La difficile relance du textile

Un marché dominé par l’importation

La difficile relance du textile

El Watan, 16 novembre 2017

Les professionnels du secteur du textile et de l’habillement, fortement dépendant des approvisionnements extérieurs,
se plaignent d’une série d’écueils qui empêchent une véritable relance de leur filière.

Aujourd’hui, 96% des vêtements écoulés sur le marché algérien sont importés, selon des chiffres fournis par le ministère de l’Industrie. Un marché juteux pour la Chine et la Turquie qui ont, à elles seules, accaparé 60% du marché des importations en produits textiles et vêtements.

L’industrie du textile et de l’habillement, qui traîne encore comme un boulet les profondes séquelles de sa déstructuration durant les années 1990, éprouve toutes les peines du monde à renaître de ses cendres. «Il y a une reprise timide de la production, alimentée essentiellement par la commande publique (corps constitués, police et Protection civile). Mais cela reste en deçà des espérances du gouvernement», résume Amar Takdjout, secrétaire général de la Fédération textiles et cuirs à l’UGTA.

Les professionnels du secteur du textile et de l’habillement, fortement dépendant des approvisionnements extérieurs, se plaignent d’une série d’écueils qui empêchent une véritable relance de leur filière. En tête des préoccupations, la féroce concurrence, notamment du textile chinois et turc. Aujourd’hui, 96% des vêtements sur le marché algérien sont importés, d’après de récents chiffres du ministère de l’Industrie.

Un rendement juteux pour la Chine et la Turquie qui ont, toutes deux, accaparé 60% du marché des importations en produits textiles et vêtements entre 2010-2015, selon des statistiques publiées par les Douanes. Ces importations massives ont mis sérieusement à rude épreuve les performances des entreprises de la filière, également confrontées à la concurrence déloyale du commerce informel et de la contrefaçon.

En outre, les lenteurs des formalités d’obtention de crédits bancaires nécessaires à l’importation de la matière première donnent des maux de tête aux dirigeants de ces entreprises. Cette situation induit parfois des retards dans l’approvisionnement en matière première et des difficultés de trésorerie pour les entreprises.

«Quand vous perdez deux à trois mois, ce n’est pas bon pour l’entreprise. Si vous ne respectez pas vos engagements vis-à-vis de votre client, si vous lui remettez la commande avec deux à trois mois de retard, il mettra fin à la relation commerciale», déplore le syndicaliste. A cette contrainte s’ajoute une autre relative au régime fiscal jugé défavorable. Les producteurs algériens de textiles sont contraints de s’acquitter d’une taxe douanière de 30% pour le tissu importé destiné à la transformation, au même titre que les importateurs.

«On oblige les producteurs à payer 30% de taxe de douane, parce que c’est considéré comme un produit fini. Or, ce produit importé est appelé à être transformé en chemise. Sur le plan du marché, on n’est pas compétitif. La taxe douanière de 30% pour le transformateur génère aussi des répercussions sur le prix de revient», poursuit notre interlocuteur. Découragés par une taxe qu’ils trouvent injuste, des opérateurs algériens produisent à titre d’exemple de la chemise en Turquie avant de la revendre en Algérie.

Chute libre

Aujourd’hui, le textile algérien couvre seulement 4% des besoins locaux et ne représente au que 0,15% du PIB national. Pourtant, il était l’un des fleurons de l’économie avec 150 millions de mètres linéaires fabriqués, tous types de tissus confondus (habillement et ameublement). Il représentait 5000 entreprises publiques ou privées, 200 000 salariés, dont 55 000 dans le public.

La production nationale représentait 75% du marché. Pour Amar Takdjout, la filière du textile et de l’habillement paye aujourd’hui le prix d’une politique de désertification, entamée à partir des années 1990, au profit de l’import-import. «Il y a eu beaucoup d’erreurs. On a opéré une ouverture brutale du marché.

Les trois quarts des professionnels s’étaient reconvertis en importateurs. On a carrément substitué l’importation à la production», se souvient-il. En effet, le passage de l’Algérie à une économie de marché et les effets du plan d’ajustement structurel ont marqué le début de la disparition des entreprises de textile, qui ont perdu environ la majorité de leurs effectifs employés et la chute de leur production.

Près de trente ans plus tard, seule une poignée de sociétés continuent de subsister. « Maintenant, inciter les gens à reprendre l’activité et produire est quelque chose de très compliqué. Quand vous détruisez votre économie pendant 20 ans (…), il n’est pas facile de relever le défi de la relance. Il faudrait 20-30 ans pour reconstruire» une filière déstructurée, analyse Amar Takdjout. Même au temps de l’aisance financière, l’industrie du textile stagnait, alors que les importations massives de textiles et de vêtements enregistraient des records.

Une relance qui tarde

Il a fallu attendre l’année 2011 pour que les pouvoirs publics daignent accorder une attention à cette filière à travers la mise en œuvre d’un plan de restructuration de 135 milliards de dinars (2 milliards de dollars). Dans le détail, ce plan dont l’objectif était de réanimer la production textile algérienne, consacrait 3,9 milliards de dinars pour prendre en charge la dette fiscale, 54,4 milliards de dinars pour le rachat du découvert bancaire enregistré auprès de la Banque d’Algérie, 9,7 milliards de dinars pour le rachat de la dette d’investissement et 1,3 milliard de dinars pour le paiement des dettes envers le liquidateur, le reste de la manne était consacré à l’investissement et au développement de l’outil de production.

Plus de six ans après le déploiement de ce plan dit de sauvetage, la machine demeure grippée et la relance tant attendue n’est toujours pas au rendez-vous. «La production n’a pas encore démarré dans certaines entreprises qui ont engagé de lourds investissements. Il a fallu 1 à 2 ans pour acheter du matériel et des équipements parce qu’il fallait passer par diverses procédures dont les appels d’offres.

Certaines entreprises ont finalisé leur investissement il y a encore six mois, d’autres sont en voie de finalisation, alors que l’échéance du remboursement des crédits est tombée», souligne le secrétaire général de la Fédération textiles et cuirs à l’UGTA. Face à cette situation, sa fédération a proposé à l’ancien ministre de l’Industrie de différer le remboursement des crédits d’investissement de deux à trois années supplémentaires pour permettre aux entreprises de faire tourner leurs machines dans des conditions optimales.

«Il a trouvé notre proposition juste, mais il est parti avant de faire quoi que ce soit ! Son remplaçant, on a demandé à le voir. Mais il n’a pas encore donné son accord pour le moment», précise-t-il. En attendant, le salut de la branche textile et confection pourrait venir du complexe industriel de textile de Relizane, réalisé dans le cadre d’un partenariat algéro-turc.

Ce site industriel vise à répondre à la demande locale en matière d’habillement avec 40% de sa production destinée au marché national. Cette usine produira 30 millions de mètres linéaires de tissu destinés à la confection de 12 millions de jeans par année. Les partenaires du projet prévoient de consacrer 60% de la production à l’exportation.

«Ce partenariat peut servir de point d’appui pour l’ensemble de la filière», espère Amar Takdjout. Globalement, les capacités de production de textiles et d’habilement devraient atteindre 20% de parts de marché. Avec le complexe industriel de Relizane, la filière totalisera environ 50 000 emplois et pourrait atteindre à terme le cap de 200 000 travailleurs, d’après lui. Cependant, « il faut des mécanismes et des outils d’aide et d’accompagnement. On doit créer les conditions pour récupérer davantage de parts de marché», conclut-il.

Hocine Lamriben