Appel aux familles des disparus d’Algérie

Appel aux familles des disparus d’Algérie

Ahmed Simozrag, 22 novembre 2005

Honorables familles des disparus, ouvrez-bien les yeux ! Ne vous-laissez pas berner par le discours mielleux de ceux qui vous ont endeuillés. Ceux qui vous ont fait pleurer hier, veulent vous faire taire aujourd’hui. Tout se vend et s’achète sauf la vie. En vous indemnisant, le pouvoir algérien veut acheter votre silence. Ainsi, il fait disparaître une deuxième fois les êtres chers qu’il vous a cruellement arrachés et fait disparaître la première fois. Aujourd’hui, ce même pouvoir tente de réparer les crimes qu’il a commis envers vous. A quel prix et avec quel argent ? Toute la richesse de l’Algérie ne peut compenser un seul être ! Les dépouilles de vos fils, de vos époux sont encore fraîches et les plaies encore béantes pour qu’on ne puisse vous faire oublier les douleurs de leur disparition. C’est une grave offense à leurs mémoires et ils ne vous pardonneront jamais le bradage de leur sang à vil prix. Qui plus est, une indemnisation perçue des mains de leurs tortionnaires et de leurs assassins, est une indemnisation pour le moins amère, comme si on mangeait leurs cadavres ; si l’indemnisation était effectuée par un autre régime, par d’autres dirigeants, ce pourrait être à la rigueur acceptable. Comment prendre l’argent d’un pouvoir qui blanchit et couvre les bourreaux et les criminels, qui vous prive de vos droits à la vérité et à la justice. C’est une honte ! Un sacrilège même ! Demain ils pourront récidiver, commettre d’autres crimes de tortures et de disparition. Il suffit d’interroger votre conscience, ô mère, épouse de disparu, il suffit de vous mettre à la place de votre fils, de votre époux pour avoir une réponse claire à la question d’indemnisation. Ce n’est pas un drame causé par un événement naturel ou un accident de la circulation pour accepter à la hâte un dédommagement et y passer l’éponge. Il s’agit d’une extermination systématique, planifiée, délibérée et ciblée d’une catégorie de la population, de la crème de la jeunesse, des meilleurs enfants de la nation en terme d’intelligence, de vertu, d’utilité, de bonne conduite. Il ne s’agit pas seulement d’un génocide, mais aussi d’un intellecticide. Un crime contre l’humanité qu’on s’évertue à dérober à la nation et à la mémoire. La vérité est en marche et la justice n’est pas loin de triompher. Bientôt, justice vous sera rendue, en Algérie ou ailleurs, la justice internationale ne cesse de faire du progrès, vos plaintes sont déjà recevables dans de nombreux pays en Europe et en Amérique en vertu du principe de compétence universelle. La Charte pour la paix et la réconciliation ne fait que renforcer le bien-fondé de votre cause au regard du droit international du fait qu’il s’agit de crimes imprescriptibles que les juridictions algériennes sont dans l’impossibilité légale de juger. L’égalité devant la mort veut que tous les êtres humains aient la même valeur et la même considération. Il est bien temps d’interpeller les consciences et tout un chacun pourquoi l’assassinat de Rafiq Hariri a-t-il ébranlé le monde ? Pourquoi autant de moyens sont mobilisés pour retrouver les assassins de ce dernier, alors que peu de gens seulement se sont émus de la disparition de vos proches ? Doit-on considérer que les dix-huit mille disparus d’Algérie valent moins que la disparition d’une seule personne au Liban, en Argentine ou au Chili ? Il est insensé de prétendre au succès de la réconciliation avant de faire la lumière sur les crimes de tortures, de massacres et de disparitions. Il est également insensé d’accepter l’indemnisation avant de connaître la vérité sur le sort des disparus, morts ou vivants et avant de récupérer les corps des morts et de retrouver les vivants.

Ahmed Simozrag avocat,

membre fondateur de Justicia Universalis