Issad Rebrab en pivot «encombrant» du capitalisme algérien

Issad Rebrab en pivot «encombrant» du capitalisme algérien

Samy Injar , Maghreb Emergent, 13 Janvier 2011

Issad Rebrab, le puissant patron du groupe Cevital a été sommé d’aligner les prix de son sucre et de son huile sur le prix « recommandé » par l’Etat. Ni plus haut, ni, cette fois, en dessous. Au-delà de l’interpellation déroutante du ministère du commerce qui revendique, dans ce dernier cas, une hausse des prix, se cache la volonté politique désormais claire de s’attaquer à la position dominante de Cevital sur des marchés « clés ». Issad Rebrab fait- il peur comme un oligarque russe du début de l’ère Poutine ?

Le premier groupe privé algérien présidé par Issad Rebrab est depuis le début des émeutes de janvier 2011, ciblé dans la communication officielle et par les décisions du conseil interministériel du samedi 08 janvier. L’évolution de ce mercredi 12 janvier ne laisse plus aucun doute. La priorité du gouvernement algérien, passé le plus dur de l’orage, n’est plus de baisser substantiellement les prix au détail, notamment du sucre, mais de réduire les parts de marché de Cevital même par le recours massif à des importations du sucre blanc, que d’ailleurs la bourse de Londres a anticipé dans la journée en enregistrant une hausse (1,6%) de son cours. Les parts de marché de Cevital sont de 60% à 65% pour l’huile et de plus de 70% dans le sucre. Le patron de Cevital se retrouve de fait au cœur de l’échiquier de la régulation, même si un de ses cadres affirme que c’est justement la taille des investissements de Cevital dans le raffinage du sucre qui lui permet de proposer les prix de production les plus bas. « Un peu comme l’entreprise de Tahkout lorsqu’elle se présente à une soumission pour le transport des étudiants dans une université quelque part en Algérie. Son parc immense et ses services de maintenance font la différence dans l’offre » précise le cadre. Le quasi monopole de Cevital sur deux produits de base, le sucre et l’huile, ne convient plus au président Bouteflika.

La ruade est sérieuse

Pourtant la relation entre les deux hommes s’était beaucoup apaisée depuis trois ou quatre ans. Issad Rebrab avait refusé son soutien à Bouteflika pour son second mandat en 2004, claquant même la porte du forum des chefs d’entreprise (FCE), coupable à ses yeux de ne pas être resté neutre dans le duel Bouteflika-Benflis. Issad Rebrab a toujours pris soins, depuis, de ne pas écorcher les options de l’exécutif. Il avait, à la surprise de ses pairs, chefs d’entreprise, approuvé – certes sans grand enthousiasme – la loi de finance complémentaire (LFC) 2009, corsetant l’approvisionnement des entreprises, avant il est vrai de lui trouver quelques handicaps.

La pression qu’a décidé de mettre le gouvernement – tout le gouvernement ? – sur les activités de Cevital peut être un recours tactique face à l’opinion. La hausse des prix serait un résultat du quasi monopole. Aucune voix officielle n’est visiblement venue rassurer Issad Rebrab discrètement, sur le caractère « d’utilité publique », de la campagne qu’il doit essuyer à ses dépens. En marge de sa conférence de presse samedi dernier, il confiait à une consœur d’un média public qu’avec ces mesures en faveur des importations du sucre blanc, « ils veulent nous faire mettre la clé sous le paillasson dans l’industrie du raffinage ». La ruade est donc sérieuse. Elle laisse entendre que le poids économique pris par Issad Rebrab, disconvient sans doute au clan présidentiel, mais ne satisfait pas pour autant l’autre courant d’influence, plus pérenne, lié au bras politique de l’armée. Et cela en dépit de toute les précautions de l’homme d’affaires qui ne rate jamais une occasion pour rappeler sa discipline patriotique : « je ne serais jamais contre mon gouvernement ».

Tenu à la réserve dans l’affaire Djezzy

Signe des nouvelles appréhensions des cercles de décisions vis-à-vis de l’influence en affaires du patron de Cevital, il a été explicitement invité à rester en réserve dans l’affaire Djezzy. Le groupe de Rebrab a un pied dans l’actionnariat d’OTA (Orascom Telecom Algérie) avec 3,19 %. Il aurait pu – et peut encore – être un recours pour syndiquer une algérianisation progressive du capital d’OTA sans passer par la case ruineuse du droit de préemption et de l’arbitrage international vers lequel est entrain de conduire le gouvernement. Mais ses ambitions – légitimes – dans ce domaine ont beau rester contenues pour ne pas gêner son gouvernement, elles l’entrainent sur des terrains risqués. Le confrère Le Midi libre croit ainsi savoir que le patron de Cevital a entamé une approche avec Orange pour prospecter un éventuel partenaire technologique dans le nouveau tour de table de Djezzy, où il serait amené à monter en capital pour palier une partie du retrait des actifs de Sawiris-VimpelCom. Du temps, il y’a dix ans, de la compagne de Vladimir Poutine contre les oligarques qui contrôlaient l’économie russe à la fin de l’ère Eltsine, les attaques du Kremlin commençaient souvent ainsi par une mise en porte à faux d’un encombrant roi de l’acier ou de l’aluminium vis-à-vis de l’opinion. Dans le cas du communiqué de Mustapha Benbada qui demande à Cevital d’augmenter ses prix, c’est un peu raté. Il reste à voir si Issad Rebrab a l’ambition d’un oligarque et s’il fait vraiment peur – et à qui ? – au sein du pouvoir algérien.