Abdelaziz Rahabi : la dissolution du DRS est une « opération de marketing politique »

Abdelaziz Rahabi : la dissolution du DRS est une « opération de marketing politique »

Hadjer Guenanfa, TSA, 26 janvier 2016

Ancien ministre et membre de l’Instance de coordination et de suivi de l’opposition (Icso), Abdelaziz Rahabi revient dans cet entretien sur la dissolution du DRS.

Comment expliquez-vous la dissolution du DRS ?

Les dirigeants des États modernes donnent des gages de sincérité et d’engagement quand ils lancent des réformes profondes à leur arrivée au pouvoir non pas en fin de règne. Nous sommes l’un des rares pays au monde qui fait des réformes et des adaptations de ses services d’intelligence, un débat public comme si l’opinion publique algérienne en faisait un préalable ou un point de départ incontournable au règlement de ses problèmes d’emploi, d’éducation ou de sante publique.

Cette opération est à mon sens une pure manœuvre destinée à donner aux Algériens le sentiment que le président de la République est en train de réformer un système en crise dont il est, par ailleurs, l’un des primo-géniteurs. Je pense plutôt que les Algériens devraient s’inquiéter que leur service d’intelligence qui, par définition, fasse l’objet de débat public destiné à combler la vacuité de la vie politique chez nous. Chadli a réorganisé les services à deux reprises dans un cadre institutionnel sans mettre cette question sur la place publique

L’organisation des services de renseignements ne devrait-elle pas faire l’objet de débat notamment au sein du Parlement ?

En Algérie, le président de la République donne le sentiment que la réforme des services d’intelligence est le moteur de la réforme de l’État et un passage obligé pour entrer dans la modernité qui fait défaut à notre pays. Sauf que la réforme de l’État commence par la justice, l’équilibre des pouvoirs et leur réelle séparation, le contrôle populaire de la redistribution de la richesse nationale.

Les services secrets sont sous l’autorité légale et exclusive du chef de l’État et à ce titre, il est responsable devant le Parlement dans des formes de discrétion et d’efficacité partagées et convenues avec les représentants du peuple. Évidemment, les services d’intelligence peuvent être amenés à s’expliquer en commission parlementaire et à huis clos sur certaines de leurs activités. Ces changements au sein des services de renseignements présentés comme étant une prouesse sont en fait, une reconnaissance tacite qu’ils n’étaient pas en accord avec leurs missions constitutionnelles.

Les services de renseignements en Algérie avaient pourtant un pouvoir important…

Dans la réalité et pas seulement dans les textes, les présidents de la République fixaient les missions politiques aux services d’intelligence et ce, depuis l’indépendance. À ce titre, les services ont exécuté la politique du Président actuel qui en a fait un de ses outils privilégiés de contrôle des partis politiques et de la presse par exemple. Il n’a pas réformé les services dès 2000 parce qu’il les a utilisés pour durer et non pour changer le système. C’est le propre d’un homme de pouvoir. La preuve est qu’il a violé la Constitution en 2008 et ouvert la voie à la présidence à vie en faisant du DRS son principal bouclier contre ceux qui, dans la presse et au sein de la classe politique, pensaient que cela ouvrait la voie au pouvoir personnel et à la corruption.

En fait, Bouteflika n’a jamais prétendu être un démocrate. Ce sont ses partisans et autres courtisans qui sont en train de lui tailler un costume bien plus grand que lui.

Pourquoi le Président a-t-il attendu 2013 pour mener tous ces changements s’il avait réellement tous les pouvoirs ?

Le Président ne veut pas partager le pouvoir avec l’institution militaire qui l’a portée au pouvoir. S’il estime que les Services ne doivent pas avoir un mot à dire sur sa succession, il doit mettre en place des garanties pour l’organisation d’une élection libre et transparente. Sa démarche est alors fondamentalement politicienne. Les Algériens ne comprendront pas le sens de ce qui est présenté comme réforme tant que la justice n’est pas indépendante. On peut parler d’une véritable réforme quand on donne plus d’autorité à la loi et du pouvoir aux hommes de lois et quand on mettra en place des éléments constitutifs d’un État de droit.

Donc, cette dissolution du DRS ne changera rien ?

Elle ne changera rien dans le fond, puisqu’il s’agit d’une opération de marketing politique qui vise à gagner du temps tout comme la révision de la Constitution. En fait, il a choisi la question la moins urgente pour les Algériens pour en faire un problème d’État. D’ailleurs, on ne réforme que les structures qui touchent au pouvoir du Président et pas celles qui régulent la vie de la Nation. Ainsi, le Conseil national de l’énergie, gelé depuis 1999, aurait pu aider à éviter les scandales de Sonatrach, la réactivation de la Cour des comptes aurait permis de contrôler et de rationaliser la dépense publique et l’autonomie du conseil supérieur de la magistrature aurait donné plus de garanties d’indépendance aux magistrats. Cela ne semble pas être une priorité ou une question urgente.

Le patron de BP avait comparé la situation d’aujourd’hui à celle de 1986 en ce qui concerne la chute du prix du pétrole. Voyez-vous des similitudes sur le plan économique mais également politique ?

Aujourd’hui, nous vivons une situation qui est un peu plus délicate, les Algériens sont plus nombreux et leurs demandes plus importantes. Ils ne sont pas disposés à partager la pénurie après avoir été exclus du partage de la richesse. Cette nouvelle génération est plus consciente et ne compare pas l’Algérie d’aujourd’hui avec celle de la Guerre de libération. Elle est en rapport avec le temps universel et conteste parfois avec violence l’absence de transparence et contrôle de la richesse publique, la généralisation de la corruption et l’enrichissement illicite d’une caste alors qu’une bonne partie de la population a du mal à joindre les deux bouts. Sur le plan politique, le président Bouteflika est au-deçà de Chadli Bendjedid qui a introduit le pluralisme pour la première fois dans la Constitution de 1989. Cela n’était pourtant pas facile à l’époque. Il avait rencontré beaucoup de résistances au sein du FLN.