Ce qui va changer dans le code de la famille

Tutorat, droit de garde, logement, pension alimentaire

Ce qui va changer dans le code de la famille

Le Quotidien d’Oran, 11 juillet 2004

La commission nationale chargée de la révision du code de la famille, installée en octobre 2003 par Tayeb Belaiz, a terminé la première phase de son travail. Elle doit soumettre, le 15 juillet prochain, au ministre de la Justice, garde des Sceaux, son rapport préliminaire portant sur «les mesures d’urgence» préconisées pour mettre en adéquation la loi avec la constitution algérienne.

Le premier président de la Cour suprême, en tant que président de cette commission, en a présenté les axes majeurs, hier, au siège de l’institution. Les propositions faites par la commission sont appelées à devenir des amendements, a indiqué M. Boutarène. «Elles pourraient devenir un projet de loi». Ces recommandations portent sur les dispositions les plus décriées depuis l’adoption du code de la famille, il y a 20 ans. «Nous avons abordé les points sensibles et qui ont démontré des insuffisances par le passé», a indiqué le président de la commission. Parmi lesquels le statut de mineure à vie dévolu à la femme à partir de 1984.

La commission préconise, en ce sens, la levée du tutorat matrimonial. Ses 52 membres recommandent d’abroger l’autorisation préalable et obligatoire d’un tuteur (wali) pour la femme désirant se marier. «Cette proposition ne va pas à l’encontre de la chariaa. Le tuteur est instauré par les traditions algériennes», a précisé Mohamed Zeghloul Boutarène. Autre changement, la commission propose de soumettre à l’avenir la polygamie à l’appréciation d’un magistrat. Le juge devra donner son autorisation à l’époux pour convoler en secondes noces avec l’accord préalable de la première et de la future épouse si ce dernier peut prouver son équité et son traitement égal envers les deux femmes.

Le premier président de la Cour suprême a également précisé que les travaux de la commission tendent à aller vers le maximum d’égalité entre les hommes et les femmes en matière de divorce. La volonté unilatérale de l’époux (répudiation) sera beaucoup plus restreinte, a-t-il indiqué, puisque les juges auront à arbitrer en cas d’excès. Interrogé, Mohamed Boutarène n’a pas précisé, toutefois, si les dispositions permettant à l’épouse de divorcer allaient être révisées alors que dans un compte rendu, rendu public le 8 mars dernier, il en était question.

La commission s’est, par ailleurs, penchée sur la tutelle parentale durant la vie conjugale ou après en cas de divorce. Jusqu’à présent dévolue au père, la commission prône une «cotutelle» pendant le mariage. Donc, une responsabilité parentale partagée entre les deux parents. Cette tutelle passerait à la mère si elle a la garde des enfants en cas de divorce. Interrogé sur un éventuel changement concernant les dispositions régissant la garde des enfants, il a objecté que «ce n’est pas un axe prioritaire pour la commission». Actuellement, la garde est systématiquement accordée à la mère par les magistrats, le cas échéant à la grand-mère maternelle, puis aux tantes, à la grand-mère paternelle, pour arriver enfin au père.

Le domicile conjugal reviendrait dans ce cas aux enfants et par voie de conséquence au parent qui en a la garde, la mère, avec l’obligation faite au père le cas échéant d’assurer un hébergement aux enfants et à la mère. «L’époux ne sera pas obligé de quitter le domicile mais il aura l’obligation de mettre un logement à la disposition de ses enfants». Quant à la pension alimentaire, les membres de la commission proposent de la réviser. Ils recommandent en ce sens que les magistrats n’attendent plus la fin du procès pour se prononcer sur cette question, mais ils doivent prendre les dispositions provisoires nécessaires dès la première audience pour permettre à la mère de subvenir aux besoins de ses enfants.

Un fonds de «garantie» sera créé en ce sens. «Il va se substituer au père en cas de défaut de sa part». Il aura pour mission de verser la pension alimentaire à la place de l’époux en cas d’incapacité, transférant ainsi le contentieux non pas entre la mère et le père mais entre l’institution et le père. «Le fonds se retournera par la suite contre le père pour récupérer la pension», a indiqué le président de la Cour suprême. Ces dispositions ont été, selon Mohamed Boutarène, discutées et approuvées par la commission. Celle-ci doit poursuivre ses réflexions autour des autres dispositions du code de la famille en vue de rééquilibrer la législation avec la Constitution puis dans un futur encore indéfini avec les conventions internationales signées par l’Algérie.

Néanmoins, trop de contradictions et de réserves dans les propos du président de la Cour suprême jettent une zone d’ombre sur la volonté réelle des 52 membres de la commission composée de parlementaires, de juristes, d’universitaires, de sociologues et de théologiens à aller réellement au bout de la réforme du code de la famille. Pour preuve, ils proposent de lever le tutorat et gardent la polygamie. Ils instaurent une cotutelle parentale mais ne modifient en rien les entraves posées aux pères désireux d’avoir la garde de leurs enfants en cas d’incapacité ou d’absence de la mère. Cela témoigne de la tiédeur des experts à casser réellement des tabous pour instaurer une équité entre les Algériens et les Algériennes, même si certaines dispositions présentées par la commission constituent une avancée considérable.

Mohamed Zeghloul Boutarène a jugé nécessaire, en préambule à sa présentation, de faire quelques «mises au point». Première réflexion du président de la Cour suprême, «il n’est pas question de proposer une révision globale du texte». Il ne s’agit pas d’abrogation, a-t-il précisé, mais plutôt des propositions et des réflexions qui seront appelées à devenir des amendements sur certaines dispositions du code adopté en 1984 rendues «inadéquates» au niveau de l’application. Ces propositions ne vont pas à «l’encontre des principes de la chariaa islamique». D’autant plus que la commission ne s’est pas penchée, selon lui, sur les «dispositions du code relevant de la chariaa telles que l’héritage». Plus explicite, Mohamed Zeghloul Boutarène éclairera précisément l’orientation décidée par la commission. «Il n’est et ne sera jamais question de toucher aux dispositions du code de la famille inspirées directement de la chariaa», a-t-il proclamé. Aujourd’hui, on est bien loin des promesses et des discours du président de la République et du ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur la dignité de la femme et l’égalité entre les citoyens algériens, hommes ou femmes, consacrée par le texte fondateur de l’Etat, la Constitution. Trop de contradictions et de réserves entachent l’espoir suscité.

Samar Smati