5 octobre 1988: L’espoir enterré

19e anniversaire du 5 octobre 1988

L’espoir enterré

El Watan, 6 octobre 2007

5 octobre 1988. Dix-neuf ans après, que reste-t-il de cette révolte ? Rien, c’est le black-out qui entoure encore ce terrible événement, mais les blessures restent indélébiles.

Elles le resteront d’ailleurs tant la vérité demeure cachée. Pour les familles des 400 victimes fauchées par les balles pendant les émeutes, la plaie reste ouverte. Hier encore, c’est dans l’oubli qu’a été célébré cet événement tragique. Au lieu d’intégrer cette date charnière dans le panthéon de l’histoire, les officiels préfèrent encore tourner le dos à la révolte d’octobre : ni commémoration ni déclaration, encore moins un hommage. « Si les autorités pouvaient sauter le mois d’octobre, elles l’auraient fait », ironisait hier Azouaou Hamou l’Hadj qui déplore le silence de l’Etat. Pourtant, cette date évoque beaucoup de choses que cette victime, qui garde encore des séquelles de cet événement – amputée de son bras gauche –, n’est pas près d’oublier. Une répression sanglante à laquelle s’ajoute la torture s’était abattue sur des manifestants dont la majorité était très jeune. Des enfants à la fleur de l’âge qui manifestèrent dans les rues d’Alger furent fauchés par des balles assassines ou torturés sauvagement par les services de sécurité de l’époque. Chacun allait de sa propre interprétation des événements du 5 octobre 1988 : soulèvement populaire, mouvement spontané d’essence démocratique, « chahut de gamins », complot dressé par le pouvoir en place pour renverser un autre. Mais aux yeux d’Azouaou, bien qu’aucune enquête n’ait été à ce jour diligentée à cet effet, « c’est aux historiens de faire des recherches sur les causes de cette révolte ». Celui-ci témoigne que « les événements n’ont pas été canalisés, la révolte était spontanée ». « Octobre, c’était le rejet de la hogra », selon cette victime. Azouaou n’a qu’une revendication : le statut de victime d’octobre. « On est victime de qui ? », s’interroge notre interlocuteur. Même combat pour l’actuel président de l’Association des victimes d’octobre (AVO), Ouchelouche Djaâffar. Celui-ci regrette que certaines victimes couraient dès le début pour avoir des compensations matérielles. Une démarche à laquelle lui qui a perdu son fils qui n’avait que 13 ans – tué à bout portant – n’a pas adhéré. « Ce n’est pas le matériel qui peut compenser la détresse », estimera-t-il. Avant d’ajouter : « Comme moi, j’ai perdu mon fils, rien ne peut me compenser sauf sa vie. » Ouchelouche regrette le fait que les victimes d’octobre 1988 n’aient pas été concernées par l’augmentation des pensions fixées à 10 000 DA. Il touche aujourd’hui 2200 DA/mois. Pour lui, la raison qui a fait que les victimes d’octobre sont ignorées, c’est l’absence d’un statut pour cette catégorie. « Les victimes d’octobre 1988 ont été oubliées, y compris par la classe politique d’‘‘opposition’’ », regrette-t-il. Ce père d’une victime explique les émeutes d’octobre par « une réaction spontanée à un événement préparé par des forces occultes ». Malheureusement, poursuit-il, « les services de sécurité de l’époque n’ont pas su gérer ce genre d’événement et l’hécatombe s’en était suivie ». Le nombre de victimes de cette « bavure » du pouvoir est à ce jour sujet à polémique. Si, officiellement, le nombre était de 157 victimes, l’AVO a dénombré 314, d’autres sources donnaient 1200 morts et plus de 15 000 handicapés à vie. M. Ouchelouche refuse de croire que c’est octobre 1988 qui a généré le terrorisme et les autres crises. « Octobre a permis de revoir les tares qui ont été cachées », estimant que « le mouvement criminel intégriste n’aurait pu être mis au jour s’il n’y avait eu l’événement de 1988 ». Cela dit, au-delà des causes et des hommes qui ont mis le feu aux poudres – une tâche qui relève beaucoup plus du domaine de l’historien –, le 5 octobre a marqué la naissance du multipartisme, de la presse indépendante et des libertés individuelles. Que reste-t-il de ce cher acquis ? Rien ou que des illusions.

Rabah Beldjenna