10 000 DA par mois, ça ne suffit pas pour manger

10 000 DA par mois, ça ne suffit pas pour manger

El Watan, 15 octobre 2010

Au moment où l’Etat annonce qu’il a réalisé beaucoup de progrès en matière de lutte contre la pauvreté, des familles, avec ou sans revenus, vivent encore dans la précarité. A l’occasion de la Journée internationale sur l’élimination de la pauvreté, ce dimanche 17, nous avons suivi une famille de sept personnes qui survit avec…
10 000 DA par mois.

Se contenter d’un plat par jour, se priver de soins, faire une croix sur les transports… Tel est le quotidien des familles démunies, oubliées durant toute l’année, qui se voient hypocritement citées dans de beaux discours lors de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, le 17 octobre. La famille H., dans la banlieue algéroise, en fait partie. Composée de quatre filles et de deux garçons, âgés entre 23 ans et 47 ans, et d’une mère sexagénaire, cette famille vit depuis six longues années sans son chef, décédé des suites d’une longue maladie. Vivant avec une pension de 10 000 DA, la mère Yamina se contente de son sort. «Avoir une maigre pension est mieux que rien !» se rassure-t-elle. Dans son haouch érigé à base de parpaings, de tôles ondulées, réunissant deux chambres séparées par un rideau et un hall qui fait office de cuisine, elle nous montre le plafond fabriqué en contreplaqué. Le toit fissuré, n’épargnant pas les infiltrations, menace de s’effondrer. Et cela n’est pas sans conséquences sur la santé des habitants. En plus de l’anémie et de l’hypertension, Yamina ne peut prononcer un mot sans s’essouffler à cause de difficultés respiratoires. «La première cause de mon état de santé est ma demeure. L’humidité et le froid ont eu raison de ma santé et de celle de mes enfants», déplore-t-elle, le corps chétif, tremblant de froid, ne portant qu’une robe d’intérieur, un gilet et des chaussettes. Son fils, Fatah, âgé de 47 ans, n’a pas échappé, à son tour, à la malédiction tombée sur cette famille démunie. Il est atteint d’une maladie chronique, la maladie de Crohn. Les soins nécessaires sont rarement effectués dans cette famille, faute de moyens. «Le médecin m’a recommandé de passer une fibroscopie, ce que je n’ai pas encore fait. A chaque fois que je vais à l’hôpital, on m’évoque le manque du produit anesthésiant. Dans les centres de soins privés, cet examen coûte les yeux de la tête !», raconte la brave femme.

3000 da l’ordonnance

Document à l’appui, elle nous montre l’ordonnance du traitement qu’elle doit payer chaque mois. Pas moins de 3000 DA. «Nous ne consultons le médecin uniquement lorsqu’il s’agit d’un cas grave, encore moins le spécialiste. Quant aux «simples» affections telles que la grippe et l’angine, nous nous soulageons avec des tisanes moins chères, évidement que les médicaments», renchérit Yamina. Si l’accès aux soins est un luxe dans le foyer, c’est parce que cinq des six enfants ne travaillent pas. Seule une des filles exerce comme couturière. La benjamine est étudiante en lettres arabes. Quant aux deux autres, licenciées en commerce et en sciences islamiques, elles chôment toujours, en dépit de leurs efforts quotidiens pour trouver un emploi. «A l’Agence nationale de l’emploi, on a réceptionné nos dossiers, mais aucune suite n’a été donnée à notre demande», ajoute Selma, 25 ans licenciée en commerce. Par ailleurs, les aides et dispositifs de soutien aux familles nécessiteuses «temporaires» sont loin de pallier la pauvreté de cette famille. Même confrontée à l’érosion de son pouvoir d’achat, elle a renoncé au couffin du Ramadhan. Avec un brin de fierté dans les yeux, Fatah explique : «Nous ne nous sommes pas inscrits à la commune pour bénéficier du couffin du Ramadhan, car ce concept est purement politique et médiatique. Les vrais nécessiteux n’obtiennent que rarement ou jamais ce «don» raflé par les responsables et les fonctionnaires des bureaux concernés.» Toutefois, les jours du Ramadhan ont été «vivables», grâce à la générosité des voisins et des amis. En l’absence de statistiques crédibles sur le nombre réel de familles nécessiteuses en Algérie et de seuils de pauvreté fiables, il est difficile d’évaluer ce phénomène. Pis encore, aucun plan susceptible d’améliorer le niveau et la qualité de vie des citoyens en matière de soins, logement, emploi, pour ne citer que ceux-là, n’a donné de résultats visibles. Par conséquent, une grande partie de la population, lésée, subit encore une misère tenace la contraignant à revoir ses rêves à la baisse. A l’instar de Yamina qui désespère d’habiter une maison décente et souhaite «avoir une pièce ensoleillée dans son taudis» !

Lamia Tagzout