Film: L’autre 8 mai 1945

L’AUTRE 8 MAI 1945

Documents et témoignages inédits de mise à nu du système colonial

De notre bureau de Paris, Khadidja Baba-Ahmed, Le Soir d’Algérie, 7 mai 2008

L’autre 8 Mai 1945, ou le voile enfin levé sur ce qui a été longtemps désigné comme «les troubles de Sétif et de Kherrata» et qui a, en vérité, constitue une véritable mécanique coloniale, chargée de broyer, par tous les moyens, toute velléité d’indépendance et d’écraser le mouvement national algérien et les soulèvements naissants contre l’occupation.

Durant 52 minutes, les téléspectateurs pourront voir sur France 2, demain à 23h5mn (heure algérienne) un document unique, réalisé par Yasmina Adi, jeune cinéaste de 33 ans d’origine algérienne, qui a eu le mérite d’enquêter, de fouiller, de livrer ou plutôt délivrer du silence, les témoins des massacres. Pour la première fois, la vérité historique est laissée à ceux qui l’ont vécue, et aux documents français longtemps gardés top-secret ou encore ceux des services secrets anglais et américains (les Alliés étaient alors présents en Algérie) qui n’ont jamais été évoqués jusque-là. Le témoignage de Landrum Bolling, ancien reporter de guerre américain, le premier à l’époque à arriver sur les lieux des massacres à Sétif, est à cet égard édifiant. Tout autant édifiants et en même temps insoutenables à l’œil et à l’ouïe, les nombreuses images d’archives sur des massacres collectifs en direct ou les humiliations des Algériens. Des témoins algériens, connus ou anonymes, tous d’un âge très avancé aujourd’hui, reviennent sur le martyre qu’ils ont vécu, eux-mêmes ou leurs familles, alors que certains d’entre eux n’avaient que 19/20 ans, certains même 17, au moment des faits. La parole a ainsi été donnée au docteur Chawki Mostefaï (ancien membre du comité central du Parti du peuple algérien PPA) et créateur du drapeau algérien que les manifestants brandiront ; Aïssa Cherraga, celui qui, à Sétif, a brandi ce drapeau ; Lahceène Bekkhouche, Saïd Allik … et tant d’autres femmes et hommes, victimes de la répression. Les derniers plans du film cadrent justement sur un grand nombre de ces Algériens qui s’étaient vu en 1945 condamnés à mort et qui n’ont pu recouvrer la liberté qu’en 1962, à la libération. L’on découvre dans ce documentaire que les milices créées par le régime colonial ne sont pas une vue de l’esprit. Dans l a Dépêche de Constantine du 9 mai 1945 un appel du préfet de cette ville de l’est demandait aux Français de créer des milices. Celles-ci furent très vite mises en place, armées, dirigées par le sous-préfet de la ville et se sont lancées dans les exactions. L’intérêt de ce document historique est d’avoir rappelé aussi le contexte marqué déjà par l’interdiction, depuis 1939, du PPA ; par la mise sous les verrous de Messali Hadj et de Ferhat Abbas ; par la création, toute récente, (mars 1945) au Caire de la Ligue arabe ; par la charte de San Francisco qui a créé l’ONU le 26 juin 1945. Le documentaire nous rappelle, aussi, la loi du silence, observée alors «en Métropole» sur ce qui se passait en Algérie, les rares titres n’évoquant alors que des «troubles dans le Constantinois», troubles souvent ramenés à des problèmes de «manque de moyens de certains paysans ». Enfin, parmi les nombreuses qualités de ce document, celle essentielle réside dans la mise en perspective de ces massacres dans leur contexte véritable, celui d’une Algérie occupée par un régime colonial qui considérait l’Algérie comme «Pivot de son système» et qui n’acceptait de la population algérienne que si elle ne sortait pas de «la normalité coloniale», comme l’a si justement dit l’historien et chercheur du CNRS Pascal Blanchard, qui intervient tout au long des 52 mn pour donner aux faits sans appel, décrits par ceux qui l’ont vécu, leur véritable dimension.
K. B.-A.

Entretien express du Soiravec Yasmina Adi, réalisatrice (réalisé hier par téléphone)

Le Soir d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a amené au choix du 8 Mai 1945 pour votre premier documentaire ?
Yasmina Adi : De par mes origines algériennes, qui plus est de la région de l’est de l’Algérie (Taher et Jijel), l’histoire de l’Algérie m’intéresse. L’idée de consacrer au 8 Mai 1945 s’est imposée à moi à la suite de la polémique créée autour de la loi de février 2005 demandant en particulier qu’on inclue dans les programmes scolaires, le «rôle positif de la présence française en Afrique du Nord». Il se trouve que mes parents et notamment mon père m’avaient toujours parlé du 8 Mai 45, occulté aujourd’hui dans la nature et la dimension de ces massacres. J’ai donc décidé de faire une enquête et d’aller sur place interroger les victimes, interroger aussi les archives dont le secret a été levé en 2005, et consulter les rapports des services de sécurité, notamment anglais et américains, sur cette période. En fait, enquêter sur le système colonial.

Comment avez-vous procédé ? Avez-vous eu des difficultés particulières à réaliser ce documentaire en Algérie ou ici en France ?
J’ai d’abord été en Algérie en repérage. J’ai eu facilement toutes les autorisations de tournage, qui a duré 9 semaines, soit 3 fois trois semaines. En Algérie, ceux qui ont témoigné l’ont fait très facilement, sauf que j’ai perdu certains en cours de route. Sur la période de septembre 2006 à février 2007 durant laquelle je me suis déplacée en Algérie trois fois pour filmer, certains témoins, très âgés, sont malheureusement décédés et le temps a joué. J’ai pu, cependant, avoir pas mal de témoins encore vivants, heureusement. Du côté français, trouver des témoignages a été beaucoup moins évident. Les gens ont été beaucoup plus réticents à témoigner.

Après l’Autre 8 Mai 1945, vos projets de films s’intéresseront-ils encore à l’Algérie ?
Je repars, dès fin mai, en repérage en Algérie, pour préparer un film sur l’Algérie d’aujourd’hui, pas celle des clichés, pas celle que l’on nous bassine ici, tous les soirs dans les journaux télévisés.

Pourquoi la diffusion de votre film l’Autre 8 Mai 1945 passe jeudi sur France 2 en troisième partie de soirée et à une heure aussi tardive (0h 5 mn, heure française) ? Les Français ne sont-ils pas encore prêts à regarder la réalité de leur histoire ?
Franchement, je ne sais rien. Posez la question à France 2. C’est justement ce que nous avons fait. La responsable de la communication de France 2 nous a répondu, sans autre explication, que «Infrarouge», l’émission dans laquelle s’intègre ce documentaire, passe à cet horaire qui ne peut être modifié.
K. B.-A
Voir jeudi 8 mai à 23h05 (0h5, heure française) sur France 2 : l’Autre Mai 1945, un documentaire de Yasmina Adi.