Bouteflika s’attaque à l’Armée

Assassinat des moines de Tibhirine

Bouteflika s’attaque à l’Armée


Le Matin, 28 mars 2004

En déclarant sur la chaîne LCI à propos de l’assassinat des moines de Tibhirine que « toute vérité n’est pas bonne à dire à chaud », le chef de l’Etat sortant renforce les doutes des proches des sept trappistes assassinés à Médéa dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. A leur demande, en effet, une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris au mois de février dernier. Les plaignants se disent, plus de sept ans après le drame, n’être plus convaincus « par la thèse algérienne autour de ces assassinats » qui attribue cet acte au GIA. Ils pensent que les services de sécurité algériens ont, pour les besoins de cette opération, manipulé les membres de ce groupe armé.
Par sa déclaration, Abdelaziz Bouteflika non seulement n’épouse pas la version officielle sur cette affaire, mais en plus apporte de l’eau au moulin de Mohamed Tigha, un ancien lieutenant de l’ANP.
Ce dernier avait affirmé dans l’édition du 24 décembre 2002 du journal Libération que l’armée était impliquée dans l’enlèvement des sept moines et leur assassinat.
Car à cette question de LCI, le Président-candidat aurait pu se contenter de renvoyer son interlocuteur aux déclarations des autorités algériennes à l’époque, au lieu de laisser entendre que l’affaire des moines n’a pas révélé tous ses secrets. Pourtant Ali Benhadjar, ancien bras droit de Sayeh Attia, « émir » en 1993 du GIA, accrédite lui-même la thèse d’un enlèvement sur fond de guerre intestine entre les différents chefs de ce groupe terroriste. Il raconte que Sayeh Attia s’est présenté le 23 décembre 1993 aux portes du monastère pour « demander aux pères de ne pas convertir au christianisme les gens d’ici et de ne pas refuser de soigner les malades et blessés du GIA » en contrepartie de quoi ils seront épargnés. Cet engagement a été respecté, selon lui, jusqu’à ce que Djamel Zitouni eût l’idée d’opérer un grand coup médiatique susceptible de propulser le GIA au-devant de la scène internationale. Cette version est la seule qui tient la route, avait estimé à l’époque l’archevêque d’Alger Henri Teissier. « Je tiens à préciser que celui qui a donné les informations les plus claires est Benhadjar qui était lui-même dans la région en contact avec les différents groupes terroristes », déclare-t-il au journal Libération à la suite de la publication du témoignage de Mohamed Tigha.
Dans un entretien accordé à notre journal au mois de février dernier, l’ancien chef de gouvernement Sid-Ahmed Ghozali explique bien la politique du chef de l’Etat sortant envers l’institution militaire.
Il pense que l’histoire du « Qui tue qui ? » est une tentative de déstabilisation des militaires. « Là c’est la méthode indirecte, et il existe des méthodes plus directes. C’est-à-dire livrer les militaires à la vindicte populaire. Il en avait les moyens. Ce qui a été fait contre Nezzar participe de la déstabilisation. A travers lui, on a visé l’institution militaire. Bouteflika a voulu signifier aux militaires qu’il peut leur faire mal. » En agissant de la sorte, le Président-candidat a joué sa plus importante carte. A savoir si c’est la carte gagnante.
Nissa H.