Dakar ouvre la voie à Alger

VOTE D’UNE LOI CRIMINALISANT LA TRAITE NÉGRIÈRE

Dakar ouvre la voie à Alger

L’Expression, 27 Mars 2010

La mémoire des peuples ne doit pas oublier

Les députés sénégalais ont adopté mardi dernier, une loi qui qualifie la traite négrière et l’esclavage de crimes contre l’humanité.

L’événement s’est déroulé quarante-huit heures avant la commémoration de la Journée internationale des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves, qui a lieu tous les 25 mars. Les députés algériens suivront-ils l’exemple de leurs homologues africains? L’Assemblée populaire nationale qui envisage de voter une loi contre les crimes commis par le colonialisme français en Algérie a vu son initiative remise à plus tard. A moins que le projet ne soit mort-né. «Cela dépendra de la circonstance et de la conjoncture», a déclaré au début du mois de mars 2010 le président de l’APN (Assemblée populaire algérienne) qui a ajouté que le projet de loi est entre les mains du gouvernement qui dispose de deux mois pour y donner une suite favorable ou l’abandonner. Le colonialisme français ne s’est pas embarrassé de circonstance et de conjoncture pour mettre à feu et à sang la terre d’Algérie. Assassiner, spolier, torturer… Les élus du palais Zighoud-Youcef vont-ils capituler sans livrer bataille? Tout était pourtant parti tambour battant. «Une proposition de loi criminalisant le colonialisme français a été déposée le 13 janvier au bureau de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement). Le projet sera soumis au gouvernement avant d’être adopté par le Parlement probablement lors de la session de printemps», avait déclaré à Alger, Moussa Abdi, député du FLN, à l’occasion d’un débat qui a eu lieu au début du mois de février, au Forum du quotidien El Moudjahid. Non seulement cette proposition de loi, qui a été signée par 125 députés, en majorité de l’Alliance présidentielle (FLN, RND, et MSP), ne sera pas adoptée durant la session de printemps mais elle risque de tomber dans l’oubli alors qu’elle commençait à faire grand bruit de l’autre côté de la rive de la Méditerranée.
Le Sénégal ne s’est, quant à lui, pas embarrassé des petites sensibilités des uns et des autres. Et c’est sans faire de tapage ni de vagues que la mémoire des enfants, des hommes et des femmes arrachés avec une violence inhumaine inouïe à la terre d’Afrique, a été défendue. Ressuscitée dans la douleur certes, mais mémorisée pour l’éternité.
Des millions d’entre eux, 10 à 15 millions dont six millions n’arriveront jamais à destination à cause des mauvais traitements et de la malnutrition, qu’ils ont dû subir de la part de leurs bourreaux, sont partis de l’île de Gorée non loin de Dakar et du Parlement sénégalais où leur fut consacrée une loi mardi, en souvenir du martyre qu’ils ont enduré. Une manière aussi de ressusciter leurs voix étouffées, leurs souffrances et les cicatrices qu’ont portées leur corps à la peau d’ébène, lacérés par les coups de fouet de leurs maîtres.
Leurs tortionnaires. «Il s’agit d’une loi mémorielle, d’un devoir de mémoire. C’est une réponse juridique à un fait historique, même lointain, pour montrer l’ampleur de l’horreur et ses conséquences dramatiques sur l’Afrique», a déclaré après l’adoption de la loi, Cheikh Bamba Niang porte-parole du ministère sénégalais de la Justice. La loi est dotée de trois articles. L’énoncé du premier indique que «la République du Sénégal déclare solennellement que l’esclavage et la traite négrière, sous toutes leurs formes, constituent un crime contre l’humanité.»
Le second décrète le 27 avril journée de commémoration nationale «correspondant à la date de l’abolition de la traite négrière dans les colonies françaises, le 27 avril 1848, à l’initiative de Victor Schoelcher». Le troisième précise que «les programmes scolaires devront, notamment dans les cours d’histoire, inclure cette question et lui réserver suffisamment de place pour que nos enfants comprennent bien ce qui s’est passé et les conséquences de la traite négrière sur l’évolution de l’Afrique».
Une loi en guise de réponse au discours du chef de l’Etat français prononcé le 26 juillet 2007, dans l’enceinte de l’université Cheikh Anta-Diop de Dakar. «L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. (…) Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. (…) Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès», avait déclaré Nicolas Sarkozy devant une communauté universitaire et des personnalités politiques qui n’en croyaient pas leurs oreilles.
Des réactions d’indignation furent nombreuses en France et à travers le monde. Ces déclarations ont été jugées «inacceptables» par le chef de l’Etat sénégalais Abdoulaye Wade.
Comme a été inacceptable le vote par le Parlement français de la loi du 23 février 2005 glorifiant la colonisation dans ses anciens territoires et en particulier en Algérie. Nicolas Sarkozy, qui a reconnu l’injustice du système colonial français, refuse par contre toute idée de repentance des crimes commis durant la période coloniale. «Nous envisageons de créer des tribunaux spéciaux pour juger les responsables de crimes coloniaux ou de les poursuivre devant les tribunaux internationaux», a promis de son côté le député FLN, initiateur du projet de loi criminalisant le colonialisme français.

Mohamed TOUATI