De plus en plus d’algériens recourent au prêt sur gages

De plus en plus d’algériens recourent au prêt sur gages

L’or de la… misère fait recette

El Watan, 31 août 2006

Lahdayed lech’dayed ! », nous lance une dame qui s’apprête à déposer un bijou auprès d’une agence bancaire algéroise spécialisée dans les prêts sur gages. Veuve depuis 5 ans, mère de 6 enfants âgés entre 6 et 16 ans, Farida a préféré citer un vieux dicton algérien pour nous résumer « sa déchéance ». Le dicton qu’on peut traduire par « les métaux précieux pour les moments difficiles », comme tous les autres dictons, exprime un vécu.

Le dicton qu’on peut traduire par « les métaux précieux pour les moments difficiles », comme tous les autres dictons, exprime un vécu. Un vécu émaillé d’incertitudes et de précarité. Farida en connaît un bout. Elle qui vit seule avec ses enfants depuis que son défunt époux a laissé la vie sur un chantier de bâtiment. « Je viens déposer le dernier objet en or qui reste encore à la maison. C’est une chaîne qui appartient à mon aînée. Elle lui a été offerte par son papa à l’occasion de son 10e anniversaire », raconte-t-elle, l’air absent. La chaînette qu’elle exhibe dans les mains ne paie pas de mine, pesant environ 8 g si on prend en compte son médaillon. Combien va-t-on lui donner, ou plutôt lui prêter ? Selon la grille en vigueur chez la Banque du développement local (BDL), elle empochera 4000 DA dans la mesure où le calcul se fait sur la base de 500 DA le gramme.

GAGER POUR BOIRE DE L’EAU

C’est peu, mais cela lui permettra de boucher un (énième) trou. Le prêt lui servira cette fois d’honorer une facture de l’Algérienne des eaux (ADE), sous peine de voir son compteur retiré. La dette contractée avec l’opérateur public et qui s’élève à 3700 DA, est en fait un cumul de plusieurs bimestres. Depuis que la gestion de cette ressource vitale fut confiée à des Français, les ménages ne peuvent plus se payer le luxe d’ « oublier » les quittances. « Vous payez rubis sur l’ongle sinon y a pas d’eau ! » est la devise prônée désormais par la SEAAL, la société mixte qui prend en charge la gestion de l’eau de la capitale. Farida se dit chanceuse si la ressource précieuse coule encore chez elle. « Mais j’ai un ultimatum. Si je ne paie pas dans les prochaines 24 heures, je devrai me débrouiller chaque jour que Dieu fait pour remplir quelques jerricans destinés à la consommation urgente », dit-elle en se précipitant au guichet. Hafsa raconte une toute autre histoire même si le point commun avec les autres est d’être dans le besoin « pressant ». Habituée elle aussi de la « banca », elle vient aujourd’hui mettre en gage tout son « coffret » dans la perspective de récolter au moins 50 000 DA. Elle affiche un air optimiste, signalant qu’elle est éligible au prêt. « Mes bijoux sont de 18 carats, ils sont poinçonnés par les services officiels. Je réponds donc aux critères arrêtés par la BDL », dit-elle, rassurée.

« DES OUTILS POUR MON ÉPOUX »

Contrairement à Farida, Hafsa est mariée. Son époux a toutes les qualités d’un bon père de famille. Il est même gratifié du titre de « mari fidèle » qui n’a jamais failli à ses engagements conjugaux depuis leur mariage en 1986. Seul point noir : il est sans emploi depuis que l’entreprise publique où il était technicien a été dissoute. « J’ai reçu un choc lorsqu’il m’a annoncé la nouvelle », soupire cette femme au foyer, mère de 4 enfants. Hafsa avoue qu’elle n’a pas été loin dans les études ; « juste le niveau du brevet » (ndlr : cursus de l’enseignement moyen) ; lui permettant néanmoins de lire la notice d’un médicament.

LE BONHEUR DES DELLALATE

De là à comprendre la chose politique, reconnaît-elle, il y a un monde. En revanche, elle crie haut et fort que l’usine qui employait son mari a été « injustement » fermée. « Mon mari ne s’arrêtait pas de dire que l’entreprise était en bonne santé et générait même des bénéfices », révèle-t-elle, comme pour signifier sa parfaite maîtrise d’un tissu industriel en décrépitude. Les 50 000 DA qu’elle s’apprête à emprunter serviront à acheter une « valise » pour technicien que son époux de chômeur a impérativement besoin. « Mon mari est technicien en maintenance industrielle. Comme il approche la cinquantaine, aucune entreprise ne veut le recruter. Heureusement qu’il arrive à décrocher de petits boulots à droite et à gauche, en dépannant des machines industrielles de petites entreprises privées. Il a besoin d’outils, c’est pour cette raison que je suis venue déposer mes bijoux à la banque », confie-t-elle. Cela dit, le recours au prêt sur gages n’est pas exclusivement l’apanage des femmes en difficulté financière. A l’exemple de cette dame, tirée à quatre épingles et qui dit travailler dans le secteur du tourisme. Celle-ci avoue que son salaire lui permet aisément de boucler ses fins de mois. Pourquoi déposer alors en gages sa richesse aurifère à la banque ? « C’est juste pour compléter le montage financier pour l’achat d’un véhicule. J’ai souscrit un crédit auprès du CPA, mais cela n’a pas suffi. Ainsi, je dois me débrouiller pour réunir l’apport personnel. Le prêt sur gages reste la seule solution », dit-elle. Devant la banque, une dizaine de femmes, bardées de bijoux, donnent l’image d’une véritable bijouterie ambulante. Elles squattent les trottoirs. Elles interpellent les passants. Notamment les passantes, débitant mécaniquement la même phrase : « Vente, achat, même bijou cassé. N’ssaadouk ! (ndlr : je vous arrange). » Ce sont les dallalate que l’on peut rencontrer sur les 4 sites formant les marchés informels de l’or de la capitale (Place Emir Abdelkader, Marché couvert de la rue Bouzrina, Oued K’niss et Bachedjarah). Leur présence devant une agence de la BDL n’a rien de fortuit. Elles savent dénicher la bonne affaire, surtout chez les femmes qui ressortent bredouille de l’agence à cause de l’absence du poinçon. L’une d’elles a bien voulu nous mettre dans la confidence. « J’exerce depuis 10 ans. C’est un groupe de femmes au fait de ce commerce qui m’a intégré dans le circuit. Je revends pour le compte de certains bijoutiers qui ont des boutiques à Alger. Je propose aussi des transactions avec des femmes, dont l’idée première est de s’adresser à la banque. Si elles n’obtiennent pas de prêt, je leur propose un prix intéressant. Souvent elles disent oui. » Le même topo est vécu à Oran, deuxième ville du pays et, sans conteste, la première ville en matière de transactions aurifères (officielles et informelles). Selon notre reporter du bureau d’Oran (lire article du 7 juin 2006), le refus (par la banque) d’accepter l’or poinçonné fait indéniablement le bonheur des dellalate. Une femme âgée, à qui on a refusé de gager des bracelets, avait exhibé un reçu des objets qu’elle voulait mettre au clou pour arrondir le mois, en attendant sa retraite. Elle les avait achetés chez un bijoutier de M’dina J’dida pour la somme de 50 000 DA. Le reçu s’avérait faux. « Chopée » au vol par le marché informel, elle a dû les céder au prix de l’or cassé. Pour des clopinettes.

Djamel Zerrouk