La négociation franco-algérienne : l’opposition endémique de l’EMG au GPRA

La négociation franco-algérienne : l’opposition endémique de l’EMG au GPRA

Boubekeur Ait Benali, 27 février 2014

Depuis la création de l’EMG (état-major général), commandé par Houari Boumediene, le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) fait face à une double difficulté. Il y a d’abord celle de la France qui ne veut rien lâcher sur ses intérêts et ensuite celle de l’EMG qui ambitionne de prendre le pouvoir. Or, si la première opposition est prévisible dans la mesure où les Algériens ont pris les armes contre cette domination, il n’en est pas de même de celle de l’EMG dont le but est de se proclamer du peuple algérien afin de le priver à la fin de sa victoire.

Cependant, le Dien Bien Phû étant impossible, la guerre d’Algérie ne peut se terminer que par des négociations. « Sachant fort bien qu’il faudrait tôt au tard négocier, Boumediene, lui, entendait pratiquer une abstention volontaire : laisser faire le GPRA, c’était se dégager de toute responsabilité et se ménager la possibilité ultérieure de critiquer les accords issus de la négociation », écrit l’éminent historien, Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN ». En effet, bien que le CNRA (conseil national de la révolution algérienne), sorte de parlement de la révolution, mandate le GPRA pour mener à bien cette mission délicate, qui est la négociation, l’EMG ne relâche pas la pression.

D’ailleurs, à en croire Gilbert Meynier, le remaniement du GPRA en août 1961 est dû à un différend profond entre l’EMG et le GPRA. « Les négociations, reprises le 20 juillet (1961) à Lugrin, aboutirent à la rupture le 28. Démonstrativement, l’EMG se refusa désormais à cautionner de quelque manière que ce soit les négociations. Dès lors, la convocation du CNRA était inévitable, sur fond de crise générale entre l’EMG et le GPRA dont le différend sur les négociations n’avait fourni qu’un des aliments », écrit-il.

Quoi qu’il en soit, dans le fond, le remaniement ne change rien à la nature du conflit. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’EMG sort renforcé de cette épreuve. Et pour cause ! Les vraies rênes du pouvoir changent littéralement de main. Le CIG (comité interministériel de la guerre), dont dépend théoriquement l’EMG, est tout bonnement supprimé. Quant à ses titulaires, en l’occurrence les 3B, leur autorité se rétrécit désormais telle une peau de chagrin.

Cela dit, bien que le rapport de force soit dorénavant en faveur de l’EMG, le CNRA ne cède pas sur sa volonté d’aller vers la négociation. « Via les hommes de l’EMG, les commandants de l’armée des frontières transmirent une motion réclamant la désignation d’une direction politique garantissant « l’application des principes révolutionnaires » -c’est-à-dire qui eût l’aval de l’EMG. Non terrassé mais battu, l’EMG sortit tout de même relativement isolé du CNRA. Il avait échoué dans sa tentative de rallier à lui les militaires contre le GPRA, et cela malgré la promotion récente de certains DAF (déserteurs de l’armée française) dans le cadre de la réorganisation de l’armée », note Gilbert Meynier.

En tout cas, c’est dans ce climat délétère que le troisième GPRA, dirigé par Ben Youcef Ben Khedda à partir du 27 août 1961, engage des pourparlers avec les autorités françaises. Malgré la confiance du CNRA, le GPRA s’engage en ayant en permanence la crainte d’être désavoué par l’EMG. Et il a raison de le penser. Car, bien que les chefs historiques –dont l’autorité est jusque-là incontestée –approuvent, dans une lettre au CNRA du 22 au 27 février 1962, les accords, l’EMG ne désarme pas. Pour calmer les esprits, Saad Dahlab, ministre des Affaires étrangère du GPRA, explique que le document n’est pas encore ratifié. « Rien n’est encore décidé : le CNRA peut approuver ou désapprouver. Ratifier ou recommander la rupture. Mais il doit prendre une décision », dit-il à la réunion du CNRA le 22 février 1962. De son coté, Lakhdar Ben Tobbal donne un coup d’estocade à l’idéalisme « révolutionnaire » de l’EMG. D’après lui, « tout le monde admet désormais que la victoire ne sera pas obtenue par les armes et il est impossible par conséquent d’aboutir à une indépendance idéale. »

Enfin, mis devant ses responsabilités, Bouemdiene tente un coup de bluff. Selon Réda Malek, dans « l’Algérie à Evian », « aux yeux du chef de l’Etat-major, la liberté de mouvement, pour l’ALN, est un principe sur lequel on ne saurait transiger. » Mais, qui a empêché Boumediene de rentrer en Algérie durant les sept ans et demi de guerre ? Qui a refusé d’obéir aux recommandations du CNRA depuis 1960 pour que l’armée des frontières rejoigne les maquis intérieurs. Au fond, l’opposition de Boumediene vise à déstabiliser le GPRA. Sur ce point crucial d’ailleurs, Saad Dahlab intervient courageusement pour remettre les pendules à l’heure. D’après Réda Malek, le ministre des Affaire étrangères déclare « qu’avec la présence d’une armée française de 560000 hommes, rien au fond n’est assuré. Si la France, déclare-t-il, ne veut pas accorder l’indépendance, ce n’est pas l’Exécutif provisoire ni la force locale qui pourrait l’en empêcher. »

Finalement, malgré une contestation virulente de l’EMG, le CNRA, dans son ensemble, soutient sans vergogne le GPRA. Même les ex-udmistes, dont Ferhat Abbas en tête, votent les accords, et ce, malgré leur élimination du GPRA en août 1961. Ainsi, sur les 49 membres, 45 votent pour la poursuite des négociations et la signature des accords de cessez-le-feu. « Le CNRA demande au GPRA de poursuivre ses efforts au cours de la prochaine négociation publique pour améliorer le contenu des accords. En conséquence, et conformément à l’article 12 des statuts du FLN, le CNRA mandate le GPRA pour signer les conventions de cessez-le-feu », tranchent les membres du CNRA.

Pour conclure, il va de soi que la formation d’une grande armée aux frontières devient peu à peu un obstacle à l’action politique. Tout au long de la période de négociation, l’EMG met une pression intenable sur les négociateurs. Pour l’EMG, d’après Gilbert Meynier, les politiques « avaient été des chargés de mission extraordinaires investis de la redoutable tache d’aboutir à la paix, et à qui la vraie direction du FLN qui se profilait –c’est-à-dire le segment dominant de l’armée figuré par l’EMG –ne demandait rien, si ce n’est le droit qu’il s’était arrogé en toute impunité de déverser sur eux des critiques démagogiques. Le titre révélateur des Mémoires de Saad Dahlab est bien « Pour l’indépendance. Mission accomplie ». Une fois la mission accomplie, les politiques furent priés de se faire oublier. » Et le drame, c’est que ça continue jusqu’à nos jours, 52 ans après la signature des accords de cessez-le-feu.

Ait Benali Boubekeur