Farouk Ksentini à propos de la levée de l’état d’Urgence

Levée de l’état d’urgence

Imbroglio autour de l’article 91 de la Constitution

par N.K , Le Jeune Indépendant, 28 avril 2005

Le président de la Commission nationale pour la protection et la promotion des droits de l’homme, Me Farouk Ksentini, a reconnu hier que les pouvoirs publics ont piétiné la Constitution, dans la mesure où ils n’ont pas consulté le Parlement avec ses deux chambres pour établir la durée de l’état d’urgence.

L’article 91 de la Constitution est clair sur cette question : «La durée de l’état d’urgence ou de l’état de siège ne peut être prorogée qu’après approbation du Parlement siégeant en chambres réunies». Toutefois, Me Ksentini a estimé que, pour éradiquer, une fois pour toutes, le terrorisme, l’Etat est contraint de se doter d’un arsenal juridique.

Cet arsenal juridique, a-t-il expliqué, n’est autre que l’état d’urgence. Affichant son regret, Me Kasentini a déclaré qu’il partage l’avis de ceux qui se disent contre sa levée. «Je suis malheureusement pour le maintien de l’état d’urgence», a-t-il martelé, ajoutant qu’il est trop tôt pour en décréter la levée.

Evoquant les massacres qui ont eu lieu ces derniers temps, Me Ksentini a estimé qu’il est de notre devoir d’être réaliste devant ce genre de situation. Même si au fond de lui-même, il souhaite voir le président Bouteflika décréter la levée de l’état d’urgence, Me Ksentini a déclaré qu’il ne pourra le revendiquer que lorsque le terrorisme sera totalement vaincu.

Un autre avis tout à fait contradictoire nous a été livré par le président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH). M. Boudjemâa Ghechir a émis le vœu de voir l’état d’urgence levé. «En tant que juristes, on ne peut pas accepter que cette situation perdure, d’autant plus que le corps militaire et les services de sécurité partagent notre avis», a-t-il martelé.

Pour notre interlocuteur, ce sont les politiques qui bloquent la levée de l’état d’urgence. Se voulant plus précis, M. Ghechir a déclaré que l’état d’urgence a été décrété dans une conjoncture tout à fait spéciale. «Maintenant que le Parlement existe, il faudrait prendre en considération son avis».

Ne mâchant pas ses mots, le président de la LADH a fustigé les pouvoirs publics, les accusant d’avoir «piétiné la Constitution». Evoquant la proposition de loi du MSP portant levée de l’état d’urgence, Me Ghechir a déclaré que l’article 91 n’est pas clair sur le fait de savoir si les députés peuvent proposer un texte.

Une chose est cependant sûre pour Me Ghechir, «rien ne nous oblige aujourd’hui à maintenir l’état d’urgence». De son côté, le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), Me Ali Yahia Abdenour, a encore une fois déclaré que «l’état d’urgence ne profite qu’au ministre de l’Intérieur et au président de la République».

Me Ali Yahia Abdenour constate un paradoxe entre l’interdiction faite aux partis politiques d’organiser des rassemblements et les foules qui attendent Bouteflika lors de ses différentes escales. Le président de la LADDH a affirmé que la levée de l’état d’urgence permettra d’ouvrir la voie à l’instauration de l’Etat de droit.

N. K.

Nouredine Benzaïm, président de la commission de la défense de l’APN, au JI

«Le Parlement n’a aucun droit de demander la levée de l’état d’urgence»

par Nabila K.

La proposition de loi relative à la levée de l’état d’urgence, introduite par le Mouvement de la société pour la paix (MSP), risque de ne jamais arriver à la plénière de l’Assemblée populaire nationale, (APN). La commission aurait opté pour son rejet.

Alors que son sort était, indubitablement, lié à la réponse du représentant du gouvernement, sollicité par la commission de la défense, l’orientation du dossier semble prendre une tout autre direction. En effet, dans cet entretien qu’il a livré au Jeune Indépendant, le président de cette commission et député FLN, M. Nouredine Benzaïm, laisse croire à l’irrecevabilité de la proposition, arguant l’absence de fondement juridique.

Selon le président de la commission, le MSP aurait dû, peut-être, proposer un texte de loi exigeant de définir la durée de l’état d’urgence. Avis que le MSP, par le biais du porte-parole du groupe parlementaire, ne partage pas. Le MSP évoque d’ores et déjà l’éventualité d’une intervention du Conseil constitutionnel pour trancher d’une manière définitive la question.

Véritable quiproquo juridique. Le jeune Indépendant : La proposition de loi sur la levée de l’état d’urgence ne connaît pas d’évolution et traîne toujours au niveau de la commission ; aucune suite n’a été enregistrée sur cette question par la commission de la défense que vous présidez.

Peut-on en connaître les raisons ? Nouredine Benzaïm : Il convient de souligner que, dès que la proposition de loi sur la levée de l’état d’urgence est parvenue à la commission, nous avons écouté ses initiateurs pour connaître leurs motivations.

Dans sa proposition, le MSP s’appuie sur l’existence d’un vide juridique et sur l’évolution de la situation sécuritaire pour demander la levée de l’état d’urgence. La commission a décidé d’élargir la consultation et d’écouter l’avis du représentant du gouvernement ainsi que celui de quelques personnalités en charge du dossier sécuritaire.

Nous avons invité en premier lieu le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, M. Yazid Zerhouni, mais vu ses engagements, il n’a pas pu se déplacer. Le ministre s’est excusé une autre fois à cause du 17e sommet arabe qui s’est tenu à Alger, et ce, suite à notre deuxième invitation datée du 7 mai 2005.

Après la reprise des travaux de la session de printemps de l’APN, nous n’avons pas eu le temps de reprendre l’affaire en main, car les membres de la commission étaient occupés par d’autres dossiers aussi importants que la proposition de loi du MSP.

Il s’agit, entre autres du dossier de l’accord d’association avec l’UE, du code de la famille, de la loi sur les hydrocarbures et de la loi sur la nationalité. Mais ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que la commission compte renouveler sa demande au ministre de l’Intérieur et convier probablement des personnalités dont elle considère l’apport utile pour le traitement du dossier.

Que comptez-vous faire au cas où le ministre de l’Intérieur ne répond pas à votre invitation toujours pour une question d’agenda ? Il faut relever le fait que la présence du ministre de l’Intérieur reste facultative ; c’est à lui seul qu’il appartient d’apprécier de l’utilité d’y répondre ou non.

Et ce, conformément à la loi organique régissant les relations entre le gouvernement et le Parlement. Notre insistance à envoyer des invitations à M. Zerhouni n’est qu’une réponse à la doléance de l’initiateur de la proposition de loi, à savoir le MSP.

Pour le mouvement, le département de M. Zerhouni est le premier concerné par le dossier sécuritaire. Cependant, si la commission juge que le ministre ne peut pas se déplacer encore une fois, elle entamera ses réunions pour trancher définitivement la question.

Justement, peut-on connaître quelles sont les personnalités que la commission de la défense a pu écouter jusqu’à présent ? La commission s’est limitée à inviter M. Zerhouni, mais si elle juge indispensable de consulter des experts en la matière, elle le fera.

Je tiens à vous dire que, sur le plan juridique, la commission rencontre des difficultés dans l’examen des textes. Celles-ci bloquent le travail de la commission, à l’exemple de l’article 91 de la Constitution, qui donne des prérogatives au président de la République de décider de l’installation ou de la levée de l’état d’urgence, après consultation du Haut conseil de sécurité, du chef du gouvernement et des présidents de l’APN et du Conseil de la nation.

Je dirai donc que le Parlement n’a aucun droit de demander la levée de l’état d’urgence. La commission n’a aucune prérogative pour exiger du président de la République un texte concernant ce sujet. Cela relève de ses attributions. Puisque vous évoquez l’article 91, pensez-vous qu’il y a eu manquement dans l’application des lois de la République puisque le Parlement n’a pas été sollicité pour proroger sa durée ? Non, j’insiste pour dire que le président Bouteflika a tous les droits de décider de l’instauration ou de la levée de l’état d’urgence.

Je tiens aussi à vous rappeler que lorsque l’état d’urgence a été instauré, le Parlement n’existait pas. Il est important de souligner, en outre, que l’adaptation de la situation actuelle à l’état d’urgence nécessite une discussion nationale qui doit être élargie aux institutions concernées par le dossier.

Etes-vous en train d’insinuer que la proposition de loi du MSP n’a pas lieu d’être ? En effet, la proposition n’a pas de fondement juridique. Il fallait présenter une proposition de loi modifiant la durée de l’état d’urgence, parce que cette question peut parfaitement être étudiée par les élus de la nation.

La Constitution leur donne cette prérogative. Cela étant, la commission de la défense a-t-elle le droit de rejeter la proposition de loi du MSP ? Et dans l’affirmative, pourquoi avoir attendu tant de mois ? Bien sûr, la commission a ce droit.

Et si vous me dites pourquoi le bureau de l’Assemblée a accepté cette proposition, je vous répondrai que celui-ci est tenu d’accepter tous les textes, la commission spécialisée devant, en dernier ressort, trancher. Nous ne faisons pas de politique au sein de la commission, mais un travail législatif.

Nos positions politiques sont exprimées au sein des groupes parlementaires. La commission va-t-elle donc rejeter ladite proposition ? La tendance va dans ce sens, et cela reste mon point de vue. La proposition du MSP va à l’encontre des lois et de la Constitution.

Car ce mouvement s’est attribué une prérogative qu’il n’a pas. Même si la question est présentée en plénière, les députés ne pourront pas légiférer sur un sujet réservé exclusivement au Président. Je pense que la tendance des députés penche plutôt pour le refus de la proposition de loi.

Pourquoi donc n’avez-vous pas rejeté la proposition de loi dès le début ? Nous n’avons pas encore refusé, mais la tendance va dans le sens du refus. Je répète : ceci est un point de vue personnel, en tant que président de la commission, car il se peut que les membres aient une autre opinion.

Toutefois, les discussions engagées au sein de la commission portent à croire qu’on s’achemine vers un refus. Ce qui est tout à fait constitutionnel. J’insiste sur le fait que le MSP est tombé dans le piège dès lors qu’il s’est permis de s’attribuer des prérogatives sur une question qui n’est pas de son ressort, ni de celui du gouvernement, ni de celui du Parlement.

Pour répondre à votre question sur le retard, je précise que la commission est constituée de plusieurs formations politiques. Il fallait du temps pour avoir un point de vue commun qui puisse convaincre le gouvernement, les partis politiques et l’opinion publique nationale.

Notre but était d’arriver à une solution qui honore le Parlement. La commission de la défense envisage de formuler des propositions au gouvernement ; peut-on les connaître ? La loi a donné à la commission le droit de refuser ou d’accepter une proposition de loi, comme elle lui a donné le droit de prendre des initiatives, et ce, dans n’importe quel cas.

Elle lui permet aussi de présenter des résolutions qui traduisent les positions politiques de nos partis de manière indirecte. Puisque la situation sécuritaire s’est nettement améliorée, même si nous enregistrons de temps à autre des actes terroristes, la commission s’est donné le droit d’émettre des propositions qu’elle transmettra au gouvernement.

Celles-ci sont liées à la liberté d’expression, à la liberté de la presse et au droit au rassemblement, et ce, en prenant en considération l’évolution de la situation sécuritaire. En avez-vous parlé avec les auteurs de la proposition, le MSP en l’occurrence ? Non.

Notre contact avec ce parti s’effectue par le biais des articles de presse. Le point de discorde entre le MSP et la commission est que celui-ci dit que c’est à la plénière de trancher. Et ma réponse est que la commission a le droit de refuser la proposition ou de la présenter à la plénière.

Comptez-vous formuler vos propositions avant la fin de la session de printemps ? J’ai chargé certains membres de la commission d’élaborer les propositions à soumettre en premier lieu à la commission, ensuite au président de l’Assemblée, avant de les envoyer au gouvernement.

Il est fort probable qu’on les transmette au gouvernement avant la fin de la session de printemps. En dehors du dossier relatif à l’état d’urgence, peut-on connaître les dossiers que la commission est en train d’étudier en ce moment ? Comme vous le savez, lorsque nous avons accueilli les membres de la commission de défense française, nous avons évoqué la possibilité d’organiser un forum euro- méditerranéen des commissions de défense des Parlements des 5+5.

Ce forum, appelé «Forum 5+5 sur la paix et l’espoir», est en phase de préparation par toutes les institutions concernées, notamment les ministères des Affaires étrangères, de la Défense et l’APN. Ce Forum qui demande beaucoup d’efforts devra avoir lieu en principe au mois de juin.

Ce jour-là, nous défendrons la position de notre pays par rapport à la paix et l’espoir dans la Méditerranée. N. K.