Assassinat d’Ali Tounsi: La peine capitale requise contre Oultache

Assassinat d’Ali Tounsi: La peine capitale requise contre Oultache

par M. Aziza, Le Quotidien d’Oran, 28 février 2017

Le procureur général a requis la peine de mort contre Chouaïb Oultache, en l’accusant d’avoir assassiné avec préméditation l’ancien directeur de la Sûreté nationale Ali Tounsi, et poursuivi pour port d’arme sans autorisation préalable des autorités.

Le procureur de la République a qualifié l’affaire de «très grave» étant donné que le crime a eu lieu au sein de la DGSN et au bureau même du DG de la Sûreté nationale. Il a affirmé devant l’assistance que le mis en cause a voulu semer le doute en essayant d’impliquer d’autres personnes dans cette affaire. Mais, pour le procureur, «la lettre personnelle qui lui a été adressée par le Ali Tounsi est une preuve tangible contre lui».

Le procureur a ainsi dévoilé le contenu de «la lettre personnelle d’Ali Tounsi adressée à Oultache en la lisant : «Mon cher Ami, je te sollicite pour m’affirmer ou m’infirmer, si le contrat des projets de modernisation de la DGSN a été confié à ton gendre, et avec des prix exorbitants, mais j’espère que le contractuel ne soit pas ton gendre». Sachant, précise le procureur général, que cette lettre a été envoyée directement à Oultache sans passer par l’inspection générale.

Le ministère public a affirmé qu’Oultache, avant la réunion programmée le jour du crime, était sollicité pour fournir des explications sur le dysfonctionnement des moyens de transmission et sur la modernisation des réseaux de communication et surtout sur le cryptage du système informatique. Et de mentionner que «le président de la République avait débloqué 22 millions d’euros pour la modernisation du réseau informatique en 2007, mais trois ans après, le projet n’a pas été finalisé. Cette enveloppe a été réorientée vers les services de la gendarmerie qui ont vite réalisé le projet en question. Ce qui a poussé a priori le DGSN à demander des comptes à Oultache, étant donné que c’est lui qui était chargé des projets de modernisation». Pour le procureur, ces données sont la cause du conflit entre Oultache et Ali Tounsi. Il a également évoqué l’affaire IBM/DGSN.

Le procureur général a affirmé devant le juge et l’assistance que le mis en cause avait plusieurs versions à travers différentes auditions. Il avait évoqué qu’il a tiré deux balles, puis quatre balles, une balle dans l’air et une autre au bras. Une autre balle dans le thorax. Alors que le médecin légiste a bel et bien précisé que la victime a reçu deux balles dans la tête.

Les explications du médecin légiste

Très sollicité par la défense, le médecin légiste Belhadj Rachid a affirmé devant le juge et la défense que la victime a été atteinte de deux balles à la tête. Et d’expliquer dans les détails, la première balle a touché la zone temporelle près de l’oreille droite. Puis, précise-t-il, un deuxième projectible a atteint la victime à la tête. Pour le médecin légiste, la deuxième balle a été fatale pour la victime, car elle produit ce qu’on appelle «un blast». Le fait de tirer sur quelqu’un allongé sur le sol sur la tête, ceci entraîne l’éclatement du crâne, «c’est ce qui s’est produit malheureusement». Le témoignage du médecin légiste a ému la femme d’Ali Tounsi présente dans la salle d’audience, qui n’a pas cessé de pleurer en entendant les témoignages des uns et des autres.

Belhadj Rachid a complètement démenti l’existence de blessures par balles sur le corps de la victime mis à part à la tête. Il a également affirmé que les vêtements étaient intacts sans aucun trou de balles.

La défense a pressé le médecin légiste comme un citron en lui posant des questions et en demandant des précisions sur le nombre des balles tirées, sur la trajectoire des balles, sur l’heure exacte de la mort d’Ali Tounsi. Elle lui a demandé est-ce qu’il est a eu une procuration de la part du procureur pour le constat de décès et l’autopsie. Il répond : «Je l’ai eu verbalement». Il enchaîne : «J’ai 20 ans dans cette spécialité, on a eu déjà l’accord verbalement quand on traite des affaires dangereuses, on a beaucoup appris lors de la décennie noire, pour vous dire que je sais ce que suis en train de dire».

Où est le rapport des Renseignements généraux ?

Le colonel Belabes qui s’est constitué partie civile pour défendre l’ex-chef de la sûreté de la wilaya d’Alger, Abd Rabou Abdelmoumen, blessé à l’épaule par Oultache a regretté l’absence du rapport du directeur des Renseignements généraux dans cette affaire. Il a affirmé devant le juge que le directeur des Renseignements généraux n’a même pas été auditionné, ni même appelé pour témoigner. Pourtant, affirme-t-il, sa mission consiste à rassembler les renseignements. Pour lui, «seuls les Renseignements pouvaient nous éclairer si cette affaire est circonscrite au niveau de la DGSN». Autrement dit, les Renseignements généraux devaient présenter des informations et des renseignements sur l’affaire et sur les relations entre Oultache et Ali Tounsi.

La partie civile a regretté le fait également que toutes les questions notamment de la défense de Chouaïb Oultache se sont focalisées sur la trajectoire des balles tirées en oubliant ou en négligeant l’élément clé de cette affaire, «l’article paru dans la presse faisant état de malversations et de corruption dans le projet de modernisation de la DGSN». Et de préciser : «Le problème réside dans l’article qui a été traduit en français à la demande du chef de cabinet d’Ali Tounsi, et ce avant que Oultache accède au bureau du DGSN.» La partie civile a accusé Chouaïb Oultache d’avoir voulu tuer Abdelmoumen Abd Rabou, parce qu’il était en conflit avec lui sur des défaillances dans les projets relatifs à la modernisation de la DGSN.

Absence de culture du témoignage

Une cinquantaine de témoins, éléments de la DGSN, médecin légiste, expert en balistique ont été auditionnés dans cette affaire, mais en l’absence de trois témoins jugés importants par la défense. Ils ont cité entre autres le directeur du journal Ennahar, Anis Rahmani et le chef cabinet de Ali Tounsi, Soubhane Zerouk.

Me Fatma Zohra Chenaïf, avocate de la famille Ali Tounsi, a regretté pour sa part l’absence du témoignage de l’ancien ministre de l’Intérieur Nourreddine Yazid Zerhouni, qui a déjà exprimé sa disposition à témoigner dans cette affaire. Elle est revenue sur l’absence de Anis Rahmani en tant que témoin dans ce procès. Et d’affirmer qu’on a voulu savoir ne serait-ce qu’auprès du juge instructeur des sources de son information sur Oultache. Il s’est contenté d’affirmer qu’il avait reçu un appel anonyme à ce sujet. Pour Me Chenaïf, «certains ont peur de témoigner».


Tribunal criminel d’Alger

Peine capitale requise contre Oultache

El Watan, 28 février 2017

Les premiers à passer à la barre hier sont les quatre gardes personnels du défunt. Tous étaient dans un bureau non loin de celui de la victime.

Ils avancent la même version à quelques nuances près. Ils ont entendu l’appel radio qui a ordonné la fermeture de tous les accès de la Direction générale, et suspecté un événement grave sans savoir de quoi il s’agissait. Hocine Safsaf raconte : «Le secrétaire de Tounsi, Dahlal est passé au bureau. Il m’a dit qu’Oultache a tué le Directeur général. Je lui ai dit pourquoi vous ne nous avez pas informés ? Il a répondu qu’il était avec lui.

Les coups de feu retentissaient encore. J’ai avancé, mais impossible de progresser. Oultache avait une position stratégique. Il pouvait atteindre n’importe quelle personne qui se serait pointée. Lorsque les coups de feu se sont arrêtés, je me suis approché. Oultache s’était retiré dans le bureau de Tounsi et avait fermé la porte. J’ai fait un appel radio pour avoir l’appui de trois éléments dotés de kalachnikov et de gilets pare-balles.

Trois éléments de la police judiciaire sont arrivés. Il fallait l’effet de surprise. J’ai donné un coup de pied dans la porte, elle s’est ouverte. Je suis entré avec mon collègue et lorsqu’il a vu l’arme à barillet dans les mains d’Oultache, il a tiré sur lui. Il était assis sur une chaise en face de la porte. J’ai dit à mon collègue de ne plus tirer. On lui a enlevé l’arme des mains. Il était vivant. Nous étions deux seulement. J’ai vu Tounsi à plat ventre baignant dans une mare de sang un peu noir et coagulé. Lorsque les renforts sont arrivés, je suis sorti.»

«Oultache était en position de tir»

Le témoin affirme que l’accusé avait été blessé à l’abdomen lorsqu’il était dans le couloir, mais Oultache réplique du fond du box : «Il ment !» Le juge : «Arrêtez d’interrompre le témoin.» L’accusé : «Je n’arrête pas. C’est la vérité.» Le témoin poursuit : «C’est moi qui ai donné l’alerte en appelant l’équipe médicale pour transférer Oultache aux urgences et le sauver.» Aux questions de la partie civile et de la défense, le témoin répond avec assurance. Il ne cesse de répéter : «On est intervenus pour maîtriser Oultache et sauver Tounsi.

Je ne me rappelle pas à quelle heure il a été évacué.» Son collègue, Ahmed Hamadou, précise qu’après avoir entendu les tirs, lui et ses trois autres collègues se sont dirigés vers la cafétéria du DG, où tous les directeurs centraux étaient regroupés. «On nous a dit qu’Oultache était dans le couloir, qu’il était armé. Nous sommes montés et nous avons vu Oultache pointer l’arme tantôt vers le haut, tantôt sur nous. Mon collègue lui a intimé l’ordre de se rendre en déposant l’arme. Il était devant la porte du bureau et nous au fond du couloir. Il a refusé. Nous avions nos pistolets Beretta, nous ne voulions pas utiliser les kalachnikovs.

Nous ne savions pas encore ce qui s’était passé. Oultache était blessé. On aurait pu le tuer, mais il était loin et on voulait juste le neutraliser. Nous avons insisté pour qu’il dépose son arme, mais rien. Il a reculé pour entrer dans le bureau de Tounsi, une fois blessé. Il a fermé la porte et c’est mon collègue Aït Kaci qui a donné un coup de pied pour qu’elle s’ouvre», révèle le garde.

Il cède sa place à Madjid Aït Alaoua, un autre garde personnel de Ali Tounsi, qui raconte qu’il était avec ses trois collègues lorsqu’il a entendu qu’ Oultache était armé dans les couloirs. Il a pris sa kalachnikov pour couvrir ses collègues, Hadj Kaci, Aït Alaoua qui étaient devant. Il insiste sur un fait qu’il présente comme important : «Oultache était assis sur une chaise et avait les deux mains qui tenaient le pistolet.

Cela veut dire qu’il était en position de tir.» Me Kasentini lui demande pourquoi Oultache n’a pas tiré sur lui ; le témoin répond : «Parce qu’il était blessé et qu’il commençait à perdre connaissance.» Me Sidhoum lui rappelle que lors de l’instruction, il avait affirmé que c’était un élément de la police judiciaire qui l’avait désarmé. «J’ai dit qu’Aït Alloua lui a donné un coup au pied et que l’arme était tombée. Il était encore éveillé», souligne-t-il. Le juge appelle les membres de la commission de modernisation que chapeautait Oultache. Certains étaient présents dans la salle de réunion, mais n’ont rien vu, d’autres n’ont pas apporté d’éléments nouveaux. Tous affirment n’avoir jamais vu Oultache avec une arme.

Salima Tlemçani


Les dures révélations du médecin légiste

Médecin légiste, Rachid Belhadj se montre très technique. Il affirme avoir constaté, lors de l’examen externe, deux impacts de balle. La première, sur la joue gauche, qui a été enlevée à l’épaule.

Elle a traversé le cavum, la langue, puis le cou avant de se loger dans l’épaule. La seconde a touché la tempe gauche et provoqué l’éclatement de la boîte crânienne. «Cela fait 20 ans que j’exerce. Je peux dire que l’auteur a tiré sur la joue, du haut vers le bas sur une victime qui était assise et un peu fléchie», dit-il avant que Oultache ne réplique de loin : «Ce ne sont pas mes tirs. Moi, j’étais assis et lui debout.

J’ai visé le côté droit et le thorax. Il y a même une photo qui montre l’impact avec du coton.» Me Sidhoum exhibe la photo et le médecin légiste explique : «Cette photo a été prise après l’autopsie, et les sutures des ouvertures. Cela n’a rien à avoir avec les impacts des balles.» Me Fatma Zohra Chenaif lui demande d’expliquer ce qui s’est passé. «En fait, c’est le deuxième coup qui lui a été fatal. Quand la victime a reçu la première balle, elle s’est relevée.

Elle a essayé de se déplacer. Ses organes vitaux n’ont pas été touchés. La deuxième balle a touché la zone temporale au moment où elle était à terre. Il y a eu un éclatement de la boîte crânienne, et la balle n’a pas été trouvée.» Le médecin légiste est formel : si Tounsi «avait été secouru après le premier coup, il serait vivant, mais le deuxième l’a touché au moment où il était tombé par terre. La balle a rencontré une surface dure à sa sortie, elle a fait des dégâts.» Le juge lui demande si le tir était de loin, et le témoin est affirmatif : «Le coup était trop près.»

«Les radios montrent la trajectoire des balles»

Me Belarif revient sur le premier rapport de constat et le médecin légiste affirme avoir été joint par le procureur dans un premier temps par téléphone, puis par réquisition. «Quand je suis arrivé, le sang était encore chaud, mais je ne me rappelle pas de l’heure exacte.» «Vous avez fait le descriptif physique, mais le certificat ne mentionne pas la chemise», lance Me Belarif. Le Dr Belhadj : «Sur les lieux, la police scientifique a fait des prélèvements.

De notre côté, on fait des examens sur le corps. C’est-à-dire le constat de décès et non les causes du décès, qui elles demandent plusieurs autres examen.» Me Belarif veut savoir si une balle peut changer de trajectoire, et le témoin est affirmatif : «Bien sûr et elle laisse des traces, qu’on peut déceler par une simple radio. Elle peut même en changer plusieurs fois, tout dépend du calibre, de sa vitesse, si elle touche un objet dur ou tendre.»

Il affirme aussi qu’une balle semi-blindée peut provoquer beaucoup de dégâts. Interrogé sur le lieu de l’autopsie, le témoin indique que les premiers examens ont été effectués à la clinique des Glycines, «mais après avoir été désigné pour l’autopsie, j’ai demandé à ce que le corps soit transféré au CHU Mustapha, pour procéder aux radios. Toutes les opérations ont été effectuées au service de médecine légale». Sur la question de savoir à qui remettre les balles retrouvées sur le corps, le Dr Belhadj révèle : «Depuis les années 1990, on remet les pièces au laboratoire scientifique, avec la copie de réquisition et tous les éléments trouvés.»

Le médecin ne cesse de répéter : «La balle est allée se loger derrière les vertèbres du côté de l’épaule droite. Lorsqu’il a été touché, le défunt a été déstabilisé. Il s’est penché sur la droite de son bureau. S’il avait reçu les soins, il serait vivant. Il n’avait pas de lésion cérébrale. Il s’est levé avant de tomber. Ce qui explique les lésions sur le visage. S’il s’était soulevé, la balle n’aurait pas provoqué de lésions aussi graves. Elle serait sortie. La tête était plaquée au sol quand la deuxième balle l’a atteint.» Me Sidhoum : «Où sont les lésions explosives ?»

Le témoin : «Regardez le cuir chevelu. Il est comme déchiqueté.» L’avocat n’est pas convaincu. Il dit que c’est juste les marques d’«un rasage». Le Dr Belhadj : «La radio est là pour le montrer. Scientifiquement, il ne s’agit pas d’un rasage. Ce sont les effets de l’éclatement.» L’avocat lui demande comment a-t-il déterminé le calibre de la balle qui a causé les dégâts. Le témoin : «J’ai exercé durant toute la période du terrorisme, j’ai appris à connaître la balistique. J’ai dit que c’est un calibre 38 de par mes connaissances.»

Il révèle qu’en matière de rédaction du rapport d’autopsie, «on demande toujours des examens complémentaires et on remet les balles extraites au laboratoire scientifique de la police, qui nous aide beaucoup». Me Belarif lui demande comment il a déduit que le premier coup était celui de la joue et non pas celui de la tête. «Il est impossible que le coup tiré dans la tête soit le premier», lance-t-il.
Salima Tlemçani


Partie civile : «Il aurait dû utiliser l’excuse de la provocation au lieu de nier»

Me Mohamed Othmani plaide pour la constitution en tant que partie civile, au nom de l’ancien chef de la sûreté de wilaya Abdelmoumen Abderabi.

Il se déclare «étonné» et «déçu» de voir l’accusé évoquer «la thèse du complot pour s’éloigner des preuves scientifiques contre lui. J’aurais aimé qu’il utilise l’excuse de la provocation ou alors la légitime défense, cela aurait été plus rentable pour lui». Il fait savoir au tribunal que «contrairement à ce qu’il dit, l’enquête préliminaire a été en sa faveur.

Et lors de la reconstitution en présence de ses avocats, il a reconnu des faits assez importants. Il ne peut pas venir aujourd’hui tout nier. Où sont les rapports des Renseignements généraux sur les relations qu’il entretenait avec Ali Tounsi ? Rien. Ce service a été écarté». Au nom de la famille de Ali Tounsi, Me Chenaif rappelle que cet assassinat est le deuxième, après celui de Boudiaf, qui bouleverse le pays.

«Ali Tounsi a été tué par l’un de ses plus proches.» Elle exhibe l’emblème national qui était hissé dans le bureau du défunt, en disant : «Regardez tous ce drapeau. Il est maculé du sang de Ali Tounsi. Les héros meurent une fois, mais le défunt est mort deux fois.» Elle rappelle que la partie civile a elle aussi relevé beaucoup de défaillances dans le dossier, et qu’elle demandé la présence de plusieurs témoins, dont l’ancien ministre de l’Intérieur, en tant que tutelle, qui avait fait des déclarations juste après l’assassinat, alors qu’il aurait fallu qu’il le fasse devant le juge et non en public.

«Lui-même était prêt à être entendu, alors que le juge a refusé notre demande.» Pour l’avocate, «il n’y a aucun doute sur le crime commis par Oultache. Ce dernier a tiré sur le défunt puis, une fois tombé, il est venu tirer un second coup, qui l’a tué. Cette histoire de coupe-papier et de menace est une invention».
Salima Tlemçani