Affaire Matoub: courrier de Me Hannoun

Suite à la publication de l’entretien avec Mme Malika Matoub nous avons reçu le courrier suivant de Me Hannoun

La Nation, 2 Août 2011

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

Le tribunal criminel de Tizi-Ouzou a rendu, ce 18 juillet, son verdict dans le cadre de la procédure judiciaire ouverte depuis l’assassinat de Lounès Matoub, le 25 juin 1998.

Le déroulement du procès et ses incidences politico-judiciaires motivent les remarques suivantes :

* Mme. Nadia MATOUB et ses deux soeurs Farida et Warda, en leur qualité de victimes, ont refusé de cautionner cette parodie de justice, après avoir constaté que les autorités judiciaires avaient décidé de faire de ce procès, tant attendu par toute la Kabylie, celui de deux accusés de droit commun, vidant de facto la procédure de sa sève et de sa charge symbolique inhérentes à la vérité sur l’assassinat du Rebelle ;

* En ne se constituant pas partie-civile durant l’audience, après avoir présenté leurs motivations au tribunal criminel publiquement, par le biais de leur avocat conseil, les trois victimes se sont démarquées de cette mise en scène qui tend à juger deux accusés mais sans toucher au fond du dossier : la vérité et toute la vérité sur les véritables assassins de Lounès Matoub et leurs commanditaires ;

* En insistant sur la lecture du dispositif de l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation, escamotant de facto volontairement tous les faits, ses exposés des motifs et ses attendus, le tribunal criminel banalise ainsi le dossier Matoub en le réduisant au procès de deux lampistes sans lien direct avec cet assassinat ;

* En condamnant les deux accusés à 12 ans de réclusion criminelle, alors que la peine de mort a été requise par le représentant du Parquet, le tribunal criminel n’a fait que prouver que la véritable motivation consiste à couvrir par cette condamnation pénale la détention considérée de jure comme arbitraire. Avec cette décision rendue au nom du peuple, il soulage les hautes autorités du pays qui étaient acculées par les insistantes dénonciations des ONG ;

* Mme. Nadia Matoub et ses deux soeurs Farida et Warda ont conscience que le tribunal criminel, en ne retenant que le chef d’accusation « d’appartenance à un groupe terroriste », a utilisé une pirouette juridique qui lui évite, compte tenu de la nature de ce dossier et du contexte sensible dans lequel s’est déroulée l’audience, de se prononcer sur la véritable question : qui sont les auteurs et les commanditaires de l’assassinat de Lounès MATOUB et quelles en sont leurs motivations ?

* Maintenant que l’écueil juridique inhérent à la problématique de la connexité des faits et des procédures est dépassé par ce jugement, Mme. Nadia Matoub et ses soeurs, fidèles au combat de Lounès MATOUB, et en leur qualité de victimes, se réservent le droit de procéder à la saisine des instances judiciaires compétentes pour relancer, avec toutes les bonnes volontés, la procédure judiciaire sur des bases qui, loin de tous calculs politiciens, sont à même de permettre à la vérité de jaillir ;

* Compte tenu de la portée du combat de Lounès Matoub pour Tamazight et la démocratie, qui donne une dimension politique à son assassinat, Nadia Matoub et ses soeurs Farida et Warda restent plus que jamais convaincues que la justice et la vérité sont intrinsèquement liées à l’avènement d’un Etat de droit et à l’existence réelle d’une justice indépendante.

Pour Mme. Nadia MATOUB et ses soeurs Farida et Warda Brahmi, leur avocat conseil, Maître Hannoun.
Tizi-Ouzou, le 19 juillet 2011.