Des tonnes de fruits et légumes sont jetées à la décharge faute de preneurs

Au marché de gros des Eucalyptus

Des tonnes de fruits et légumes sont jetées à la décharge faute de preneurs

Par : Fatma Haouari, Liberté, 11 août 2010

“Environ 10 tonnes de fruits et légumes sont jetées quotidiennement à la décharge faute de preneurs.” C’est ce que nous a révélé M. Medjber, président de l’association des mandataires, au cours d’une virée au marché de gros des Eucalyptus. Des rotations de camions pour le ramassage sont effectuées à raison de deux fois par jour.
Des caisses entières de tomates, d’oignons, de carottes et de pommes Royal Gala sont ainsi jetées alors que le citoyen peine à remplir son couffin. Enquête.

Ce week-end, au cours de notre virée au marché de gros des Eucalyptus, nous avons constaté, de visu, le grand gâchis. Des caisses entières de légumes et de fruits gâtés s’amoncellent devant les carreaux, et, comble de l’ironie, alors que la courgette a pris des ailes dans les marchés de détail, au marché de gros, elle a un sort peu enviable. Cédée à 15 DA, elle trouve peu de preneurs, elle est jetée en grandes quantités avec les tomates, les oignons ainsi que la pomme locale, boudée au profit de la pomme en provenance d’Amérique latine. Une situation ubuesque et contradictoire avec le discours officiel qui prône la protection de la production. Il est 9h30. Dans l’enceinte du marché des Eucalyptus, l’ambiance est au labeur, les nerfs à vif et le front en sueur. Les acheteurs s’attellent à mettre leurs caisses et leurs cageots remplis de fruits et légumes dans les camions, tandis que d’autres chargés à ras bord de marchandises continuent à affluer de partout. De l’extérieur, le marché ressemble à un chantier à cause de la poussière que de petites bourrasques, en ce mois de grandes chaleurs, soulèvent frénétiquement en l’air avant qu’elle ne s’évapore sur les peaux brûlées de soleil des transporteurs et sur les pare-brises de leurs véhicules lourds. Le lieu ne paye pas de mine. Des odeurs nauséabondes agressent les narines dès qu’on y met les pieds. Doté de 80 carreaux, le marché date de l’époque coloniale. À ce sujet, le président des mandataires indique que “ce sont les Français qui y ont instauré le système des commissions”. Il alimente le centre, les wilayas limitrophes, l’Est et l’Ouest. Un droit d’accès est exigé. Son montant varie selon le poids du véhicule et de son chargement. Des agents de sécurité sont pointés à l’entrée. Ils mettent un point d’honneur à ce que tout le monde paye rubis sur l’ongle. Le ticket d’accès coûte entre 200 et 800 DA. Un droit que les agriculteurs trouvent excessif, car, selon un fellah de la Mitidja venu vendre sa production, “les agriculteurs sont saignés à blanc, on doit constamment débourser de l’argent, on paye les ouvriers des champs, le transport des marchandises, on supporte toutes les dépenses au risque de tout perdre quand il y a mévente”. Face à cet état de choses et pour éviter les tracasseries, certains agriculteurs producteurs ne s’embarrassent pas des règlements et vendent leurs récoltes sur pied au plus offrant. Souvent, nous dit-on, à des marchands ambulants qui vendent leurs produits dans les cités urbaines et les banlieues en échappant ainsi à tout contrôle. À 10h30, certains mandataires commencent à paniquer, ils affichent une mine déçue.

À cette heure “tardive” de la matinée, il reste encore trop de produits dans les dépôts. Leur travail débute à 5h et doivent impérativement tout liquider avant midi, mais il semblerait que le négoce est rude et les acheteurs peu enclins à mettre la main à la poche. Certains finauds s’adonnent à un jeu de coulisses, nous apprend-on. Ils viennent à plusieurs, démarchent et se donnent le mot, une espèce de code qu’ils échangent entre eux. Ils attendent que le prix du cours baisse pour rafler le maximum à des prix très bas. La courgette, par exemple, qui a démarre tôt le matin à 15 Da, voit, à partir de 10h, son prix baisser à 5. Une aubaine pour les spéculateurs. Une autre catégorie d’acheteurs est issue du milieu industriel. Ce sont les fabricants de jus et de concentré de tomates. Selon un mandataire, “ils prennent souvent des produits qui sont à deux doigts de pourrir. Si l’on analysait ce que le citoyen mange, on serait désagréablement surpris !” dit-il d’un ton sarcastique. Sur le chapitre des augmentations des prix des fruits et légumes opérées dans les marchés du détail et qui connaissent, à quelques jours du mois de carême, une envolée prématurée, M. Medjeber est catégorique : “Ce qui se dit est faux à propos des pénuries, il y a une abondance de produits, une surproduction que ce soit des fruits ou des légumes et les prix de gros sont au plus bas. Comme c’est la saison estivale, ces produits ne peuvent pas tenir plus de 24h. Nous nous retrouvons tous les jours avec des caisses entières de tomates, d’oignons, de pommes… sur les bras. Malheureusement, ce que nous constatons, c’est que la situation ne s’améliore pas et chaque année, quand arrive le rituel du jeûne, les mêmes problèmes reviennent à la charge. La guerre que semblent vouloir mener les autorités, c’est de l’esbroufe, toutes ces mesures et la mobilisation des contrôleurs ne changeront rien à la situation. Au contraire, l’intervention de l’État en stockant les produits participent à attiser la spéculation. Vous n’avez qu’à voir après avoir collecté tous les poulets. Ce dernier qui était à 180 Da le kilo, son prix a grimpé à 300 Da, voire jusqu’à 400 Da dans certains marchés.”

Le marché aux mains d’un cartel
Le président des mandataires enchaîne sur un ton acerbe : “Quand il y a intervention de l’État, il y a fraude.” Et d’ajouter : “Le gouvernement, concernant les fruits et légumes, a pris comme mesure urgente le plafonnement des prix, mais cette décision va encourager la spéculation. Nous allons avoir plus de marchés parallèles. Quant à l’affichage des prix, il n’a qu’une seule utilité, celle à laquelle il est voué, car il n’influe nullement sur le prix.” À une question sur la pomme de terre, le tubercule très prisé par les Algériens et qui a atteint plus de 50 Da dans certains marchés de détail, notre interlocuteur affirme que “c’est encore un bel exemple de la contribution du gouvernement dans la spéculation. La pomme de terre est stockée pour soi-disant inonder le marché durant le Ramadhan, mais dans quelles conditions. L’année dernière, nous l’avons refusé, car elle était impropre à la consommation”. M. Medjeber soutient que “c’est l’agriculteur qui est lésé, car c’est le grand perdant, en plus du citoyen qui paye le prix fort”. En ajoutant : “Il n’y a pas de volonté de réguler le marché, et ce dernier est entre les mains de cartels qui sont devenus, devant le laxisme des autorités publiques, très puissants sous prétexte que les prix sont libres.” Il préconise, pour arriver à bout de cette situation, de recourir “à la facture, au bulletin d’achat et exiger un coefficient multiplicateur justifiant le bénéfice brut. Il est inadmissible que quand on arrive au marché de détail, c’est la loi de la jungle, alors qu’au niveau du marché de gros, nous disposons de factures sur lesquelles sont clairement affichés les prix des fruits et légumes avec notre commission qui est de 6% pour les fruits et de 8% pour les légumes. Si nous nous référons à la loi islamique pour le marchand détaillant, elle est de 33%, alors que si on fait le constat de ce qui se passe actuellement, le bénéfice dépasse parfois les 200% !” Et de poursuivre : “Quant au contrôle, nul besoin de dépêcher 2 000 contrôleurs, la solution est très simple, elle a existé et fait ses preuves : il faut désigner un chef de marché qui aura la charge de vérifier l’ardoise où doit être inscrit le prix d’achat et celui de vente, et point de tricherie.”

 


à la veille du Ramadhan

Les Algériens saignés à blanc

Par : NEÏLA B.

Alors que les pouvoirs publics ont rassuré le citoyen sur la régulation du marché avant et durant ce mois sacré, les prix des produits de large consommation ont connu une flambée considérable à la veille du Ramadhan. L’augmentation qui a touché même les fruits, les épices et les olives va dans certains cas jusqu’à 100%.

Une virée dans les différents marchés de fruits et légumes de la capitale nous a permis de constater, qu’effectivement, pour une bourse moyenne, on peut dire que les prix sont excessivement élevés.
Ils ont doublé, voire triplé dans certains cas. La pomme de terre, qui reste l’élément de base dans l’alimentation, est d’ores et déjà cédée à 55 dinars le kilo dans certains marchés alors qu’elle était à 25 DA. Le pire est que le produit n’est pas du tout de bonne qualité. “C’est du congelé, mes enfants aiment les frites chaque jour pendant le Ramadhan, mais je me vois incapable de les satisfaire tous les jours”, affirme une ménagère.
L’oignon, autre légume nécessaire, varie entre 25 et 35 DA le kg. Si le prix de la carotte est de 35 DA dans les marchés informels, il est de 60 DA au marché Ali-Mellah (Bazar), soit une hausse de 5 à 10 DA le kilo. “La carotte et la courgette sont nécessaires pour la chorba mais que faire avec ces prix ? Une chorba sans légumes !” marmonne une dame. Une autre vieille nous déclare : “Mon mari suit un régime, je lui fais généralement un bouillon mais regardez le prix du navet, c’est devenu un fruit.” En effet, le navet, légume que consomment beaucoup de familles en ce mois de Ramadhan, est à 120 DA tandis qu’il est cédé à 100 DA au marché informel (marché tnach à Belcourt). Le haricot vert est à 120 DA alors que le haricot rouge se situe entre 120 et 150 DA, soit une augmentation de 50 DA, le chou-fleur est à 100 DA le kg, quand à l’ail rouge, il est cédé à 500 DA le kilo.

Des tomates de mauvaise qualité à 50 DA et la salade à 100 DA
Les tomates, un autre légume essentiel de la fameuse chorba, oscille entre 35 et 50 DA. “Non seulement les tomates sont chères, mais en plus elles sont de mauvaise qualité”, nous confie un chef de famille. “Il y a trois jours, les tomates étaient à 20 DA le kg alors qu’aujourd’hui, le kilo est à 40 DA, soit 20 DA d’augmentation en l’espace d’une semaine. C’est trop !” nous dit-il. Suivant la même cadence, la courgette est vendue entre 40 et 60 DA alors que la laitue, le charme de la table d’été, un hors-œuvre nécessaire pour une jolie table de Ramadhan, est cédée à 100 DA alors que la moitié est à jeter. Le seul produit stable est celui du poivron vert avec 70 DA le kg dans certains marchés alors que dans l’informel, les prix sont abordables. Ils varient entre 50 et 60 DA le kg tandis que le citron est à 160 DA. Quant aux fruits, ces derniers ont également connu une augmentation vertigineuse y compris la pastèque et le melon. Le prix d’un kilo de pomme verte ou rouge est fixé à 200 DA, alors qu’on pouvait l’avoir avant à 120 DA et de bonne qualité. Celui de la poire varie entre 180 et 200 DA le kg, les pêches sont cédées à 120 DA soit une augmentation de 100% alors qu’elles étaient cédées à 50 DA le kg il y a moins d’une semaine. Même chose pour le raisin noir qui est vendu à 160 DA le kg alors qu’il était à 80 DA. Les prix de la pastèque et du melon ont connu également une hausse. La pastèque est passée de 25 DA à 30 et 40 DA le kg. “C’est de la bonne qualité, elle est de l’Ouest”, justifie un commerçant alors que les ménagères se rabattent sur la figue de Barbarie cédée à 50 DA pour 10 pièces. Le prix des dattes est passé aussi de 300 DA à 400 DA le kg. Concernant les autres produits, les plus prisés durant le mois sacré, comme de coutume, à savoir les fruits secs tels que les pruneaux et les raisins, les prix sont affichés respectivement entre 350 et 380 DA le kg, pour les raisins secs et 360, 450 et 550 DA pour les pruneaux et 550 DA pour les abricots. Les viandes, la bête noire des ménages à petites bourses, ont été touchées comme d’habitude par cette flambée. Le prix du poulet est fixé à 380 DA le kg soit une augmentation de 130 DA par kg.

La viande indienne et la polémique des fetwas
La viande rouge varie entre 850 et 1 000 DA et l’agneau à 850 DA selon les morceaux. Hier au marché Ali-Mellah, il y avait des pères de famille cherchant timidement les points de vente de la viande indienne. Un boucher nous a affirmé qu’il ne vendra pas cette viande. “J’ai ma clientèle qui opte pour la viande locale”, alors que plusieurs consommateurs nous ont déclaré qu’ils n’ont pas l’intention d’acheter la viande indienne après la polémique des fetwas, mais de la viande locale congelée. “On ne sait pas, alors on préfère s’abstenir”, disent-ils. Les olives sont plus chères, surtout les olives noires, qui sont passées de 160 à 250 DA le kg. Même les cornichons sont cédés à 480 DA. Un homme rencontré au marché Meissonnier fait remarquer que “les commerçants n’affichent même pas les prix. On ignore l’augmentation réelle et on se contente d’acheter pour une certaine somme. Moi, par exemple, j’achète pour 50 et 100 DA pas plus”. Les jus de fruits très demandés ne sont pas en reste, eux aussi ont connu une augmentation considérable, ainsi le jus concentré de 4,5 litres est passé de 280 à 380 DA dans les supérettes. Les ménagères que nous avons rencontrées n’ont pas caché leur crainte face aux rumeurs faisant état d’une pénurie prochaine de pain d’autant que les queues devant plusieurs boulangeries avant le Ramadhan ne signalent rien de bon, nous dit-on.
Il est vrai que beaucoup de boulangers ont dû baisser leur rideau ou changer carrément d’activité en raison des conditions économiques qui rendent cette dernière peu rentable mais le retour des queues, synonyme de rareté du produit, laisse penser à une situation difficile durant le mois sacré. C’est un avant-goût de ce que sera ce mois de la “rahma” avec les dépenses qui dépasseront largement un salaire moyen surtout que la fête de l’Aïd coïncidera avec les rentrées sociale et scolaire.


Les prix s’envolent

Par : F.H.

Les prix dans le marché de gros sont plutôt cléments et ne justifient nullement la hausse opérée à quelques jours du mois de Ramadhan dans les différents marchés de détail qui donnent l’impression de s’être donné le mot. Ainsi, au marché de Bab El-Oued, la pomme de terre, cédée entre 5 et 6 DA au marché de gros, a atteint les 45 DA au détail. Les oignons, qui ont atteint les 45 DA au détail, leur prix est de 15 DA au marché de gros. L’aubergine et la carotte sont cédées à, respectivement, 10 et 15 DA, elles sont écoulées à 50 et 55 DA le kilo au détail. Le piment et le poivron sont cédés au marché de gros à 25 et 30 DA ; au marché de détail, ils ont dépassé les 80 DA le kilo. La tomate coûte 10 DA au marché de gros alors qu’elle est affichée à 50 DA au détail. Le kilo de citron est à 100 DA, au prix de gros, il varie, selon la qualité, entre 50 et 70 DA. Les prix des fruits culminent au marché de détail, alors que les fruits de saison sont en abondance. Au marché de gros, la pomme est proposée à 20 DA, les raisins, le cardinal, est de 25 DA et le gros noir est de 45 DA, le melon à 40 DA et la pastèque est de 18 DA, ces mêmes fruits sont inabordables au marché de détail. Le melon est à 100 DA le kg, la pastèque à 30 DA et les pommes Royal Gala entre 50 et 70 DA le kilo. Les raisins tournent autour de 130 DA. En dépit des récentes mesures prises par le gouvernement, la hausse des prix de fruits et légumes a commencé dans les marchés de détail il y a une semaine, alors que le président des mandataires nous a assuré que ces prix n’ont pas bougé au marché de gros. “L’année dernière, rappelle-t-il, nous avons demandé une réunion urgente avec le ministre du Commerce et les acteurs concernés de la chaîne de production, de commercialisation et de distribution des fruits et légumes pour essayer, de concert, d’apporter des solutions définitives mais, jusqu’à l’heure actuelle, nous n’avons eu aucune réponse. Je ne sais pas pourquoi les autorités ne veulent pas mettre à plat les problèmes pour en débattre dans la transparence et trouver une sortie de crise effective.”
Le président Bouteflika, en conseil des ministres en 2009, consacré en grande partie à la flambée des prix des produits alimentaires durant le mois de Ramadhan, a reconnu l’échec de la politique commerciale menée depuis des années, en affirmant que “la maîtrise de la régulation du marché, notamment à l’occasion du mois de Ramadhan, a révélé ses limites, face aux effets de la libéralisation incontrôlée des circuits de distribution, aggravés conjoncturellement surtout par des pratiques spéculatives et parasitaires, au détriment des citoyens et à l’encontre de la portée spirituelle du mois de Ramadhan. J’entends qu’aucune règle de liberté du commerce ne soit invoquée à l’avenir pour justifier la limitation des capacités de l’État à imposer des pratiques commerciales loyales et à réprimer les spéculations qui nuisent aux citoyens”. Et pourtant, en faisant le constat de la situation, c’est cette même politique qui invoque la liberté des prix qui est de mise même après que l’ancien ministre du Commerce, El-Hachemi Djaâboub, eut quitté le gouvernement par la petite porte.