La sous-traitance à l’épreuve du réel

Industrie automobile en Algérie

La sous-traitance à l’épreuve du réel

El Watan, 8 février 2018

La sous-traitance automobile s’affirme comme une alternative aux importations, un gisement pourvoyeur d’emplois et une opportunité permettant l’acquisition du savoir-faire technologique. Dans un contexte mondial marqué par un essor sans cesse grandissant de la sous-traitance et une externalisation qui prend de l’ampleur, l’Algérie qui veut élargir son écosystème de sous-traitants est confrontée à de grands défis.

Mercredi 7 février. Il fait un temps nuageux et légèrement pluvieux dans la zone d’activité d’Oued Tlélat, à une trentaine de kilomètres d’Oran. Sur ce site industriel qui s’étale sur plusieurs dizaines d’hectares, à quelques encablures de l’usine Renault Algérie Production (RAP), entre des hangars et de vastes terrains nus, une grande enseigne indique Sealynx Automotive Algeria. C’est un futur équipementier automobile qui est en pleine phase d’implantation. Une coentreprise créée entre Sealynx International (détenue par le groupe GMD), la famille Taleb et les sociétés Saida et Palpapro.

La grande marque française a fait confiance au savoir-faire de cette coentreprise pour répondre à toutes les attentes des donneurs d’ordre de l’industrie automobile. Ce sous-traitant, qui se déploie sur un site de 4000 m2, escompte équiper en joints d’étanchéité les usines Renault (RAP), Volkswagen, le futur site d’assemblage PSA, ainsi que toutes les marques de véhicules légers et poids lourds.

Un premier contrat a déjà été signé avec Renault Algérie production pour équiper en joints d’étanchéité quelque 75 000 véhicules par an. A terme, ce sous-traitant atteindra la vitesse de croisière de 200 000 véhicules équipés en joints d’étanchéité par an. «Nous souhaitons être opérationnels dès le mois de mai prochain. Nous sommes au stade final d’implantation. Il ne reste que la validation du dossier ANDI», affirme Safia Taleb, actionnaire administratrice.

Cette jeune femme est la fille d’un industriel qui a multiplié les succès, le patron de Joktal, qui lui a donné le goût du travail bien fait. Cette nouvelle coentreprise a gagné la confiance de Sealynx International, le fabricant de joints d’étanchéité pour l’automobile détenu par le groupe GMD, spécialisé dans la fonderie et l’étanchéité. L’entreprise n’a eu aucun mal à être qualifiée pour fournir l’usine RAP en joints d’étanchéité. Un contrat de commande a déjà été paraphé avec la marque au losange.

«PSA nous aide à nous installer», précise Safia Taleb. Mais le carnet de commande sera étoffé une fois que l’usine Peugeot s’installera ici, dans cette zone d’activité (prévue en 2019). «Nous allons honorer nos engagements de sous-traitance pour aider notre pays à développer une industrie automobile», affirme Safia Taleb qui préfère plutôt se focaliser sur le long terme.

De 12 salariés au démarrage, cette coentreprise escompte passer à 120 employés à terme. Un investissement a été consenti et le plan de développement prévoit davantage d’investissements pour concrétiser des projets en série. Sealynx Automotive Algeria compte bien roder les processus industrialisés.

«Nous allons importer la matière première de Roumanie pour la transformer en une dizaine de références de joints d’étanchéité en caoutchouc», explique Pascal Lacaisse, directeur technique de cette coentreprise qui indique qu’à terme, «l’usine prévoit de fabriquer la matière première localement».

Avec le niveau de technicité très élevé de ses cadres, cet équipementier prévoit de diversifier ses ventes en Algérie comme à l’étranger car un plan d’exportation est prévu. Pour ce faire, Safia Taleb espère une meilleure réactivité de l’administration dans les démarches d’implantation.

Une pionnière nommée Sonacome

A vrai dire, la sous-traitance automobile en Algérie est née il y a 61 ans. En 1957, la société française Berliet crée à Rouiba une usine de montage de véhicules poids lourds. Dix ans après fut créée la célèbre et historique Sonacome qui regroupe une dizaine d’entreprises autonomes. C’est l’ancêtre de la SNVI (Société nationale de véhicules industriels) qui s’entoure dès sa restructuration, en 1981, d’un tissu de fournisseurs, des PME/PMI tant du secteur public que privé.

Aujourd’hui, le réseau de sous-traitance local de la SNVI dépasse les 300 fournisseurs pour environ 3000 références allant des radiateurs aux batteries, en passant par les éléments de vitrage, les pots d’échappement, les articles en plastique, les peintures, les câbles électriques, les pièces mécaniques et de tôlerie. Tous ces fournisseurs sont homologués avec le soutien du partenaire technologique Daimler.

47 ans après la naissance de l’ancêtre de la SNVI est né un autre projet de coentreprise qui va relancer le secteur de la sous-traitance. C’est la coentreprise RAP (Renault Algérie Production) qui a entraîné depuis on lancement, en 2014, l’implantation des premiers fournisseurs locaux.

Il s’agit de Martur Algéria Automotive Siting (fabrication de sièges), Sitel, Sarel et Sealynx. Il est à signaler que le premier fournisseur Joktal a cessé d’équiper la RAP en pièces d’injection plastique. «Le taux d’intégration atteint actuellement 30%, le but étant d’arriver à un taux de 45% en 2023», selon Fabrice Combolive, directeur des opérations de la région AMI (Afrique, Moyen-Orient et Inde), l’Iran et le Pakistan, qui s’est exprimé récemment dans El Watan.

L’usine RAP veut sous-traiter deux ou trois technologies de plus en 2018 et avoir au moins plus d’une dizaine avant l’arrivée de la ligne CKD (Complete Knock Down), en français : le nécessaire en pièces détachées pour assembler un véhicule. De son côté, Volkswagen s’est implanté à Relizane à travers la coentreprise conclut avec Sovac. L’usine tourne à plein régime avec un taux d’intégration de 15% actuellement, l’objectif étant d’atteindre 40% dans cinq ans.

Dans le sillage de cette implantation, Sovac a signé, en juillet dernier, un accord avec le groupe espagnol Sesé, pour la création d’une joint-venture pour organiser la logistique dans l’usine de Volkswagen Production Algérie et développer une plateforme d’exportation de pièces de rechange. Hyndaï, lui, a lancé récemment une usine de plaquettes de frein et compte ouvrir une unité de fabrication de la carrosserie et la tôle.

PSA Peugeot Citroën, quant à lui, lancera avec ses partenaires algériens une usine en 2019 à Oran. Ce constructeur français, qui a ouvert un centre d’ingénierie au Maroc (1500 salariés), pourra inciter sa filiale Faurecia, spécialisée dans l’ingénierie et la production d’équipements automobiles, à s’implanter en Algérie.

Cette filiale développe, fabrique et commercialise des équipements destinés aux constructeurs automobiles : sièges, systèmes d’intérieur (planches de bord, panneaux de porte, éléments de décoration et modules acoustiques…), technologies de contrôle des émissions (échappements).

Un deal gagnant-gagnant

Qu’ils soient français ou asiatiques, les constructeurs n’ont pas le choix en Algérie. Ils se retrouvent face à un mur législatif qui les oblige à se conformer à la loi. Pour inciter l’implantation des sous-traitants et encadrer le secteur, le gouvernement a conçu un cahier des charges pour réglementer l’exercice de l’activité de montage de véhicules. Le cahier des charges exige des sociétés d’assemblage d’atteindre un taux d’intégration minimum de 15% après la troisième année d’activité, et plus de 40% après la cinquième année, et à respecter le détail des taux d’intégration progressifs par catégorie.

Dans un contexte de mondialisation de la production, la sous-traitance est un deal gagnant-gagnant. Si la collectivité nationale gagne des emplois et le transfert d’un savoir-faire technologique, de leur côté, les constructeurs automobiles profitent d’un coût de main-d’œuvre beaucoup moins élevé, évitent de payer des taxes à l’importation qui auraient été plus importantes sur un produit fini et reçoivent des avantages fiscaux en créant de l’emploi dans le pays d’assemblage.

Les constructeurs ont appris à mutualiser via des alliances et partenariats, à développer des plateformes modulaires pour amortir les coûts. Ils doivent désormais se résigner à sous-traiter des pans entiers de savoir-faire. Ils sous-traitent de plus en plus même la conception, l’homologation, le contrôle qualité. Les constructeurs se concentrent à présent sur les métiers qu’ils estiment les plus stratégiques pour l’avenir et délèguent les plus périphériques.
Cherif Lahdiri