Le président Bouteflika retient du « règne » colonial français un « génocide » et des « fours »

Le président Bouteflika retient du « règne » colonial français un « génocide » et des « fours »

Le Monde, 12 mai 2005

‘Etat français et les colons installés en Algérie peuvent-il être assimilés aux nazis ? Ont-ils, eux aussi, par leur comportement, mené un « génocide » ? Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, semble le penser, qui a fait lire, vendredi 6 mai, par son ministre des anciens combattants, Mohammed Chérif Abbas, un long texte passionné et sans nuance devant les participants à un colloque sur les « massacres du 8 mai 1945 » . Ce dernier s’est tenu à l’université Ferhat-Abbas, à Sétif, dans l’est du pays, à l’occasion du 60e anniversaire des tueries dans le Nord-Constantinois.

Le chef de l’Etat n’y est pas allé par quatre chemins. « Les commandos de mort, écrit-il, à propos des auteurs des massacres commis à Sétif et dans sa région ­ qui ont fait, selon les sources, de 15 000 à 45 000 morts ­, ont exécuté par centaines et milliers les citoyens sur les places publiques, stades et autres buissons. Les corps gisaient sur le sol, en proie aux animaux. Qui ne se souvient des fours de la honte installés par l’occupant dans la région de Guelma, au lieu-dit « El Hadj-Mebarek », devenu lieu de pèlerinage (…) Ces fours étaient identiques aux fours crématoires des nazis. »

Et le président d’ajouter, selon la traduction de ses propos par l’agence de presse algérienne : « Nous ne pouvons oublier les centaines de massacres commis auparavant et les nombreux fours installés dans notre pays. Le four le plus célèbre est celui du mont Dahra, oeuvre des bourreaux Bugeaud et Pélissier. De telles pratiques se sont multipliées, notamment durant la deuxième moitié du XIXe siècle (…). L’occupation a foulé la dignité humaine et commis l’innommable à l’encontre des droits humains fondamentaux (…) et adopté la voie de l’extermination et du génocide qui s’est inlassablement répétée durant son règne funeste. »

En conclusion de son intervention, le président Bouteflika demande à la France « un geste qui libérerait -sa- conscience » .

Arrivé lundi soir en Algérie pour une visite de trois jours, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Renaud Muselier, s’est gardé de commenter les propos présidentiels, préférant mettre l’accent sur la « volonté » de Paris et d’Alger de « concrétiser le traité d’amitié » que les deux pays devraient signer avant la fin de l’année. La presse algérienne n’a pas davantage relevé les propos présidentiels.

Recours France, une association de rapatriés d’Afrique du Nord, se montre autrement véhémente. « Nous déplorons profondément la perte de sang-froid et les propos insultants que le président de la République algérienne a tenus à l’égard de la France » , écrit-elle, dans une lettre adressée, mardi, au président Chirac. Et l’association d’exprimer, dans un autre courrier adressé au chef de la diplomatie française, Michel Barnier, son « vif mécontentement de voir la France laisser salir son oeuvre civilisatrice outre-mer » , même s’il y a eu, précise-t-elle, « quelques erreurs » .

Le parallèle fait par le président Bouteflika entre le comportement des colons et celui des nazis vient probablement de l’incinération dans des fours à chaux de cadavres de musulmans massacrés au cours des événements de Sétif.

Quant à la référence aux « bourreaux » Bugeaud et Pélissier, elle renvoie à un épisode précis : le 19 juin 1845, alors que Bugeaud, partisan d’une « guerre acharnée » était le gouverneur d’une Algérie encore partiellement insoumise, le général Pélissier n’avait pas hésité à faire enfumer des habitants d’une tribu favorable à l’émir Abd El-Kader qui s’étaient réfugiés dans des grottes.

Quelque 760 personnes avaient péri, parmi lesquelles des femmes et des enfants. Dans une lettre, un officier français présent sur les lieux avait précisé que les soldats en faction devant l’entrée des grottes enfumées n’avaient pas hésité à tirer sur ceux qui, profitant de la nuit, avaient tenté de s’enfuir.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l’édition du 12.05.05