La détention provisoire divise les hommes de loi

Tirs croisés entre Laïdouni et Ksentini

La détention provisoire divise les hommes de loi

El Watan, 17 mars 2015

La question de la détention provisoire, utilisée de plus en plus abusivement par les juges, refait surface dans le sillage de l’ouverture du procès Sonatrach 1.

Longtemps décriées par les défenseurs des droits de l’homme, les notions «de détention provisoire» et d’«indépendance du pouvoir judiciaire» suscitent, une nouvelle fois, la polémique et divisent la corporation. Le débat autour de ces questions a été relancé, ce week-end, à l’occasion de la tenue de la sixième session ordinaire de l’assemblée générale du Syndicat national des magistrats (SNM).

Djamel Laïdouni préside aux destinées de ce syndicat, dès lors qu’il a été reconduit à l’unanimité. Dans son discours d’investiture, Laïdouni a défendu les magistrats et s’en est pris ouvertement à ceux qui accusent les juges d’«abuser» dans le recours à la détention provisoire, à leur tête maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH).

«Les magistrats n’abusent pas, ils appliquent la loi. Il n’y a pas d’abus ni d’exagération. Il ne faut pas responsabiliser les magistrats. Nous avons 5% de détentions provisoires, un taux faible par rapport au nombre d’affaires, qui est énorme », explique Laïdouni, joint hier par téléphone. Le président du SNM est catégorique : un terroriste, un violeur, un voleur ou une personne qui commet un crime, sa place est en prison en attendant d’être jugé.

La détention provisoire, point de discorde

«On ne peut pas laisser un criminel en liberté, il doit être enfermé en attendant d’être jugé. Le juge d’instruction se met non seulement à la place des prévenus, mais aussi des victimes. Le juge n’a rien inventé, c’est la loi qui prévoit cela», réplique Laïdouni à Farouk Ksentini, avant de l’inviter à se rapprocher des parlementaires pour plaider sa cause : «C’est le Parlement qui légifère, donc Me Ksentini devrait s’adresser aux députés au lieu d’utiliser sa double casquette d’avocat et de président de la commission pour se fondre dans les critiques inutiles.»

Et d’affirmer que son syndicat aspire, depuis sa création dans les années 1990, à la consécration «d’une véritable indépendance du pouvoir judiciaire». Maître Ksentini contre-attaque. N’ayant pas apprécié ses propos, il somme Laïdouni de s’occuper uniquement des activités de son syndicat et des intérêts matériels et moraux des avocats et non des dossiers relevant du droit : «M. Laïdouni n’a pas le droit de me faire un procès et je lui dénie le droit de s’approprier cette question.

J’ai décidé de ne pas polémiquer avec les personnes qui n’ont pas le niveau requis ! Cessez de m’invectiver et me présenter comme l’ennemi des magistrats. Maître Laïdouni, basta.» Ksentini est persuadé que les propos de Laïdouni répondent à des considérations purement électoralistes et pour aussi donner l’impression de défendre les magistrats. Néanmoins, il ne lâche pas du lest ; il persiste et signe que beaucoup de magistrats recourent de manière abusive à la détention préventive.

Une exception qui est devenue ces dernières années une règle. «Le rôle des magistrats est de libérer les gens et non de les emprisonner. Au sein de la commission, nous militons pour la réduction de la détention provisoire qui est une procédure exceptionnelle dès lors que le code pénal est fondé sur la présomption d’innocence», explique-t-il en qualifiant la détention provisoire de «signe implicite» de culpabilité, recommandant que cette mesure soit prise «collégialement» et non par un seul magistrat. «Le drame de la détention provisoire c’est qu’elle a pour effet de transformer la présomption d’innocence en présomption de culpabilité», dit-il.

Maître Noureddine Benissad, président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), partage l’avis de Farouk Ksentini et regrette qu’actuellement, la notion de «liberté provisoire» a disparu. «On n’accorde plus la liberté provisoire, nous sommes dans le tout-répressif.»
Pour Me Benissad, il n’est pas possible de lancer une réflexion autour de la question de la liberté provisoire sans évoquer l’indépendance de la justice qui englobe le Conseil supérieur de la magistrature et la loi organique de la magistrature : «Les magistrats ne sont pas indépendants et la question de la liberté provisoire relève du politique.»

Nabila Amir