Le retour inquiétant des kamikazes

Dellys, Bordj Ménaïl, Tizi Ouzou, Cherchell

Le retour inquiétant des kamikazes

El Watan, 28 août 2011

En l’espace d’un peu plus d’un mois, Tizi Ouzou, Bordj Menaïel et avant-hier Cherchell ont été secouées par des attentats kamikazes. Ces attentats portent des signes de durcissement du mode opératoire des groupes terroristes.

La recrudescence des actes terroristes qui ont secoué ces derniers jours plusieurs wilayas du pays, notamment celles du Centre, et particulièrement la Kabylie, inquiète sérieusement les citoyens. Attentats ciblés contre des agents des forces de sécurité, des patriotes et même des terroristes repentis. Embuscades, attentats à la bombe contre les forces de l’ordre et des attaques suicide sont enregistrés quotidiennement depuis le début de l’été. Azzefoun, Bordj Bou Arréridj, Aït Aïssi, Baghlia, Taourga, Souama, Dellys, Si Mustapha… la liste des actes terroristes perpétrés cet été reste très longue.

Cette recrudescence est d’autant plus inquiétante que les groupes armés, qu’on disait en perte de terrain et en manque d’effectifs, multiplient depuis la mi-juillet dernier les attentats-suicide. En effet, en l’espace d’un peu plus d’un mois, Tizi Ouzou, Bordj Menaïel et Cherchell ont été secouées par des attentats kamikazes faisant une vingtaine de morts au moins et plus de 60 blessés. Ces attentats sont d’autant plus alarmants qu’en plus des pertes qu’ils ont provoquées, ils portent des signes de durcissement du mode opératoire et de redoublement de férocité de la part des groupes islamistes armés. Il y a d’abord l’élargissement du rayon d’action, pour passer de l’est d’Alger (Kabylie) à l’ouest (Tipasa), qui renseigne sur une forte mobilité ou alors sur l’existence de cellules locales ou régionales, prêtes à agir lorsqu’elles sont sollicitées. Il y a aussi la nature des cibles choisies : on ne s’attaque pas seulement à des convois de l’armée, des patrouilles des forces de l’ordre ou des campements isolés, mais à des installations censées être sécurisées. Les terroristes s’infiltrent à travers le maillage sécuritaire pour s’introduire en ville et s’attaquer à un commissariat de police en plein cœur de Tizi Ouzou et de Bordj Menaïel.

A Bordj Menaïel, l’attaque était double : une première par un terroriste au volant d’une voiture, suivie d’une autre par un kamikaze qui arrive à moto. Signe qu’on ne se soucie pas des candidats dans ce genre d’action. Ce procédé vient d’être reproduit, semble-t-il, dans l’attaque contre l’Académie interarmes de Cherchell. Et on se rappelle que la moto a été utilisée pour la première fois dans les attaques suicide à Lakhdaria, en novembre 2008, lorsqu’un terroriste avait foncé sur un camion de transport de troupes de l’ANP faisant 13 blessés. Ce qui rappelle curieusement des attaques similaires en Afghanistan, en Irak et au Pakistan.
Lorsqu’en septembre 2007, AQMI perpétrait son premier attentat-suicide dans la wilaya de Boumerdès contre la caserne de Dellys, en y introduisant un camion bourré d’explosifs, les responsables politiques, obnubilés par le mensonge de la réconciliation nationale, concluaient précipitamment à «un acte de désespoir des groupes armés résiduels». Ils devaient faire aboutir la «réconciliation», démobilisant les acteurs de la lutte antiterroriste sur le terrain à coups de «concessions destructrices au profit des terroristes».

Ce n’était pourtant pas la première fois que le terrorisme procédait de cette manière pour ne pas le prendre très au sérieux : cinq mois auparavant, ils avaient ciblé le Palais du gouvernement et un commissariat de police à Bab Ezzouar. En décembre de la même année, soit 2 mois seulement après Dellys, ils ébranlaient à nouveau Alger en s’attaquant au siège du Conseil constitutionnel, et à celui de la représentation de l’ONU, manquant de peu l’ambassade du Danemark. Ceci représentait déjà une maturation du procédé qui faucherait des centaines de vies humaines car le phénomène n’était pas nouveau. En janvier 1995 déjà, 4 ans après le début de la subversion et du terrorisme islamiste, le boulevard Amirouche, en plein cœur d’Alger, a vécu un carnage suite à une attaque-suicide contre le commissariat central de la police.

Contrairement à ce qu’affirment les responsables algériens, les terroristes ne recourent pas aux attaques suicide «par désespoir». Au contraire, redoublant de férocité, ils doublent les explosions sur le site ciblé. Et ils risquent de les multiplier davantage à l’avenir. Ces attentats s’ajoutent à d’autres déjoués de justesse. Au mois de juillet dernier, par exemple, 3 terroristes qui s’apprêtaient à commettre un carnage à Alger ont été éliminés à Thénia (Boumerdès). Parmi eux figurerait le fils de Ali Benhadj, l’ex-numéro 2 du FIS dissous. Ces attaques ne sont-elles pas l’œuvre d’une organisation capable de frapper partout ?
Kamel Omar


Au lendemain du double attenta suicide contre l’ académie de Cherchell

Deux bombes humaines pour ébranler l’Armée

El Watan, 28 août 2011

Un plan diabolique pour cibler une des plus prestigieuses écoles de l’Armée. Deux bombes humaines, la première à l’intérieur du réfectoire et la seconde à l’extérieur qui attendait l’arrivée de la foule. Les terroristes ont bien préparé cette opération criminelle qui a fait 18 morts et 33 blessés. Comment un tel attentat a-t-il pu être organisé avec autant de facilité sachant que cette école constitue une cible privilégiée des terroristes ?

Au lendemain du double attentat suicide qui a ciblé le mess des officiers de l’académie militaire de Cherchell, la population est toujours sous le choc. Les accès à cette prestigieuse école de l’ANP sont fermés aux automobilistes. Pour y arriver, il faut aller à pied et traverser la petite ruelle qui sépare la caserne du réfectoire des officiers. Un réfectoire dont les vitres et son imposante porte en bois sont arrachées. Quelques mètres plus loin, un cratère d’un demi mètre de diamètre, marque le trottoir, fraîchement lavé. C’est à cet endroit que le kamikaze qui conduisait une moto s’est fait exploser. A proximité, de nombreuses personnes se sont rassemblées devant les maisons limitrophes. Elles attendent les corps des deux jeunes riverains fauchés par la déflagration. Les discussions tournent autour de cette longue nuit d’horreur. « Nous avions avalé notre chorba qu’une première déflagration a retenti.

Nous sommes sortis dans la rue, et là une seconde explosion secoue les murs et fait voler les vitres en éclat. Il y a eu beaucoup de blessés légers parmi les jeunes, mais deux ont perdu la vie. Agé de 24 ans, le premier a reçu une barre métallique sur la tête et le deuxième, à peine la quarantaine, a été percuté par un bâton en fer qui lui a transpercé la gorge. Il travaillait au sud, il est venu juste pour le ramadan et en même temps terminer les préparatifs de son mariage prévu juste après. Il a rendu l’âme dans les bras de sa mère, après s’être vidé de son sang. L’image est atroce », révèle une des voisines. Une autre enchaîne : « lorsqu’il y a eu la première explosion nous pensions que c’était dû au gaz, mais après la deuxième nous sommes sortis de la maison comme des fous. Nous avons passé la nuit au centre ville. Nous étions tétanisés. Nous n’avons pu retrouver le sommeil, ni le goût de fête que les criminels ont transformé en deuil… ».

Un de ses frères se remémore ces moments. Il les qualifie de tragique et douloureux. « J’ai vu le kamikaze sur la moto. Il a fait deux tours dans le quartier. Dès que j’au entendu la première explosion, je suis sorti et encore une fois, j’ai l’ai revu en train de foncer sur le mu en criant Allah Akbar (NDLR Dieu est grand). Le souffle de l’explosion m’a éjecté vers l’arrière. J’ai encore son bruit assourdissant dans les oreilles. Je ne sais toujours pas comment suis-je encore vivant.», dit-il. Deux heures plus tard, des militaires découvrent un engin suspect. Certains parlent d’une grenade non dégoupillée, et d’autre d’une bombe artisanale, qu’un troisième terroriste aurait pu abandonner sur les lieux. Les artificiers s’en mêlent. Ils la font exploser, après avoir rassuré les riverains. Des files interminables se constituent au niveau du service des urgences de l’hôpital de Sidi Ghiles, où les victimes ont été acheminées pour donner de leur sang. Un geste de compassion et de solidarité avec les martyrs du devoir. La population est terriblement affectée par cet acte criminel. Elle n’en revient pas et se sent subitement sans défense et impuissante.« Que faut-il faire pour arrêter cette hécatombe ? Comment expliquer à une maman que le fils qu’elle a encouragé à faire carrière dans l’Armée, lui revienne dans un cercueil et de surcroît à la veille de l’Aïd ? »» ne cessent de répéter nos interlocuteurs. Mais, que s’est-il donc passé ?

Les deux bombes humaines explosent sous les cris d’Allah Akbar

Les témoignages se recoupent de plus en plus. Les terroristes ont bien étudié leur opération criminelle. Un premier kamikaze qui a profité pour rentrer au réfectoire des officiers, au moment même d’Al Adhan (la rupture du jeûne), en profitant du relâchement du contrôle à ce moment précis. Les militaires étaient en train de manger et subitement, le kamikaze se lève et sous les cris d’Allah Akbar (Dieu est grand), il déclenche la mise à feu de la ceinture d’explosif qu’il porte. Dans un mouvement de panique, les militaires courent vers la rue, où le deuxième terroriste, à bord d’une moto les attendait. Une tactique diabolique. Sachant qu’il ne pouvait utiliser des véhicules, les terroristes se sont transformés en bombes humaines pour tuer le maximum. Et c’est justement dans la rue où le bilan était le plus lourd. En tout, seize militaires, dont cinq totalement déchiquetés, et deux civils sont morts, et trente trois autres blessés, dont au moins une dizaines grièvement atteints. Parmi les victimes, un officier est mort avec son jeune garçon, qu’il avait ramené avec lui, pour la fête de la nuit du destin. Le bilan aurait pu être plus lourd, si tous les élèves officiers étaient présents. Beaucoup ont préféré être auprès de leurs proches durant période des vacances qui coïncide avec la fin du ramadan et les fêtes de l’Aïd.

C’est la seconde fois que cette Académie est visée par les terroristes. La première fois, les terroristes ont tout préparé. Un de leurs acolytes a même réussi à déjouer l’attention des sentinelles pour rentrer dans l’enceinte de la caserne et prendre des images vidéo avec son téléphone portable. Selon les aveux d’un des accusés dans l’affaire des attentats kamikazes ayant visé le Conseil constitutionnel et le siège du PNUD à Alger, le 11 décembre 2007, l’opération kamikaze n’a pas été exécutée faute de temps. Un temps qu’ils vont trouver plus tard, pour revenir à la charge, en profitant bien sur du relâchement et du manque de vigilance observés ces derniers temps chez les uns et les autres. Comment se fait-il que cette école aussi névralgique pour l’Armée soit visée avec une telle facilité alors que tout le monde sait qu’elle constitue une cible privilégiée des terroristes ? Mieux, il y à peine une dizaine de jours, les services de sécurité ont arrêté un élément de soutien à un groupe de terroriste, chez –lequel, ils ont trouvé deux terroristes, dont un était blessés. Des armes et des explosifs ont été récupérés dans sa maison situé à Oued Al Hamane, à l’ouest de Cherchell, une petite cité rurale se trouvant au piedmont d’une montagne qui donne accès à au moins trois wilaya du centre.

Le plus intéressant dans cette histoire, c’est le fait que la famille de cet « agent de soutien » habite dans une maison mitoyenne au mess des officiers de l’Académie militaire. Est-ce une pure coïncidence ? On en sait rien. Il y a juste des faits qui suscitent des interrogations et qui méritent d’être cités. Durant cet été, et juste après les festivités du 5 juillet organisés par l’Académie et auxquels le président de la République a pris part, une bombe artisanale a été actionnée à distance sur la RN11, au niveau de la localité de Sidi Moussa. Il y a quelques jours seulement, les forces de sécurité ont découvert des engins explosifs cachés dans des casemates improvisées dans les maquis de Sidi Brahem El Khaouas, un lieu où les terroristes du GIA trouvaient refuge, durant les années 90 et début 2000. Dans le marché de la ville tout le monde nous raconte avoir remarqué un phénomène étrange et en même temps inquiétant. « De plus en plus des personnes étrangères à Cherchell sont venues s’y installer en achetant et louant des maisons au prix fort. Elles sont les plus nombreuses à posséder subitement des tables au marché de la ville. Personne ne les connaît et toutes ont des liens avec des familles qui résident dans les montagnes et les forets qui surplombent cherchell. Il y a des mouvements suspects que nous n’avons jamais remarqués avant. La ville a perdu sa quiétude d’antan.

Des commerçants et des agriculteurs se sont fait racketter par des individus armés et n’osent pas dénoncer de peur de se faire tuer…. » déclare un citoyen, cadre de son état. Un officier des services de sécurité reconnaît, que les terroristes tentent de réinvestir le terrain dans la région de Cherchell. « Nous avons évité le pire à plusieurs reprises en démantelant des réseaux assez importants. C’est un travail quotidien. Depuis le début du ramadan, la cadence de nos interventions s’est accélérée. Mais la lutte contre le terrorisme est l’affaire de tous. Sans le citoyen, les forces de sécurité ne peuvent rien faire. Nous avons du mal à obtenir les renseignements à temps. L’information est un produit périssable. Après deux ou trois jours, elle n’est plus utile. Il faut que la population soit plus compréhensive, il y va de sa sécurité et de celle de ses biens », déclare cet officier qui exerce à Cherchell. Entre les avis des uns et des autres, la situation sécuritaire inquiète les plus avertis. Les hordes de Droukdel ont fait de ce ramadan, celui le plus meurtrier avec prés de 200 morts la majorité se compte parmi les militaires, les policiers et les gendarmes.

Durant ces derniers mois, des succès ont certes été enregistrés par les forces de sécurité à travers le démantèlement d’une dizaine d’attentats kamikaze qui auraient pu provoquer des carnages ou encore l’élimination d’une trentaine de terroristes à travers le territoire nationale, dont au moins dix sont des émirs. Néanmoins, les quelques groupes qui restent actifs semblent s’adapter à la situation allant jusqu’à prendre l’initiative sur le terrain. Peut être, dans le but de desserrer l’étau sur eux, comme le révèlent les responsables militaires, mais il y a un fait inacceptable et qui fait très mal. La liste des victimes devient de plus en plus longue et les plus hauts responsables de ce pays ne daignent pas réagir. Eux qui sont très promptes à condamner les attentats à l’étranger et à présenter les condoléances à leurs états.
Salima Tlemçani


Première institution de formation militaire en Algérie

L’AMIA, le prestige et l’histoire

L ’Académie militaire interarmes de Cherchell forme aussi des militaires originaires de pays africains et arabes.

L’Académie militaire interarmes de Cherchell (AMIA) a été la cible de sanglants attentats. Cet assaut kamikaze est aussi inquiétant que symbolique, lorsque l’on sait l’importance et le prestige militaire et «médiatiques» de cette école. Pas plus tard qu’en juin dernier par exemple, c’est au sein de cette institution que le président de la République Abdelaziz Bouteflika a fait l’une de ses dernières et rares apparitions publiques.
La cérémonie est d’ailleurs devenue un rituel du genre.
Abdelaziz Bouteflika, chef suprême des armées et ministre de la Défense, présidant aux sorties de promotions militaires formées au sein même de cette académie. Bien plus qu’un haut lieu militaire en Algérie, l’AMIA est un symbole historique.
Devenue au lendemain de l’Indépendance, en 1963, école militaire interarmes, elle est la première institution de formation militaire de l’Algérie libre.

Elle avait pour mission la formation d’officiers et de sous-officiers de l’Armée nationale populaire (ANP). En 1969, l’académie se centre sur la formation d’officiers réservistes du service national puis d’officiers actifs à partir de 1973.
En 1974, l’institution est promue au rang d’école militaire interarmes, qui assure des cycles de formation au profit des officiers de l’état-major ainsi que des cycles de qualification à partir de 1978.
En 1979, l’institution devient une académie militaire interarmes. Elle sera rattachée, en 1991, au commandement des forces terrestres pour assurer des formations spécifiques.

L’une d’elles est prodiguée aux officiers de l’état-major, une autre, «de base» aux officiers actifs stagiaires et une formation spécialisée aux officiers universitaires.
L’Académie militaire interarmes de Cherchell forme aussi des militaires originaires de pays africains et arabes.
De nombreuses personnalités, dont d’illustres figures officielles, ont eu à prendre en charge la direction de cette académie. Parmi eux, l’ancien président de la République Liamine Zeroual, commandant de l’école en 1981.

Ghania Lassal