Combien et qui sommes-nous vraiment ?

ALGÉRIENS ET STATISTIQUES

Combien et qui sommes-nous vraiment ?

Le Soir d’Algérie, 27 Novembre 2010

L’Algérie, une nation jeune, 70% de sa population a moins de 20 ans ! Et cela seulement constituerait un atout majeur pour les grands chantiers de développement tous secteurs confondus. Mieux, le discours politique s’est nourri pendant longtemps de cette donnée et continue encore aujourd’hui dans la même approche. Qu’en est-il réellement aujourd’hui pour une population résidente totale qui atteindrait 36,3 millions d’âmes au 1er janvier 2011 ?

Par Brahim Taouchichet

A l’Office national des statistiques (ONS), on parle d’une «dynamique de la population assez compliquée» en ce sens que les prévisions peuvent s’avérer erronées du fait de donnes inattendues qui viennent influencer l’évolution de la population à travers le nombre de naissances et donc les conditions socioéconomiques qui favorisent leur augmentation. «Au-delà de 2015 ou 2020, on ne peut pas faire une estimation sérieuse des tendances de l’évolution démographique», dit Omar Ben Bella, chef d’études chargé de la démographie à l’ONS. Affaire donc de chiffres fiables et de statistiques crédibles qui à eux seuls déterminent toute une vision sur un pays. Cela d’ailleurs s’est récemment vérifié lors de la rencontre organisée début novembre par le Conseil national économique et social (Cnes) avec la participation du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur la «Rapport mondial sur le développement humain 2010». En effet, les membres du gouvernement présents, en l’occurence MM. Ould Abbès et Temmar, se sont insurgés contre le responsables du Pnud au vu de la place accordée à l’Algérie, classement jugé injuste et ne reflétant pas la réalité des efforts en investissement consentis par l’Algérie dans les domaines en particulier de la santé et de l’éducation pour ne citer que ces deux secteurs.

Le mea-culpa du Pnud

Les responsables du Pnud quant à eux font leur mea-culpa arguant l’indisponibilité de données chiffrées précises et crédibles. Ceci a ainsi amené le Cnes à programmer la tenue d’un workshop régional, avec la participation du Pnud, sur les indicateurs et les paramètres de calculs utilisés par le Pnud dans son rapport d’évaluation du développement humain. Cela démontre de l’intérêt vital de disposer de statistiques fiables et actualisées appelées à être utilisées dans l’évaluation des réalisations économiques et sociales. La création récente d’un ministère de la Prospective et des Statistiques semble s’inscrire dans cette logique. Les données fournies au Pnud devrait alors avoir la crédibilité que faisait défaut jusque-là. Mais cela n’empêche pas Omar Ben Bella de s’interroger sur l’attitude des experts du Pnud. Pour lui les normes de calculs utilisés chez nous répondent aux exigences de rigueur et cela ne pose pas problème chez nos voisins tunisiens. Voire… Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de «faire avec» les données statistiques de l’ONS sur les tendances démographiques en Algérie. Celles-ci s’avèrent riches en renseignements et éclairent sur maints aspects de l’évolution de la population algérienne qui est loin de s’apparenter à «un long fleuve tranquille». A cet égard, il serait judicieux d’étudier les retombées de la décennie noire sur le comportement démographique de la population algérienne durant cette période. Notons seulement que l’une des réalités les plus frappantes est l’exode massif et forcé des populations rurales fuyant le terrorisme à partir des années 1990 et qui s’installent autour des grandes villes dépeuplant par conséquent la campagne. Nous nous retrouvons ainsi devant une situation inédite, à savoir que les populations des villes seraient désormais plus importantes que celles résidant en milieu rural ! Ce brusque changement n’est pas neutre, mais il n’existe à l’heure actuelle aucune enquête susceptible de nous éclairer sur les retombées de la concentration de ces populations rurales autour des grands centres urbains. Toujours est-il qu’à la fin des années 1980, l’Algérie qui se plaçait à la tête des pays où le taux de fécondité était le plus élevé au monde accusera une chute libre de ce taux vers 2000. Parmi les facteurs qui ont provoqué cette baisse de la fécondité, le recours à la contraception et les conditions sociales difficiles. Il faudra attendre l’arrivée de groupes d’âges des années 1984, 1985, 1986 qui vont introduire une nouvelle donne. Si pour l’année 1998, on ne comptait que 157 000 naissances, ce chiffre va doubler dix ans après. Il atteindra 341 000 en 2009. La pyramide des âges qui avait tendance à se rétrécir à sa base va connaître une reprise qui s’inscrira dans la durée. Les moins de 15 ans vont représenter 28,5% de la population globale (35,6 millions d’habitants en 2010) tandis que ceux de 30 ans seront 60%. Les moins de 5 ans seront 10%. Cela fait dire au chef d’études de l’ONS que nous allons peut-être revenir à la situation, c’est à dire 70% de jeunes. Toujours selon ce spécialiste, «cette embellie démographique » interpelle en ce sens que la population de plus de 60 ans augmente. Elle est de 7,4% autrement dit 3 millions de personnes. Vu les projections en matière d’accroissement de la population, ils seront 14,70% (6 millions) sur 45 millions en 2030. Evidemment ce vieillissement relatif de la population algérienne va introduire des besoins spécifiques au plan de la prise en charge de cette catégorie de personnes. «Sommes-nous préparés pour cela», s’inquiète-t-on à l’ONS. Par ailleurs, l’espérance de vie a connu une augmentation fulgurante. Elle était de… 47 ans en 1962. Entre 1980 et 2010, elle gagne 13 ans. Elle est estimée à 76,2 ans selon les données démographiques de l’ONS qui se réfère aux résultats du cinquième recensement général de la population (RGPH) du 1er juillet 2008. Plus remarquable est aussi le taux de fécondité (nombre d’enfants par femme) qui était d’environ 7 à 8 enfants dans les années 1980. Ce taux va entreprendre une baisse continuelle dès 1990 (4,59), 1995 (3,38), 1997 (2,89). Dans la décennie 2000, c’est à une véritable chute de la fécondité à laquelle vont assister surpris les spécialistes de la démographie. Ce taux baissera jusqu’à 2 enfants par femme.

Pas d’événements majeurs mais une dynamique compliquée

Paradoxalement, le nombre de femmes en âge de procréer est estimé à 10 millions environ. Parmi les causes de cette baisse, l’on fait ressortir le recul de l’âge de mariage qui est chez l’homme de 31 ans et 29 ans chez la femme. D’autre part, les couples fonctionneraient sur des normes différentes que leurs aînés. De plus en plus de couples préfèrent ne pas avoir beaucoup d’enfants. Il n’empêche que le taux de nuptialité qui a marqué le pas dans les années 2000 va s’accroître dès 2005 (8,50 pour mille) et passe à 9,68 pour mille en 2009. L’ONS indique que le nombre de mariages enregistrés à l’état civil des communes était de 341 321 au cours de l’année 2009. Ce chiffre est appelé à augmenter compte tenu de la stabilité qui marque ces dernières années, l’amélioration des conditions sociales (logement, pouvoir d’achat). Les mouvements de fonds qui traversent la démographie algérienne ne signalent pas d’événements majeurs. Pourtant, il faut bien observer que les aspects saillants qui caractérisaient notre société sont en passe d’être éclipsés par d’autres en rapport avec le monde moderne. La cellule familiale offre un autre visage, les couples préférant les conforts de la vie grâce à une progéniture réduite. Cette transition démographique plus nette dans les grandes villes se ressent aussi dans le milieu rural où le nombre d’enfants par famille tombe à 4 ou 5 enfants. Les défis à venir ne proviendraient pas d’une augmentation spectaculaire de la population générale — quand bien même nous serions 40 millions en 2025 et 50 millions en 2050, ce qui nous classerait parmi les pays les plus peuplés du monde. Il faudra aussi retenir qu’aujourd’hui le taux d’accroissement démographique avoisine 1,96 pour mille, tandis que le taux brut de natalité est estimé tout juste à 24,07 pour mille (849 000 naissances vivantes en 2009). Si ce taux est appelé à progresser, il n’y a rien de comparable aux taux des décennies passées qui faisaient le propre des pays sous-développés. Pas de baby boom à l’horizon. Par contre, il est désormais question de «la population du troisième âge appelée à s’accroître compte tenu de la baisse de la fécondité et de l’allongement de l’espérance de vie à la naissance», selon le rapport MCIS du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière et de l’ONS. Progression lente mais continue des naissances et du nombre des personnes âgées induisent des besoins spécifiques de même que le recul de l’âge de mariage qui renvoie à la prise en charge des accouchements assistés. Et c’est dès maintenant que les autorités concernées devraient s’y préparer.
B. T.