Dualité citoyen—état dans les textes juridiques

Dualité citoyen—état dans les textes juridiques

Seuls comptent les crimes commis contre l’Etat

El Watan, 28 mai 2011

Le code pénal est la photographie d’une société à un moment donné de l’histoire. Il liste une série d’infractions dont la gravité se reconnaît à la peine dictée par le code.

Au cours du développement de la société, certaines infractions deviennent désuètes et inapplicables. Au contraire, d’autres font jour et le législateur se voit amener à introduire de nouvelles dispositions pour pallier les injustices et rétablir l’ordre social. En France, uriner dans la rue était passible de sanctions. Aujourd’hui, cette disposition est devenue désuète du fait du peu d’infractions constatées.
Est-ce l’émergence des toilettes publiques ? Peut-être. En tout cas, elle fait apparaître les mutations traversées par une société mais aussi les préoccupations du législateur dans l’établissement de l’ordre. Le législateur, qui peut, selon la Constitution, provenir du Parlement ou du gouvernement, prend l’initiative de créer un ordre nouveau par l’introduction d’une nouvelle loi. C’est souvent le cas en matière du droit du travail ou du droit administratif. Parfois, le législateur répond à une attente sociale forte et revient sur des dispositions qui aboutissaient à créer le désordre.

Tel fut le cas en France, avec la loi Veil de 1975 : le législateur est revenu sur l’interdiction de l’avortement après avoir établi le constat concernant le nombre de décès de filles mères suite à des tentatives d’avortements clandestins. En Algérie, la photographie que nous offre le code pénal algérien a très peu changé depuis 10 ans. Bien au contraire, il semble encore plus décalé qu’avant.
Depuis quelques années, de nombreux codes pénaux internationaux ont introduit la notion de crime contre l’humanité. On retrouve ces dispositions (torture, génocide…) en début de code pour marquer les primautés des infractions, histoire de surélever plus que tout autre type d’infraction.

En Algérie, malgré la décennie noire, le livre premier est consacré au crime commis contre l’Etat (crimes et délits contre la chose publique). Les biens de l’Etat, les fonctionnaires de l’Etat, enfin tout ce qui tourne autour de l’Etat de près ou de loin. Les crimes contre les personnes, les messieurs tout le monde, sont relégués à la fin du code pénal. C’est dire toute la place dont dispose le citoyen dans le système répressif algérien. Les infractions de meurtre, de vol et de violence volontaires ne sont condensées que dans trois malheureux chapitres. Une place particulière est encore consacrée cependant dans le code pénal aux infractions d’adultère et d’avortement, avec des peines coercitives sévères.

A l’heure où les accidents de la circulation font de nombreux morts, dont des enfants, quelle famille victime aujourd’hui peut dire : «l’automobiliste fou croule en prison» ? Quel citoyen peut affirmer que la personne qui l’a agressé est aujourd’hui incarcérée ? Les actes terroristes ou des faits de maltraitance sur mineurs semblent rentrer dans le cadre de l’acceptable tandis que les rassemblements ou manifestations sont automatiquement mis sous le coup de l’infraction de «mouvement insurrectionnel». C’est tout l’écart entre le citoyen et l’Etat.

La jurisprudence dans l’équité

Les systèmes répressifs sont lourds à se réformer. En France, le code pénal date de Napoléon et n’a jamais été totalement modifié. Des dispositions sont cependant introduites. A défaut, c’est le magistrat et ses assesseurs qui peuvent interpréter la loi de façon plus permissive ou au contraire plus fermée. En effet, les genres de crimes et de délits sont amenés à se multiplier et à varier à grande vitesse laissant les législateurs sur la touche. Peut entrer en jeu la jurisprudence. La France a ainsi connu de longs épisodes d’affaires judicaires, dont les victimes étaient des individus contaminés par le VIH. Aucune disposition pénale ne leur permettant d’appuyer leur demande en réparation, elles ont avancé l’argument juridique d’empoisonnement. Peu de juges leur ont donné gain de cause, donnant à la lettre de la loi un champ d’application plutôt restrictif.

Ainsi va la jurisprudence, elle peut pallier des injustices lorsque l’infraction n’existe pas ou au contraire, faire une application à la lettre. Cela pousse souvent le législateur à intervenir. En Algérie, la jurisprudence ne joue pas ce rôle. L’interprétation des textes allant rarement dans le sens de l’équité sociale. On a même vu des magistrats prononcer des peines plus lourdes que celles requises par le procureur.
Zineb Amina Maiche


La Cour suprême est une voie de garage

El Watan, 28 mai 2011

Pour Me Aït Larbi Mokrane, le fond juridique et ses mécanismes sont entièrement à revoir. Quant à la forme ! Selon lui, les textes juridiques sont bons et offrent une palette de recours sur lesquels peuvent s’appuyer les victimes.

D’ailleurs, le crime de torture a été introduit depuis 2006 dans le code pénal algérien et offre l’occasion au gardé à vue, qui aurait subi des traitements affligeants, de porter un recours auprès du tribunal compétent. Mais dans les faits, qui peut le faire ? Qui l’a déjà fait ? Quel procureur aurait l’audace d’auditionner des officiers de police judiciaire pour torture sur un prévenu ? Les hiérarchies sont inversées et l’ordre bouleversé. «Quand on sait qu’un magistrat, lorsqu’il est nommé à son poste, est convoqué par la police pour permettre aux officiers d’établir une fiche de renseignements, on se demande qui a le plus de pouvoir. Convoquer un magistrat à un commissariat ! Un magistrat qui, demain, donnera des ordres à ces mêmes officiers !».

L’avocat ne veut pas parler des incohérences du code quand le minima juridique n’est pas garanti : «On entend le DGSN se prononcer sur l’obligation d’accorder à un prévenu une douche au moins tous les deux jours ! Alors que très souvent, ces prévenus sont torturés, les droits de la défense pas respectés ! On se moque de qui ?». Les procureurs tout comme les officiers de police judiciaires sont dans une logique de carrière et sont prêts à se plier aux instructions données par la chancellerie ou le garde des Sceaux. Les magistrats du siège n’ont pas l’audace nécessaire pour faire appliquer en droit certaines décisions dont l’impact médiatique est fort. «Les magistrats de la Cour suprême devraient être nommés suite à un parcours élogieux et riche d’expériences, mais très souvent, c’est une voie de garage. Il suffit qu’on veuille se débarrasser de quelqu’un pour le plaquer à la Cour suprême. Et ceux qui ont envie d’être tranquilles agissent sur certaines de leurs relations pour accéder à la Cour suprême pour passer des jours tranquilles», explique en substance Me Aït Larbi.

La Cour suprême, haute cour devant juger en droit et non dans les faits, se retrouve avec quelques dizaines de milliers d’affaires à juger. «Cela fait deux ans que nous avons fait un recours sur l’affaire Khalifa devant la Cour suprême et il n’y a toujours aucun attendu», poursuit l’avocat. La jurisprudence est éteinte et les mécanismes de recours sont rouillés. La place du citoyen algérien ? Minime. «Il faut savoir que seuls les présidents des deux chambres (Parlement et Sénat) et le président de la République peuvent faire un recours devant le Conseil constitutionnel. En Allemagne, un simple citoyen comme vous et comme moi a la possibilité d’actionner un recours de constitutionnalité devant un tribunal parce qu’il estime qu’une règle qui vient d’être édictée et qui lui est applicable est anticonstitutionnelle !», stipule Me Mokrane Aït Larbi
Zineb Amina Maiche