Procès des auteurs de trois rapts en kabylie

Procès des auteurs de trois rapts en kabylie

L’alibi du terrorisme

El Watan, 24 octobre 2012

Terrorisme et grand banditisme semblent se liguer pourmaintenir une chape de terreur sur la Kabylie, alors que les services
de sécurité se révèlent inefficaces devant l’ampleur du phénomène des kidnappings. Les éléments d’un groupe ayant sévi deux années durant, auteurs de trois rapts et d’un assassinat, ont été jugés hier au tribunal de Tizi Ouzou. Dix d’entre eux risquent la peine capitale.

Le procès qui s’est tenu, avant-hier et hier au tribunal criminel de Tizi Ouzou, n’a pas tellement levé le voile sur la nature de ces groupes qui pratiquent le business du rapt en Kabylie. Il donne néanmoins un aperçu sur la complexité du phénomène et sa gravité. Des groupes qui n’ont pas grand-chose à voir avec le terrorisme, dont les éléments ne sont pas forcément des criminels notoires, s’enhardissent jusqu’à perpétrer des rapts en série.

Les malfaiteurs accumulent de l’argent pour «s’équiper» conséquemment en allant acheter des armes dans des contrées aussi éloignées que Tamanrasset, et quand la victime résiste trop, ils la «descendent», comme ce fut le cas pour Hend Slimana. Il se confirme ainsi que le grand banditisme a trouvé un terreau en Kabylie et frôle dangereusement le seuil du crime organisé. Que les frontières avec le terrorisme sont tellement ténues qu’elles finissent par se confondre. L’alliance objective, entre groupes terroristes et réseaux de kidnappings, a ceci de particulièrement dangereux, par ailleurs, elle permet aux deux calamités de se maintenir solidairement, via les fonds faramineux récoltés et le lot d’armements que les «butins» récoltés permettent d’introduire dans la région.

La présence terroriste, qui se maintient curieusement dans la région depuis bientôt vingt ans, offre au phénomène à la fois l’alibi et l’atmosphère idéale pour croître, d’autant que les services de sécurité restent inefficaces sur le terrain, malgré les assurances renouvelées des pouvoirs publics. Le plaidoyer de Me Aït Larbi hier, au procès, a ainsi épinglé l’amateurisme des services de sécurité qui n’ont pu pister les agissements d’un individu connu pour ses antécédents criminels et se retrouvant à la tête d’un groupe qui, en l’occurrence, ont semé la terreur pendant deux ans.

Des affaires non élucidées

Sur les plus de 70 affaires d’enlèvement qu’a connues la région depuis 2005, la plupart restent à ce jour non élucidées. Le procès des auteurs du rapt et de l’assassinant de l’entrepreneur Slimana n’est que le troisième à avoir pu juger un groupe s’étant spécialisé dans les kidnappings. Trop peu pour un phénomène devenu endémique, ayant vidé la région de ses investisseurs et ayant livré les citoyens au danger de se retrouver monnaie d’échange entre les mains des malfrats ou des terroristes. Trop peu pour une problématique qui alimente cette lecture politique, pour le moins dangereuse pour la cohésion du pays, et qui n’hésite pas à conclure que la région est sciemment livrée à son sort pour lui faire payer ses accès cycliques de fronde contre le pouvoir.

Les services de sécurité restent globalement sur une défensive opérationnelle que tempèrent à peine quelques coups de filet sporadiques. Comment expliquer sinon que des enlèvements soient perpétrés dans des périmètres connus pour leur densité de population (l’une des plus importantes dans le pays), et que le palmarès des arrestations et autre démantèlement de groupe restent à ce point maigre. Dans les faits, la courbe du phénomène n’a cessé de progresser, en effet, tout au long de ces dernières années, et il ne se passe pratiquement plus une semaine sans qu’un rapt soit commis.

S’il est vrai que la Kabylie est une région escarpée, où il est difficile de traquer les criminels, comme avait tenté de l’expliquer le patron de la police, lors d’une rencontre avec les élus à Tizi Ouzou, il y a environ une année, les villageois de Kabylie et leur petite élite économique ne devraient tout de même pas payer les circonstances aggravantes de leur géographie. Depuis le temps, les citoyens, qui, à chaque enlèvement, assument de se mobiliser pour libérer l’un des leurs, attendent des opérations à l’envergure du drame qui les guette à chacun de ces virages décidément infestés de terroristes et de criminels sans foi ni loi.
Mourad Slimani


Procès des auteurs de trois rapts et d’un assassinat à Tizi Ouzou

Peine capitale requise contre dix membres du réseau

Le procès a démontré que des groupes de malfaiteurs activent en Kabylie avec le même mode opératoire que les islamistes, sans avoir forcément une connexion avec l’ex-GSPC.

Le procès des présumés assassins de l’entrepreneur, Hend Slimana, et de l’enlèvement de son cousin, Omar Slimana, s’est poursuivi, hier, avec les plaidoiries des avocats de la partie civile et le réquisitoire du représentant du ministère public au tribunal criminel de Tizi Ouzou. A l’heure où nous mettons sous presse, la défense des accusés défile devant la juge pour tenter de réduire les lourdes peines requises à l’encontre des 12 mis en cause. En effet, le procureur général a demandé l’application de la peine capitale à l’encontre de 10 accusés –Tchatchi Boussad et son frère Youba, Ibouchoukane Sofiane et Hassan, Hlifi Sadek, Semadi Aomar, Amiri Lyes, Abdi Mohamed, A. Salah et A. Rabah. Leurs acolytes Boukersi Mohammed et Boukhari Abderrazak ont écopé respectivement de la perpétuité et de 20 ans de prison ferme assortie d’une amende de 5 millions de dinars.

Rappelons que les mis en cause sont poursuivis pour 8 chefs d’inculpation, dont l’enlèvement de trois personnes à l’effet de demande de rançon. Mais il y a eu mort d’homme dans le dernier rapt. Il s’agit de Hend Slimana, qui a succombé à ses blessures dans une clinique de Tizi Ouzou, après qu’il ait été blessé par balle en résistant à une tentative d’enlèvement. Les autres kidnappings concernent Omar Slimana enlevé en novembre 2010 ; Ibirar Lounes, un commerçant kidnappé par le même groupe le 3 juillet 2010 sur la route de Tala T’gana, dans la commune de Fréha ; Mehadi Nordine de Yakouren.
Originaires pour la plupart d’Aghribs et de Fréha, les 12 mis en cause présents dans le box des accusés étaient fellahs, chômeurs, agent immobilier…

Le procès, qui s’est déroulé ces deux derniers jours, a démontré que des groupes de malfaiteurs activent en Kabylie avec le même mode opératoire que les islamistes, sans avoir forcément une connexion avec l’ex-GSPC. Selon les témoignages, les assaillants opèrent en treillis, encagoulés, armés de kalachnikovs et procèdent avec une agilité déconcertante. Les armes, ils les ont achetées à Tamanrasset grâce au «butin» des forfaits commis.

L’on se souvient, en plus de ce procès, de deux autres affaires importantes qui avaient été jugées en 2008, où la justice avait établi que les auteurs étaient membres d’un groupe de malfaiteurs qui soutenait les terroristes. L’autre affaire traitée est celle de l’enlèvement du jeune Mourad Bilek, de Beni Douala, kidnappé en mai 2011 par les éléments de l’émir Si Mohand Ouramdhane alias El Khechkhache, abattu par les forces de sécurité en janvier 2012. Le procès des trois auteurs poursuivis pour «appartenance à un groupe terroriste» et «enlèvement» de Bilek Mourad a eu lieu en juin 2012.

Pour revenir au procès en cours, la partie civile, représentée par maîtres Zaïdi, Aït Larbi et Chikhaoui, a axé la plaidoirie sur un grief, celui d’homicide volontaire avec préméditation contre Hend Slimana. A ce propos, Me Mokrane Aït Larbi dira : «Il est certain que les accusés auront la peine maximale, mais est-ce que cela va régler le problème de l’insécurité en Kabylie ?» Déplorant le laxisme et la légèreté avec laquelle a été instruite cette affaire, il ajoute : «La priorité dans l’instruction de cette affaire a été donnée aux autres chefs d’inculpation, alors qu’il fallait s’étaler sur l’acte qui a coûté la vie à Hend Slimana.» «Comment se fait-il que Tchatchi Boussad, qui vient de purger une peine de 7 ans à la prison d’Aflou, opère avec son groupe sans être inquiété de la surveillance permanente qui lui a été imposée par la police, le DRS et la gendarmerie ?», s’interroge-t-il avant de poursuivre : «Il y a eu défaillance ou complicité, car ce n’est pas un problème de compétence mais plutôt un problème de volonté dans la gestion du volet sécuritaire en Kabylie en dépit des moyens technologiques dont disposent les corps de sécurité.»

D’ailleurs, l’avocat a invité à prendre au sérieux les aveux de Sadek Hlifi qui disait, avant-hier : «Convoquez les personnes que je viens de vous citer, car derrière eux, il y a des personnes importantes, il y a des choses qui vous dépassent, Madame la juge»…
Lors de la première journée du procès, un seul aveu a capté l’attention des avocats de la partie civile, celui venant de Hlifi Sadek, diplômé en droit, reconverti en agent immobilier. Ce dernier a fourni la cachette, une maison où a été séquestré Omar Slimana durant 8 jours. «J’ai loué cette maison à trois personnes qui ne sont pas dans le box des accusés. Dans ma déposition à la gendarmerie de Fréha, le chef de brigade m’a conseillé vivement de ne pas citer leurs noms (Saïd C., Boudjemaâ O. et Boussad Dj.) ; le chef de brigade essayait de les protéger. Je n’ai pas osé les dénoncer à la justice puisque les mêmes personnes m’ont menacé de liquider ma famille physiquement. Et ce, après que j’ai découvert ce qui se passait dans la maison que je leur ai louée. Ces trois personnes courent toujours.» La partie civile avait exigé l’audition des trois personnes citées et l’ouverture d’une enquête qui déterminera leur implication ou pas.
Nordine Douici