Opération de distribution de 10 000 logements sociaux

OPÉRATION DE DISTRIBUTION DE 10 000 LOGEMENTS SOCIAUX

Entre pessimisme, insuffisance et désespoir

Le Soir d’Algérie, 22 mars 2010

Censée constituer une bouffée d’oxygène pour les milliers de familles en attente d’un toit décent dans la capitale, l’opération de distribution de 10 000 logements sociaux initiée par la wilaya d’Alger semble, au contraire, avoir réveillé les vieux démons des émeutes. Echaudés par les nombreuses promesses non tenues, les citoyens concernés pensent qu’il s’agit d’une énième parade des autorités locales.
Mehdi Mehenni – Alger (Le Soir) – Hier dans le grand bidonville de Semar, dit Haï-el-Ramli, l’ambiance était comme à l’accoutumée. Les adultes vaquaient à leurs occupations pendant que les enfants, en vacances scolaires, jouaient dans l’oued, bien néfaste pour la santé, qui traverse cet interminable ensemble de baraques, s’étendant de la voie ferrée de Semar jusqu’à Baraki. Comme s’il n’y avait rien de nouveau dans la vie de ces pauvres citoyens qui vivent dans la misère depuis maintenant presque 20 ans pour certains. Pourtant, le wali d’Alger vient d’annoncer une opération de distribution de 10 000 logements sociaux, et ces derniers ont bien vu à la télévision le déménagement et le relogement de familles dans le cadre de la première tranche. Les gens, ici, ne se sentent point concernés, et les raisons sont aussi simples pour eux que faciles à deviner pour les autres. Certains disent que s’ils sont toujours là depuis plus d’une décennie, alors que la capitale a connu plusieurs opérations de relogement, ce n’est pas aujourd’hui qu’on viendra les faire sortir de ces ghettos de la honte. D’autres partent plutôt d’une simple équation : si l’on compte plus de 8 000 baraques alors que l’opération de distribution en cours ne dépasse pas les 10 000 logements et qu’il y a d’autres bidonvilles dans la capitale en sus d’habitations menaçant ruine, qui sera relogé et qui ne le sera pas ? Qui est prioritaire, qui ne l’est pas ? Autant de questions qui, après les expériences et les déceptions qu’ils ont eu à connaître par le passé, les laissent pessimistes. La plupart de ces personnes rencontrées sur les lieux disent n’avoir aucune information sur le déroulement de l’opération, d’autant, soulignent-ils, que personne n’est venu les voir pour leur dire s’ils sont éventuellement concernés. «Le peu d’informations qu’on a, on l’a obtenu par le biais de la presse ; et ce sont des informations qui ne nous apportent rien de nouveau, mis à part ce chiffre de 10 000 logements. On ne sait pas qui aura droit au logement. Le wali a dit que ce programme concerne les habitants des bidonvilles, les occupants d’habitations vétustes et ceux vivant dans des immeubles menaçant ruine. Mais si l’on tient compte de ces paramètres, il faudra reloger toute la population de la capitale, alors qu’il s’agit, là, de seulement 10000 logements. Le nombre de demandes de logement doit donc être plus important que celui des appartements à distribuer. C’est pour cela que moi, je n’ai aucun espoir de faire partie de la liste», dira un citoyen. Pour un autre résidant, les raisons de ce pessimisme sont tout autres. Pour lui, l’explication est très simple : «Le bidonville de Semar ne se trouve pas au centre de la capitale ; caché et isolé, il ne dérange donc pas trop les pouvoirs publics, lesquels ne tiennent d’ailleurs pas à faire de son éradication une priorité ». Et d’ajouter : «Il y a tellement de baraques (plus de 8 000), d’étrangers, de gens qui ont bénéficié de logements et qui sont toujours là ou qui ont cédé leur baraque à un proche venu de l’intérieur du pays pour s’installer qu’il sera très difficile de satisfaire tout le monde ou de faire le tri.» Et de résumer ainsi la situation : «Les autorités locales ont tellement laissé ce bidonville prendre de l’ampleur qu’aujourd’hui, par la force des choses, du temps et surtout du laisse-raller, les lieux sont devenus une jungle où il est impossible d’accéder.» Même son de cloche au bidonville d’Aïn-Naâdja, dit Haï-el-Malha, qui compte 1 800 baraques, où les gens disent ne pas se sentir concernés, parce qu’ils ont la certitude qu’ils ne font pas partie du programme lancé par le wali. Comme ceux du bidonville de Semar, ils disent que personne n’est venu les voir pour leur annoncer la nouvelle. Ils affirment l’avoir appris dans les journaux. «Pour les recensements, il faut le reconnaître, ce sont des champions du monde. Chaque année, ils viennent nous recenser, mais dès qu’il s’agit d’une opération de relogement, plus personne ne vient nous voir», dira un jeune habitant qui affirme que lui et sa famille sont là depuis le début des années 1990.
Zaâtcha, entre le marteau et l’enclume !
Si les habitants de la majorité des bidonvilles de la capitale ont accueilli l’information de l’opération de distribution de 10 000 logements sociaux dans la plus grande indifférence, au quartier Zaâtcha, dans la commune de Sidi-M’hamed, ce n’est pas le cas. Hier, les gens étaient excités, et les discussions ne tournaient qu’autour de la décision prise par les autorités locales quant à leur relogement à Tessala-el-Merdja, à la périphérie de la capitale. Pour eux, et contrairement à ce que dit le président de l’APC Bourouina à travers certains journaux, il s’agit d’une grande injustice. Selon eux, les appartements qu’on leur a proposés sont des F2 et des F3, alors que la plupart des familles sont constituées de plus de 7 personnes. Ils se demandent pourquoi des habitants de bidonvilles érigés il y a à peine 10 ans ont bénéficié de logements à Draria, à Aïn-Benian et aux Bananiers, alors qu’à eux, qui sont là depuis 1958 et dont les habitations ne sont pas des bidonvilles à proprement dire mais plutôt des constructions coloniales qui ont connu des extensions par la suite, on leur propose d’aller dans une région qu’ils ne connaissent même pas, loin de la capitale où la majorité d’entre eux travaillent, avec des appartements très exigus. Ainsi, ils réclament un minimum de considération de la part des autorités locales et dénoncent le chantage exercé par les uns et les autres en disant : «Si vous êtes capables de patienter encore 10 ans ou peut-être un peu plus, pas de problème, on ne vous emmènera pas à Tessalael- Merdja.»
M. M.