie, en dehors de l’exploration de ces richesses naturelles. « S’il y a suffisamment d’hydrocarbures pour nous, qu’est-ce que nous allons laisser aux générations à venir ? », a-t-il demandé à l’assistance, avant d’ajouter : « Il n’y a pas de miracle à l’horizon. Nous sommes devant un dilemme, à un carrefour. Si nous ne retroussons pas les manches… ». Evoquant les privatisations, pour lesquelles l’UGTA est favorable, le président a fait ce constat : « Les unités publiques de production sont désuètes. L’Etat les a longtemps financées et ne peut plus le faire encore. » La privatisation est, pour lui, un moyen de créer des richesses. « Les entreprises publiques ne sont pas mes biens pour les vendre. Je sens vos craintes. Mais nous n’avons pas d’autres issues. Il faut que nous sortions notre économie de sa dépendance entière des hydrocarbures. La privatisation ne se fera pas au détriment des travailleurs et l’Etat aidera les entreprises publiques performantes », a-t-il souligné. M. Bouteflika a sollicité l’aide des syndicalistes pour asseoir sa politique économique, tout en considérant que les Algériens ne travaillent pas, sinon peu. Pour lui, il est temps de tirer les enseignements du passé. « Si nous avions travaillé seulement 8 heures par jour, nous ne serions pas arrivés à notre situation actuelle », a-t-il lancé. Appelant à la rupture avec le « populisme » et à se réconcilier avec soi-même, il a mis en garde ceux qui mettent l’intérêt personnel au-dessus de l’intérêt national. « Nous allons les combattre et nous les suivrons de près. Nous n’en lâcherons aucun », a-t-il menacé. « Je ne vise personne, car je parle d’une manière générale », a-t-il précisé.
Mokrane Ait Ouarabi
BOUTEFLIKA A LA MAISON DU PEUPLE
Un sévère réquisitoire
Le Quotidien d’Oran, 24 février 2005
Le président de la République a commémoré, hier, le 34è anniversaire des nationalisations, un jour à l’avance et par un discours fleuve durant lequel il a présenté les réformes économiques comme unique alternative à la sortie de crise.
Il a appelé, hier, à un pacte économique et social entre le gouvernement, le patronat et le syndicat UGTA, pour éviter à l’Algérie de buter sur les récifs de la conjoncture et réussir le pari des réformes. Son appel traduit en fait la garantie qu’il est venu expliquer publiquement aux militants de la centrale syndicale, dans leur quartier général de la maison du peuple pour convaincre les plus sceptiques d’entre eux -il y en avait, hier, dans la salle des meetings- de la pertinence du soutien que leur direction nationale vient d’apporter à l’adoption du projet de loi sur les hydrocarbures.
Pour ce faire, Abdelaziz Bouteflika a usé de tous les registres politiques possibles: un discours fleuve de près de quatre heures mêlant le sérieux à l’humour, la gifle à la caresse, l’éloge à la critique, le rire fou aux larmes sèches, et par lequel il a brossé, en maître de la parole publique, le tableau d’un pays souffrant de tous les défauts -suffisant et vivant sur des acquis menacés- mais qui peut s’en sortir pour peu que ses enfants s’arrêtent de «se mentir à eux-mêmes» et se mettent à travailler «comme toutes les nations avancées» et dont ils envient le modèle. Doctrinaire du libéralisme à visage humain, il dira que les réformes sont «incontournables» et qu’elles libéreront le pays des «séquelles du dirigisme» qui l’a bloqué. Moraliste, il scandera que les changements ne laisseront sur le bord de la route que ceux qui ne comprennent pas que le temps est venu de «se retrousser les manches et de redonner au travail le respect qu’il mérite». Conteur hors pair, il puisera dans le terroir populaire une foule d’anecdotes et de mots d’esprit pour stigmatiser les «défauts» des Algériens, leur «goût immodéré pour la rente», un terme par lequel il a, par une hilarante boutade, illustré en pointant un doigt accusateur en direction du rang occupé par ses ministres et les membres de son gouvernement qu’il a cloué sur place alors que la salle hésitait entre le silence et le rire.
Un spectacle faussement subversif comme on en a rarement vu ces dernières années -Rabelais à la maison du peuple!- mais dont le fond ne souffre d’aucune équivoque. «Je donne l’impression, a avoué le chef de l’Etat, d’emprunter des chemins tortueux «qui me sont imposés parfois par la réalité du pays» mais «je ne perds jamais du regard l’objectif stratégique» que je me suis assigné pour «replacer le pays à la place qui doit être dignement la sienne». Avant d’aborder frontalement le projet de loi sur les hydrocarbures, M. Bouteflika a, en effet, pris tous les chemins de traverse possibles. Il a évoqué, tour à tour, «la trajectoire contrainte de l’Algérie indépendante», «les bourdes» commises de bonne foi, les «espoirs renouvelés» d’une Algérie qui est toujours là malgré le «malheur» et la «légitimité indiscutable» de l’UGTA qui avait le droit de refuser le projet de loi avant de comprendre son enjeu.
Il n’y a pas de miracle à l’horizon. Il faut vaincre le tropisme des hydrocarbures. Il faut générer de nouvelles richesses pour qu’elles soient léguées aux générations futures, a-t-il enchaîné avant de retendre à nouveau la perche à l’UGTA en jurant devant la salle que le plus grand malheur du pays «vient du populisme et de la nostalgie larmoyante» pour un passé qu’il faut, désormais, regarder comme une séquence d’une histoire en marche et non plus comme un «âge d’or sublimé» et qui «peut nous faire oublier le présent».
Abordant le 24 février 1971, il dira: «j’étais depuis 1966 un des quatre artisans des nationalisations. Nous étions un groupe d’hommes: Boumédiène, Belaïd Abdesslam, Medeghri et moi-même à le faire dans la ligne du recouvrement de notre souveraineté» et dans une logique économique qui n’a plus aucun rapport avec celle qui nous est contemporaine.
Il ajoutera devant une assistance subjuguée qu’il n’a «aucun complexe» à constater que cette «logique révolue» du socialisme pur et dur a laissé place à des bouleversements «imposés de l’extérieur» mais à propos desquels il convient d’avoir «dans ce contexte de mondialisation» une posture intelligente en faisant valoir les vertus du dialogue, «sans léser les droits des travailleurs et sans brader le patrimoine national». «Le pays n’appartient pas à mon père pour que je le vende. Mais personne n’a le droit de laisser périr dans le désinvestissement le patrimoine des chouhada. Nous ne sommes pas meilleurs, ni plus intelligents que les Chinois et les changements dans le monde sous le rouleau compresseur de la globalisation nous obligent à nous adapter», a-t-il expliqué.
Ainsi, le président de la République a clos, hier, une séquence historique -février 1971-février 2005- qui aura duré trente-quatre ans moins un jour, pour cause de son voyage aujourd’hui à Madrid.
Mais toujours à l’aune de la contradiction rassurante. «Je suis convaincu de la justesse de la démarche contenue dans le projet de loi sur les hydrocarbures, mais sachez, a-t-il dit aux militants syndicalistes qui l’ont apostrophé, que ce n’est pas le Coran. S’il nous permet de réussir, c’est tant mieux. Si ce n’est pas le cas, nous le changerons». Je respecte Marx et Lénine, a-t-il répété, mais je ne crois qu’ils aient un lien avec le génie algérien. L’UGTA, à qui il a promis des jours meilleurs -nous ne connaissons qu’elle, a-t-il lancé- n’a qu’à faire dans les morceaux choisis. Les nationalisations, elles, sont bel et bien rangées dans les manuels d’histoire.
Noureddine Azzouz