Union du Maghreb arabe: Un constat de décès inavoué

Union du Maghreb arabe

Un constat de décès inavoué

Le Quotidien d’oran, 23 décembre 2003

L’Algérie a annoncé, hier, officiellement l’annulation du sommet des chefs d’Etat maghrébins dont les travaux devaient débuter aujourd’hui à Alger.

« C’est sur une requête verbale que nous avons reçue il y a deux jours de la Libye, que nous avons décidé d’annuler le sommet de l’UMA», a déclaré hier le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem. Il précisera que la Libye a fait savoir qu’elle ne pouvait assister au sommet en raison «de circonstances» qu’il a évité de citer et en a demandé par conséquent, le report. «Je ne peux vous donner dans les détails les raisons invoquées par le ministre libyen mais il faut reconnaître que ce pays s’est engagé dans un processus de normalisation avec ses partenaires occidentaux et doit avoir donc à cet effet, les raisons pour demander le report du sommet», a indiqué le ministre d’Etat.

Il ajoutera que «la Libye a invoqué dans sa demande de report, les conditions et le niveau requis mais nous ne sommes pas allés dans le détail pour savoir quelles sont ces conditions et ce niveau requis». Belkhadem rassure qu’il n’y a pas de mésentente entre les deux pays «ni avec le Maroc, mais un concours de circonstances a fait qu’un pays ne pouvait venir au sommet même représenté à quelque niveau qu’il soit avec les lettres de pouvoir qui lui permettent de répondre et de prendre des décisions».

Il avouera que la Libye a proposé à l’Algérie de reporter le sommet de deux semaines pour le tenir le 6 janvier prochain. Le ministre d’Etat dira que l’Algérie a rejeté la proposition libyenne «parce qu’on ne reporte pas un sommet à 48 h de sa tenue, en plus on ne pouvait savoir si les autres Etats allaient accepter et enfin la fin de l’année c’est le 31 décembre !». Tels qu’avancés, ces arguments prouvent qu’Alger a voulu surtout se «débarrasser » de la présidence de l’UMA qu’elle détient depuis avril 1994, date de la tenue du sommet de Tunis. Le ministre d’Etat refuse le terme et préfère dire «nous avons passé le relais à la Libye en cette fin d’année». Il indiquera cependant, qu’en tant qu’entité qui privilégie le consensus, «nous aurions souhaité que la décision du report soit débattue de la même manière, comme le prévoit la déclaration de Marrakech».

L’Algérie n’a pu faire admettre l’idée d’un tel débat, puisque les autorités libyennes ne voulaient auparavant même pas assister à la réunion ministérielle. Pour rappel, Alger a toujours demandé d’amender la disposition consacrant le consensus, sans résultat. Du côté des coulisses des Affaires étrangères, on apprendra qu’Alger a dû mener d’intenses tractations avec les responsables libyens pour qu’ils acceptent d’être représentés à Alger au niveau ministériel. Pour les diplomates, le refus libyen de participer au moins à la réunion ministérielle était un fort indice en faveur de leur rejet du sommet. Ils n’en sont pas moins convaincus de la volonté des Marocains «pour construire le Maghreb» puisqu’ils avoueront que Mohamed Benaïssa est venu à Alger pour marquer «une présence négative». En jargon diplomatique, une telle présence consiste uniquement «à observer sans donner d’avis ni apporter de contradiction à ce qu’il se fait et se dit».

Au dehors de l’hôtel Sheraton où a eu lieu la conférence de presse de Belkhadem, des échos d’importantes institutions de l’Etat n’ont pas hésité à qualifier Maâmar Khadafi «d’imprévisible» mais «l’essentiel» aux yeux de leurs responsables, est que «l’Algérie a réussi à se débarrasser d’un fardeau – la présidence de l’UMA – qui pesait lourdement sur ses épaules depuis de longues années». Pour eux, «il fallait passer la main quelles que soient les circonstances». Non sans ironie, ils lanceront que «le cadavre UMA est désormais entre d’autres mains que celles algériennes». Nos interlocuteurs sont persuadés que «nous avons pu enfin nous débarrasser d’une présidence que le Maroc n’hésitait pas à utiliser comme carte de pression sur l’Algérie». Ce qui est sûr, c’est que l’organisation d’un sommet des chefs d’Etat maghrébins n’incombe désormais plus à l’Algérie.

Abdelaziz Belkhadem indiquera à ce sujet que l’Algérie a réussi à convaincre les représentants maghrébins à la réunion ministérielle d’Alger qu’il est impératif qu’elle cède la présidence de l’UMA à la Libye. «Nous n’avons fait que respecter les textes régissant l’Union puisque l’article 4 de la convention de l’UMA stipule que la présidence est annuelle et tournante», dira-t-il, non sans noter qu’il n’a pas été possible pour l’Algérie de faire admettre ce principe l’année dernière.

Pourquoi avoir gardé la présidence près de 7 ans ? Belkhadem expliquera qu’il fallait d’abord oeuvrer pour le dégel des structures que le Maroc a provoqué, en décidant, en 1995, le gel de sa représentation au sein de l’UMA. «Les efforts déployés par l’Algérie ont réussi à convaincre le Maroc de la réactivation de l’Union et de l’ensemble de ses structures. Nous avons pu le faire à partir de 2001 et, depuis cette date à ce jour, il y a eu au moins une soixantaine de réunions et de conférences à tous les niveaux maghrébins avec des acquis certains», affirme-t-il.

Contrairement au roi du Maroc qui devait se faire représenter au sommet d’Alger par son ministre des Affaires étrangères, Khadafi, lui, a donc refusé carrément toute participation, aussi symbolique soit-elle à cet événement. «C’est encore lui qui a poussé au report du sommet mais il est sûr qu’il veut prendre sa revanche sur l’Algérie parce qu’il lui reproche de promouvoir le Nepad, un projet qu’il qualifie de néocolonialiste, tout en l’accusant en même temps de n’avoir pas été à ses côtés dans l’affaire Lockerbie», nous dit un haut responsable de l’Etat. Pour notre interlocuteur, «Khadafi préfère et tient à s’inscrire dans la logique de l’Union africaine, il veut absolument en être le leader quitte à jeter aux oubliettes l’idée de la construction de l’UMA».

Pour Belkhadem, la réunion ministérielle d’Alger est un succès à partir du moment où «nous avions pu entendre pour la première fois, les interventions des responsables de la cour maghrébine de justice, de l’académie, du SG du madjliss echoura, de l’université et de l’Union des travailleurs maghrébins représentée par le SG de l’Union tunisienne et de Sidi Saïd».

L’Algérie a proposé, selon Belkhadem, la création d’une entité maghrébine économique et douanière à laquelle pourront se joindre «les récalcitrants» par l’intégration ou la signature d’accord d’association. Pour le chef de la diplomatie algérienne, l’annulation du sommet d’Alger n’est nullement un échec «mais un respect des statuts qui fondent l’UMA». Il soulignera que «nous avons fait ce que nous devions faire et nous n’avons pas à en rougir puisque beaucoup de choses ont été faites depuis 2001». L’UMA, est-ce une illusion ? Belkhadem répond que «c’est peut-être le sentiment de certains, mais ils doivent savoir que nous vivons dans un monde où les entités sont plus importantes que les nationalités». Il notera que «nous avons tenté de construire l’UMA sur une base sentimentale mais que nous devons aller vers sa refondation sur la base d’une complémentarité économique qui respecte les intérêts de chaque Etat». Nos sources des hautes institutions de l’Etat estiment qu’en décidant de détruire les programmes d’armes de destruction massive, «Khadafi n’a fait que se discréditer davantage puisqu’il reconnaît aujourd’hui posséder ce qu’il avait toujours nié». Pour ces responsables, le leader de la Jamahiriya «veut certainement plaire aux Occidentaux, notamment aux Etats-Unis, mais il doit savoir que ces derniers en particulier sont intéressés par un Maghreb à trois, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie».

Que font-ils de l’entêtement de Mohamed VI à propos d’une réconciliation avec l’Algérie ? «Ne vous en faites pas, le roi viendra parce que nous sommes condamnés à nous entendre !».

Ghania Oukazi