Qui portera le fardeau ?

Qui portera le fardeau ?

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 20 décembre 2014

L’abrogation de l’article 87 bis qui déplaît beaucoup aux patrons algériens, privés et publics, ne sera pas remise en cause par la chute actuelle du prix du pétrole. Les subventions non plus ne seront pas touchées. Deux ministres sont montés au créneau pour dire que ce qui a été décidé dans la loi de finances 2015 ne sera pas effacé. Le ministre du Travail a même dénoncé une «intox» au sujet d’un éventuel renoncement à l’abrogation de l’article 87 bis, une disposition qualifiée de «scélérate» qui bride le salaire minimum depuis 1995 en y intégrant les primes et les indemnités. Le même ministre se réserve une marge en indiquant que la mesure touchera «d’abord» les bas salaires avant d’être étendue «progressivement» aux autres classes.

Pas d’engagement précis en termes de délais, ce qui permet, éventuellement en cas de plongée durable des prix du baril, de reporter l’application… Même si les experts donnent des chiffres avec des écarts très importants sur l’impact de l’abrogation de l’article «scélérat», il aura un coût. Le maintien des subventions n’est pas non plus pour surprendre, les responsables algériens ont suffisamment insisté sur le fait qu’il existe déjà des «amortisseurs» pour ne pas avoir à prendre des mesures qui mettraient en péril une paix sociale très relative. Il y a pourtant des projections pessimistes sur une baisse de prix qui pourrait durer longtemps et qui commande de ne pas faire la politique de l’autruche.

Le grand problème dans le débat économique en Algérie est qu’il se déroule entre une bureaucratie d’Etat et des experts proches du patronat. Les opinions de ce dernier sont très fortement représentées dans les médias, celle de la bureaucratie d’Etat, qu’incarnent les ministres, ne manque pas non plus de moyens. Les classes populaires ne sont pas représentées dans ce débat – ou alors de manière éparse à travers les syndicats autonomes – qui se limite depuis des années à des exigences de libéralisation et de rigueur budgétaire exprimées par des experts et des économistes libéraux. La bureaucratie d’Etat y répond en général en rappelant aux privés qu’ils sont nés «chez nous, dans l’Etat» et invoque un souci de «paix sociale».

C’est cette bureaucratie d’Etat qui se fait de facto le «représentant» par défaut des classes populaires. Une fausse représentation ! C’est ce que pourraient dire les «autonomes» qui constatent que la bureaucratie d’Etat est en général sur une position purement défensive face aux attaques récurrentes contre les subventions ou la suppression qui viennent des milieux libéraux. Pour eux, si les cours du pétrole baissent durablement, ils vont finir par céder aux exigences des nantis. Le discours est déjà prêt, notent-ils. Les années des vaches maigres qui se profilent vont effectivement poser la question de qui va «subir le fardeau» de la rigueur.

Les subventions sont fortement décriées. Certaines d’ailleurs méritent d’être revues comme les subventions aux carburants et à l’électricité qui favorisent les trafics et le gaspillage. Et elles profitent d’ailleurs davantage aux plus riches. Comment faire en sorte que ces subventions «ciblent» ceux qui en ont réellement besoin, c’est un débat qui comporte un aspect technique. Mais son application dépend aussi de facteurs politiques comme l’efficacité et la probité morale et professionnelle de l’administration. Le débat peut être ouvert, mais la focalisation sur les subventions fait oublier – peut-être sciemment – qu’il y a des économies substantielles à faire ailleurs par la transparence et l’application des lois. Par la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale.

La bureaucratie a un pouvoir qui échappe au contrôle des citoyens, elle le monnaye. Les scandales récurrents nous le rappellent : on se fait de l’argent en plaçant dans les «bons carrefours» et en connexion avec les entrepreneurs. Quelle légitimité pourrait avoir une politique dite de «rigueur» qui s’attaque aux subventions si le mode de gestion actuel perdure ? Ceux qui sont au pouvoir le savent, cela ne passera pas chez les classes populaires. C’est cette nuisance potentielle qui explique que l’on continue à avoir le souci de la «paix sociale».