Sarkozy lève le secret-défense sur Tibéhirine

Sarkozy lève le secret-défense sur Tibéhirine

Thierry Oberlé, Le Figaro, 08, juillet 2009

Le président français a annoncé mardi que «tous les documents» seront transmis à la justice pour éclaircir les zones d’ombre entourant la mort des sept moines de Tibéhirine, tués en 1996 durant la guerre civile en Algérie.

Nicolas Sarkozy est prêt à remettre au parquet de Paris les documents classés secret-défense sur la mort des sept moines français de Tibéhirine tués dans des circonstances non élucidées au printemps 1996 en Algérie. Trois ans après l’ouverture d’une information judiciaire, les obstacles dressés sur le versant français de l’enquête judiciaire vont être retirés.

La levée du secret-défense ne permettra peut-être pas de faire toute la lumière sur l’énigme du meurtre des cisterciens mais elle va ouvrir des pistes jusque-là négligées. «La justice doit avoir tous les documents. On ne peut pas dire que l’amitié entre les peuples et les pays peut résister au mensonge. Je suis déterminé à ce que la lumière soit faite», a affirmé mardi le président français. Une déclaration saluée par Patrick Baudoin, l’avocat des familles des moines, qui s’est «félicité» de «la clarté et de la détermination du chef de l’État».

Guerre contre-insurrectionnelle

Trois versions circulent pour expliquer le drame sans qu’il soit possible de démêler le vrai du faux. Selon la première, les moines ont été tués par un commando d’islamistes du Groupe islamique armé (GIA) qui tenait les maquis de la région de Médéa durant la guerre civile algérienne (environ 150 000 morts). Selon la deuxième, le groupe était en fait une émanation des services de sécurité engagés dans une opération psychologique de guerre contre-insurrectionnelle. Les moines ont été tués pour faire basculer l’opinion publique internationale contre les islamistes. Selon la troisième, présentée par le général François Buchwalter dans ses récentes déclarations au juge antiterroriste Marc Trévidic, les religieux détenus par le GIA sont morts dans le bombardement par hélicoptère du bivouac des preneurs d’otages. Une «bavure» de militaires peu habitués à faire dans la dentelle qui aurait été suivie deux mois plus tard par l’assassinat de Mgr Claverie, l’évêque d’Oran, considéré par le pouvoir algérien comme un trublion.

Le juge Marc Trévidic devrait dans un premier temps récupérer, grâce à la décision présidentielle, les notes adressées par François Buchwalter, l’ex-attaché de défense de l’ambassade de France, à son ambassadeur et à son ministère de la Défense. Il devrait également prendre connaissance des rapports internes de la DST (police) et de la DGSE (armée) sur le suivi des événements ainsi que les documents confidentiels remis par les responsables de ces services aux ministres concernés et au premier ministre Alain Juppé. Des membres du gouvernement de l’époque comme Jean-Louis Debré, Charles Millon et Hervé de Charette pourraient à l’instar d’Alain Juppé logiquement être convoqués.

Divergences d’interprétation

La tâche du magistrat s’annonce ardue. Les procès-verbaux des auditions des personnalités françaises interrogées avant le témoignage de François Buchwalter laissent apparaître des divergences d’interprétation de la crise qui s’est déroulée du 26 mars au 30 mai 1996. Questionné le 20 octobre 2006 par le juge Bruguière, le général Philippe Rondot, «chargé de mission opérationnelle à la DST», défend la thèse du DRS, les services secrets algériens selon laquelle des islamistes purs et durs sont derrière le rapt.

Installé à l’époque chez le général Smaïn Lamari, l’un des patrons des «services» algériens, Philippe Rondot n’entre pas dans les détails de l’affaire, se réfugiant derrière «le secret-défense destiné à protéger (ses) méthodes et (ses) sources ». Il dit avoir actionné ses propres réseaux de négociations et affirme ne pas avoir été «associé aux opérations de la DGSE».

De son côté, le préfet Jacques Dewattre, l’ancien directeur de la DGSE, reconnaît avoir eu connaissance de rumeurs selon lesquelles Djamel Zitouni, le chef du GIA, «aurait été recruté depuis 1991 par des services algériens», mais, selon lui, «la DGSE ne peut en apporter de preuves».

À Paris, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a estimé que les autorités n’avaient «aucune raison de chercher à cacher la moindre chose» au sujet de la mort des moines de Tibéhirine en 1996. Quant à la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, elle a promis que les magistrats «continueront de disposer de tous les moyens pour mener à bien leur enquête, y compris en matière de coopération internationale».