Le verrouillage des importations, une chimère

En l’absence d’un environnement propice à la production

Le verrouillage des importations, une chimère

El Watan, 12 février 2018

Dans les grandes surfaces, les petits commerces de proximité ou chez les grossistes, certains produits auxquels se sont habitués les consommateurs algériens ces dernières années se font rares, voire sont absents sur les étals. Résultat des mesures portant restriction des importations. Mais, ce n’est pas seulement le cas des produits de large consommation ou de consommation courante.

Les barrières à l’importation conjuguées aux entraves à la production ont eu également leur lot d’impacts sur d’autres produits entrant dans le processus de transformation industrielle dans plusieurs filières, à l’image de l’agroalimentaire et du bois.

Et cela se poursuit avec les annonces qui se multiplient dans ce cadre. En effet, de rebondissement en rebondissement, le dossier des importations continue à faire débat. Depuis fin 2015, date de l’annonce du recours au système des quotas, les mesures s’enchaînent, se chevauchent et se contredisent parfois.

Ainsi, après avoir grandement ouvert les portes aux marchandises importées sans contrôle rigoureux de celles introduites sur le marché national et des transactions commerciales, voilà qu’on assiste aujourd’hui avec la crise à des tentatives de recadrage des importations à travers des mesures jugées incohérentes par les experts ou par les industriels, mais nécessaires pour les pouvoirs publics face à la détérioration des réserves de change.

«Depuis 2015, les gouvernements successifs se sont fixé comme objectif la réduction de la facture des importations en adoptant des mesures protectionnistes», rappelle à ce sujet Brahim Guendouzi, spécialiste en commerce extérieur. «Il est vrai qu’il y a lieu de réduire la facture des importations, mais n’oublions pas que 70% des intrants industriels proviennent des marchés extérieurs», note pour sa part l’économiste Mohamed Badis, mettant en garde contre la compromission de l’outil industriel à travers un tel dispositif. «Il ne faut jamais s’attaquer aux importations mais plutôt prendre en charge les exportations.

Car, il y a un problème de production», expliquera-t-il avant de résumer : «C’est l’économie réelle qui pose problème en Algérie.» Pour notre expert, une des mesures phares à imposer aux importateurs est de chercher des canaux à l’exportation. Autrement dit, imposer des quotas d’exportation (dans des secteurs où la production est importante) aux importateurs. Et ce, de manière à permettre au commerce extérieur de s’auto-équilibrer.

Protectionnisme

«Vouloir verrouiller les importations, c’est en quelque sorte porter préjudice au potentiel à l’exportation. D’autant plus que l’Algérie a un besoin crucial en matière de diversification des produits à placer sur les marchés extérieurs», estime de son côté Brahim Guendouzi pour qui le lobby des importateurs voit ses intérêts menacés avec ce dispositif protectionniste mis en place. «Une décantation se fera nécessairement pour amener certains à installer des capacités de production, comme c’est déjà le cas pour l’automobile ou l’industrie pharmaceutique», fera-t-il encore remarquer.

Or, la restriction des importations a induit des insuffisances de matières premières dans certains segments d’activité pour bon nombre d’observateurs. Pour le bois par exemple, la pénurie n’a pas été sans conséquences sur les prix et sur l’essor de la filière. «Les acteurs de la filière bois ont eu une année 2017 désastreuse.

Ils vont donc penser à rattraper les dépenses perdues cette année en jouant sur les prix», expliquera-t-il pour évaluer l’impact des mesures mises en œuvre sur la filière. Un impact fortement ressenti par les artisans. «J’ai eu du mal à honorer les commandes», nous confiera d’ailleurs un menuisier à ce sujet, comme pour dire que les barrières à l’importation ont ralenti la cadence du travail et réduit sa production.

«On a essayé de régler le problème du commerce extérieur avec des mesures administratives qui ne mènent nulle part», estime pour sa part l’économiste M’hamed Hamidouche avant de poursuivre : «La balance de paiement, ce n’est pas le problème du gouvernement mais celui de la Banque centrale, c’est-à-dire qu’elle est liée à la politique monétaire».

Incertitudes

Rejoignant M. Badis dans son analyse, il notera que la solution réside dans l’alimentation du marché avec la production locale en prenant en charge le dossier des investissements via des solutions effectives à l’épineuse question du foncier industriel. Pour M. Hamidouche, c’est la seule manière d’encourager la production nationale loin des dispositifs administratifs qui ont fini par avoir l’effet inverse selon certains producteurs, mais aussi à créer un climat d’appréhension.

«Ce climat d’incertitude ne favorise pas l’esprit d’investissement et d’engagement des entrepreneurs», nous confie dans l’entretien qu’il nous a accordé Mohand Touazi, industriel (dans la filière bois) et membre du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (CARE).

«Difficile pour nous de travailler dans l’incertitude avec les annonces qui se suivent. Nous ne nous pouvons pas aussi faire des prévisions sachant que nous risquons des ruptures de stocks à tout moment», se plaint un autre industriel spécialisé dans la production de concentré de fruits utilisés notamment dans la filière boissons, rencontré en décembre dernier à l’occasion de la 26e édition de la Foire de la production nationale.

A cette inquiétude, le ministre du Commerce Mohamed Benmeradi a répondu dans l’entretien accordé la semaine dernière à l’APS :

«Ceux qui sont en train de contester cette mesure sont ceux qui activent dans des filières que nous avons totalement protégées puisque nous avons interdit l’importation du produit fini.

Donc, nous leur avons offert un marché sur un plateau», appelant par la même occasion les industriels, notamment dans l’agroalimentaire, à travailler en amont avec les agriculteurs. Pour illustrer ses propos, il citera l’exemple de la filière boissons dont l’Association (APAB) a pour rappel contesté les mesures.

Ainsi, M. Benmeradi a indiqué que les producteurs locaux utilisent l’eau comme seul intrant local et considèrent le sucre comme produit national par le seul fait qu’il soit raffiné localement, tandis que le reste des intrants est importé de l’étranger, y compris les arômes et les purées de fruits qui sont, pourtant, fabriqués localement. Mais qui ne couvrent pas totalement les besoins des industriels.

Ce que n’a pas relevé le ministre, qui s’est montré catégorique : «Il faut que les entreprises locales apprennent à ce qu’une bonne partie des intrants soit produite localement. C’est ce que nous voulons.

En créant ce choc, nous allons encourager les entreprises algériennes à développer leur production et à utiliser les intrants produits localement.» Mais là aussi, il faudrait que les acteurs de différentes filières notamment agricole s’organisent en coopérative. Un travail sur lequel s’est penché le ministère de l’Agriculture sans pour autant enregistrer des résultats probants, à quelques exceptions.

Evaluation

Côté commerce, l’impact se fait également ressentir. L’activité est en baisse dans les marchés de gros des produits agroalimentaires, comme nous le dira ce grossiste basé à Bab Ezzouar aux côtés de nombreux autres commerçants activant dans le gros et le demi-gros.

«Nous travaillons avec les produits locaux. Fini l’importation, notamment pour les noix et les noix de cajou dont les prix ont fortement augmenté. Il a suffi qu’on annonce la liste des 851 produits concernés par l’interdiction d’importation pour que les prix flambent chez nos fournisseurs qui nous livrent actuellement les stocks de 2017.

Par exemple, les noix ne se vendent pas à moins de 3500 DA le kilo.» Cela pour dire que les prix ont augmenté pour les produits interdits d’importation, mais encore disponibles dans les zones de stockage des importateurs.

Une hausse évaluée à 15-20%, selon Hadj Tahar Boulenouar, président de l’Union nationale des commerçants algériens (UNCA) qui nous dira : «Jusqu’à présent, l’interdiction d’importation de 851 produits n’a pas eu d’impact important. Il y a un stock suffisant pour couvrir la demande jusqu’à fin 2018. Mais si on ne révise pas la liste, il y aura sans nul doute un décalage entre l’offre et la demande.

C’est le cas pour les fruits secs dont les besoins sont importants durant le mois de Ramadhan.» Et d’enchaîner : «Heureusement que le ministère du Commerce va évaluer périodiquement la liste pour une éventuelle révision. C’est que nous allons demander la levée de suspension d’importation pour les légumes secs.

Car, d’ici septembre prochain, les quantités disponibles vont baisser pour ces produits.» Le ministre avance en effet recevoir ces demandes au même titre que celles liées à la protection.

M. Boulenouar ne manquera pas par ailleurs de souligner que le commerce du cabas est toujours actif. Ce qui profite à certains commerçants qui trouvent leur compte dans ce créneau. C’est le cas, à titre illustratif, pour les cosmétiques. Dans ce segment, ils sont nombreux à profiter de cette situation en alimentant leurs clients via Paris, Dubaï, Barcelone… par le biais «des cabas».

Ce qui profite au secteur informel. Un point que le ministre a omis de relever la semaine dernière, soulignant que la mesure de suspension à l’importation de 851 produits devrait permettre à l’Algérie d’économiser un montant en devises de l’ordre de 1,5 milliard de dollars sur une année, soit 8,4% du déficit commercial de 2016 et 18,24% de la facture alimentaire de la même année (8,22 milliards de dollars).

Samira Imadalou