Départ à la retraite de Mohamed Touati

Départ à la retraite de Mohamed Touati

Le généralthéoricien au repos

El Watan, 8 août 2005

A 68 ans, le général-major Mohamed Touati, conseiller à la présidence de la République pour les affaires de défense, a fait valoir ses droits à la retraite.

L’élégant archonte polémarque, ancien chef d’état-major de la gendarmerie au début des années 1980, cet ancien juge d’instruction militaire a rejoint l’état-major de l’armée en 1989 pour entamer une carrière de stratège politique assurant une sorte de jonction entre l’Armée et le politique durant ces quinze dernières années. Les cercles politico-médiatiques d’Alger imputent à celui qu’on surnomme « El Mokh » (le cerveau, ndlr), un rôle déterminant, notamment dans la décision de l’annulation du deuxième tour des élections législatives de janvier 1992. En octobre 2002, lors du colloque sur le terrorisme à Alger, il a donné sa version des faits en attaquant les « autorités qui persistèrent à faire tenir, après juin 1991, sous pression du FIS des élections anticipées dans une ambiance délétère ». Touati a également assuré que la démission du Président Chadli Bendjedid en janvier 1992 ne s’est pas déroulée sous la pression des généraux. « En décembre 1990 avec deux collègues généraux, nous avions élaboré un document où nous recommandions de ne pas aller à des élections législatives anticipées tant qu’on n’avait pas recomposé le paysage politique, c’est-à-dire conforter les partis démocrates, consolider le FLN, contenir les partis islamistes dans le strict respect de la loi », avait-il déclaré à El Watan. L’Armée devait-elle procéder elle-même à cette « reconfiguration » ? Touati ne l’a pas précisé. Le processus national a plutôt pris la piste de la violence et de la contre-violence. Face à la démonopolisation de la violence, Touati a expliqué, lors du colloque, que les « autorités algériennes ont écarté une mobilisation de ‘’type guerre’’ ». « L’objectif était de lutter contre le terrorisme et non le détruire. Il y avait des réticences à lancer une véritable opération de guerre », a-t-il appuyé. Hésitation qui semble aujourd’hui même caractériser la démarche des pouvoirs publics pour sortir de la situation de crise sécuritaire qui perdure. « Quant à la concorde civile, il s’agit là d’une loi de portée sécuritaire dont les effets sont connus et dont l’application a été diversement appréciée », a déclaré le « Cerveau » en février 2004 à la revue trimestrielle Afkar-Ideas. Mohamed Lamari, l’ancien chef d’état-major, représentait le bras opérationnel de la lutte antiterroriste. Touati paraissait en être le théoricien qui partageait son temps durant ses dernières années de fonction entre ses bureaux à la Présidence et au ministère de la Défense et son hobby favori : la lecture. Le départ de ces deux hommes semble s’inscrire dans le même processus de normalisation. Il s’agirait d’imposer une certaine vision de l’après-guerre qui écrase tout relief d’ambiguïté. Un haut gradé de l’armée, rencontré lors du colloque sur le terrorisme en 2002, se demandait en contrôlant sa colère : « Je veux bien de la réconciliation nationale à condition qu’on précise de quoi il s’agit exactement, à condition qu’il soit établi un programme, des objectifs, des délais. » Trois ans plus tard, le flou reste toujours de mise autour du concept le plus employé dans la littérature officielle et partisane.

Adlène Meddi


MOUVEMENT AU SEIN DE L’ANP

Bouteflika recherche la cohésion de l’armée

L’Expression, 08 août 2005

Le maintien des équilibres au sein de l’institution militaire a été à la base de tous les mouvements de fond qui l’ont touchée depuis juillet 2004.

Le « grand mouvement » annoncé qui a touché des officiers généraux de l’ANP, n’a, en fait, concerné que deux : le général Mohamed Bouacha, directeur de l’administration et des services communs (Dasc), appelé à d’autres fonctions, et remplacé par le colonel Mokrani, et le général-major Mohamed Touati, conseiller aux Affaires de défense auprès de la présidence de la République.
Cet «effacement» de deux généraux de la chaîne de commandement de l’armée algérienne peut être interprété comme un «mouvement régulier» au sein de l’armée et l’état-major du MDN, lequel renouvelle ainsi, à chaque occasion, ses structures dirigeantes et pourvoit les postes qui exigent de l’être. Cette version est d’autant étayée par le fait que, concernant le général Mohamed Bouacha, il s’agit d’un directeur d’administration en poste depuis près de treize ans. Les impératifs sécuritaires, et pour maintenir une certaine cohésion au sein de l’armée, ont fait que des officiers ont gardé pendant longtemps le même poste. Ce qui n’est plus de mise aujourd’hui.

L’adieu aux armes
Concernant le cas Touati, on peut dire qu’il s’agit là un officier largement «retraitable». A 68 ans, le général-major semble de plus en plus effacé, dans un contexte où se projette une réconciliation politique dans laquelle son statut, son profil et sa démarche politico-sécuritaire affichés depuis une vingtaine d’années, ne s’imbriquent pas. L’autre version de ces deux changements est que le président de la République recherche une totale cohésion au sein de l’état-major de l’armée. Depuis le départ du général de corps d’armée, Mohamed Lamari, plusieurs «liftings» ont été opérés, et une série de changements a touché principalement les postes de commandement des Régions militaires et certaines hautes fonctions au sein des Forces terrestres, navales et aériennes. C’est dans ce sillage qu’ont été enregistrés les départs de généraux-majors tels Brahim Fodhil-Chérif commandant de la 1re Région militaire (Zone hautement stratégique et opérationnelle, et qui est constituée des principales wilayas du centre du pays, en plus de la capitale), et du général-major Mohamed Benslimani, commandant des Forces aériennes. Evidemment, le départ du général-major Mohamed Touati, qui, de par les missions et prérogatives dont il était investi, occupait un poste plus politique que militaire, s’explique par un motif très simple et complexe à la fois : l’homme ne répond plus au profil exigé.
Touati était non pas uniquement un des chefs de file du clan appelé communément des éradicateurs, mais aussi son stratège, sa tête pensante et son «spin doctor». Théoricien du groupe des «janviéristes», il avait contribué à l’arrêt du processus électoral en 1991 et ne s’en cache pas. Lors du colloque international d’Alger sur le terrorisme organisé les 26, 27 et 28 octobre 2002, il dira que «par cet acte républicain, la démocratie avait été sauvée en Algérie». S’assumant jusqu’au bout, il n’a pas caché son hostilité à tout compromis avec les islamistes. Avec les départs successifs, depuis 1997, de Nezzar, Lamari, Fodhil-Chérif, etc. c’est pratiquement tout le clan qui s’efface à la lumière de nouvelles dispositions politiques.

Objectifs politiques et stratégiques
A la politique précédente éradication-exclusion, le président Bouteflika privilégiera une autre : réconciliation-intégration. Et puisque cette politique porte, le président de la République l’appliquera jusqu’au bout, sur tout, et pour tous. La recherche d’une certaine cohésion au sein de l’armée répond à ce souci, en plus de nouvelles stratégies mises sur pied à la lumière des nouvelles politiques militaires de Défense: rajeunissement des structures dirigeantes, professionnalisation des troupes, affermissement des liens avec l’Otan et les forces multinationales, dont les effets ont été prouvés dans les multiples exercices navals en Méditerranée, nouvelles orientations et priorités, nouveaux objectifs, dont celui de devenir une armée apte à se voir confier des missions humanitaires et de maintien de la sécurité en Méditerranée, etc.
Les exercices militaires opérés dans le Sahara algérien avec des troupes américaines, dans le cadre du plan «Flintlock 2005» («verrouillage»), vaste programme militaire concocté par Washington dont l’objectif visible est de sécuriser la région sahélo-saharienne redoutée par les Etats-Unis de constituer une rampe de lancement pour Al Qaîda, ont fait dire aux experts militaires américains qui supervisaient les opérations que «l’Algérie possède bel et bien les potentiels militaires les plus importants de toute la région».
En quittant subrepticement la vie politique algérienne, l’armée a fait l’affaire de sa vie et peut aujourd’hui à loisir démontrer qu’elle s’investit mieux dans des missions constitutionnelles stratégiques et humanitaires, tel qu’elle l’avait démontré lors des grandes calamités naturelles qui ont touché l’Algérie: inondations de Bab El-Oued, en 2001, tremblement de Boumerdès, en 2003, et lors de la vague de froid qui a paralysé le nord algérien, en janvier 2005. Durant ces phases difficiles, l’ANP a donné l’image d’une institution sans faille.
En fait, le maintien des équilibres et la cohésion de l’armée ont été à la base de tous les mouvements de fond qui ont touché l’armée algérienne depuis juillet 2004

Fayçal OUKACI