M. Kaddache: « L’initiative de Douste-Blazy est louable »

L’historien Mahfoud Keddache

« L’initiative de Douste-Blazy est louable »

El Watan, 28 juillet 2005

L’historien Mahfoud Keddache qualifie l’initiative de M. Douste-Blazy de « louable ». Il nous en donne les raisons dans ce bref entretien.

Seriez-vous prêt à travailler avec vos homologues français dans le cadre de la commission prônée par le ministre français des Affaires étrangères ?

Les intellectuels algériens, en particulier les historiens, ont toutes les raisons de condamner la loi du 23 février 2005. D’abord, du fait que celle-ci réhabilite les exactions de l’armée coloniale contre le peuple algérien et par rapport aussi à notre latitude de rétablir la vérité en s’appuyant sur des faits historiques avérés. Le ministre français s’engage à ne pas s’immiscer dans les prérogatives de cette commission, ce qui est en soi un gage de garantie m’encourageant à adhérer. Je travaillerai volontiers avec cette commission.

N’appréhendez-vous pas des visions antagoniques chez les deux parties, sachant que nombre d’experts français n’ont pas cru devoir se prononcer sur cette page sombre de l’histoire ?

J’ai eu à travailler avec nombre d’historiens français, connus pour leur probité intellectuelle et leur sens d’objectivité. En plus d’un statut leur conférant une référence en la matière, ils sont connus pour leur engagement libéral. Ils ont toujours exprimé de la sympathie au peuple algérien. Je pense que leur présence dans la commission est incontournable.

Djamel Zerrouk


Colonialisme

II n’y aura jamais d’histoire officielle en France », a affirmé mardi, le chef de la diplomatie française, même si la loi française du 23 février sur le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » stipule l’inverse.

Comment, en effet, ne pas y voir l’histoire officielle puisqu’elle demande que les programmes scolaires français « reconnaissent (…) et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit » ? C’étaient des soldats, et comme tels, ils étaient, ou plus exactement ils se sont mis au service d’un système qu’ils servaient souvent avec zèle. Et le système en question s’appelait colonialisme que les manuels ont du mal à décrire. Son but était d’accaparer des marchés et de faire main basse sur toutes les sources de richesses. Le pillage, et l’Afrique, pour ne citer qu’elle, en a été le théâtre, surtout après le Congrès de Berlin de 1885 qui avait entériné son partage. C’est aussi le déplacement de populations dont on mesure encore aujourd’hui les effets dramatiques. Et pour soumettre ceux qui en étaient les légitimes propriétaires, c’est le recours systématique à la force, avec des assassinats, des disparitions, l’exil, l’emprisonnement et l’expropriation. C’est cela le colonialisme et rien d’autre. Il devient alors difficile sinon impossible de le décrire autrement, et surtout lui trouver un aspect positif. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’en dénoncer quelques faits saillants, parmi les plus sanglants et les plus barbares, comme s’il s’agissait de simples incidents de parcours. Ce qui apparaîtrait comme une tentative de réhabiliter le colonialisme, comme il semble vain de chercher, quarante ans après les indépendances, à lui donner une autre consistance. Les historiens ont eu l’occasion de le faire. Et pourtant, le ministre français des Affaires étrangères a prôné, mardi, la création d’une commission mixte, c’est-à-dire composée d’historiens algériens et français, afin d’évaluer la loi en question, vivement dénoncée de ce côté de la Méditerranée. Il suffit pourtant d’appeler les choses par leur nom et situer avec précision qui a occupé qui. Là est le fond de la question. Il y avait un occupant et un occupé, et entre les deux, une machine infernale qui régissait ce rapport, l’entretenait afin de le perpétuer, quel qu’en fût le prix. Des morts, des millions de morts. Des sociétés déstructurées et contraintes au sous-développement.

T. Hocine