Armand Veilleux: “Les autorités algériennes savent certainement où sont les corps”

Moines de Tibéhirine

“Les autorités algériennes savent certainement où sont les corps”

Nathalie Mazier, France Soir, 7 juillet 2009

Le père Armand Veilleux, aujourd’hui abbé du monastère de Scourmont, en Belgique, était le procureur général de l’ordre cistercien trappiste en 1996. Il revient sur les récentes « révélations » concernant les moines de Tibéhirine.

Avec la famille Lebreton, il s’était constitué partie civile dans le dossier, animé par la volonté de connaître la vérité. A bientôt 72 ans, il poursuit cette quête incessante, faite de fréquents contacts avec l’avocat Me Patrick Baudoin et par des prières en mémoire des sept religieux. Joint par téléphone lundi, Armand Veilleux a livré à France-Soir son sentiment sur cette affaire.

FRANCE-SOIR. Que pensez-vous du témoignage du général François Buchwalter, versé le 25 juin dernier au dossier ?
ARMAND VEILLEUX. Ce témoignage émane d’une personne qui a un brillant CV, qui n’est pas n’importe qui et qui n’est certainement pas là pour faire un scoop. Ce général confirme ce que nous savions. Quelques mois après les faits, cette nouvelle circulait en Algérie, ce témoin ayant déjà confié sa version à quelques intimes. Cela confirme également ce dont j’étais convaincu depuis longtemps : les moines sont morts dans une attaque par hélicoptère, mitraillés et non pas décapités. La décapitation a été effectuée après leur mort.

Lors de l’identification, vous aviez pourtant vu seulement les têtes des sept moines…
Oui, j’ai participé à l’identification des corps, habité par la tristesse de voir mes confrères dans cette situation. Cela n’a pas été simple, à cause de cette résistance incompréhensible des autorités françaises et algériennes à nous dire que dans les cercueils se trouvaient des corps. Il a fallu insister pour voir les dépouilles. Finalement, l’ambassadeur français en Algérie a fini par me dire qu’il n’y avait que les têtes dans les cercueils, dans la voiture qui nous menait à l’hôpital militaire. J’ai effectué la reconnaissance à la forme des crânes. Il n’y a pas de doute, c’étaient bien eux. C’étaient les sept moines. Cette difficulté à connaître la vérité signifiait forcément qu’il y avait quelque chose à cacher…

Approche-t-on de la vérité ?
Il reste énormément de choses à faire. Ce genre d’enquête évolue toujours très lentement. Avec ce témoignage, c’est un nouveau pas de fait, cela apporte des éléments qui vont permettre de poursuivre les investigations. Le témoin avait rédigé un rapport écrit remis aux autorités militaires et diplomatiques. Je suppose que le juge va demander la levée du secret-défense afin de pouvoir le consulter. Du côté français, il y a des témoins qui méritent d’être entendus. Hervé de Charette, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, et Michel Levêque, l’ambassadeur de France alors en poste à Alger. Ils ont certainement des choses à dire. Ils connaissent des détails. Il y a également M. Marchiani qui a dit qu’il avait négocié avec le DRS (Département renseignement et sécurité). Mais on ignore le contenu de ces négociations. Tout comme le contenu des tractations menées par la France durant les deux mois de captivité des moines. Treize ans plus tard, on aurait le droit de savoir quelles démarches ont été effectuées. Je crois par contre qu’il ne faut pas trop se faire d’illusions du côté algérien… Même si les autorités savent certainement quelque chose, où l’attaque s’est passée et où sont les corps.