Procès Khalifa Bank : Des prêts bancaires en milliards de centimes sans aucune pièce comptable

Procès Khalifa Bank : Des prêts bancaires en milliards de centimes sans aucune pièce comptable

par Tahar Mansour, Le Quotidien d’Oran, 14 mai 2015

Le tribunal criminel de Blida, sous la présidence de M. Antar Menouar, a continué hier l’audition des accusés dans l’affaire Khalifa Bank, pour le huitième jour qui a vu la comparution, en premier, de M. Amghar Mohamed-Arezki, ex-directeur de la filiale KRC de location de voitures appartenant au groupe Khalifa. Le président du tribunal a tout fait pour comprendre comment un ancien cadre de la BNA à la retraite, avec trente années d’expérience, peut-il contracter un prêt de 1,5 milliard de centimes sans aucune pièce comptable ni justificatif. Les réponses aux questions du juge sont, là aussi, entourées de flou et noyées dans des détails sans aucune importance, juste pour essayer de ne pas répondre clairement à la question. Ce prêt -et non crédit bancaire comme a tenu à préciser l’accusé- n’a même pas été remboursé et, en réponse à une question du juge, il affirma : «j’attendais seulement que la banque me fixe un échéancier pour commencer les remboursements». Il déclara aussi qu’il avait eu l’accord verbal de Khalifa Abdelmoumène et il passa à la caisse pour retirer l’argent qui fut mis au compte de la société qu’il dirigeait. Quand le juge lui parla d’un autre prêt de 450 millions, il affirma : «mais je l’ai remboursé, monsieur le juge». «Comment l’avez-vous remboursé ?» demande le juge. «C’est lorsque j’ai obtenu le prêt de 1,5 milliard que j’ai remboursé les 450 millions de centimes et j’ai acheté un appartement à la rue Khelifa Boukhalfa à Alger pour 900 millions de centimes». Revenant à KRC de location de voitures, Amghar déclara qu’il a laissé une société en bonne santé financière avec un avoir de 2 milliards de centimes mais le juge lui rappela que c’est le contraire qui apparaît dans le rapport du liquidateur de cette filiale, M. Omar Tigmounine : «là il est dit clairement que la société était en faillite et 40 voitures n’ont même pas été retrouvées» a-t-il tenu à préciser. Le procureur général demande la parole pour rappeler au tribunal que 10 autres voitures engagées pour l’année de l’Algérie en France n’ont pas non plus été retrouvées.

UN AUTRE PRET DE 250 MILLIONS DE CENTIMES SANS AUCUN DOCUMENT

Noureddine Dahmani, qui a occupé le poste de directeur du personnel navigant de Khalifa Airways, fut ensuite appelé à la barre pour répondre des accusations portées contre lui concernant le prêt de 250 millions de centimes obtenu auprès de Khalifa Bank sans aucun justificatif ni document comptable, comme le prévoit la loi sur la monnaie et le crédit. L’accusé explique qu’il avait rencontré le PDG du groupe dans un avion et il lui a demandé s’il pouvait obtenir un prêt de 250 millions de centimes. Il reçut un accord verbal et il rédigea une demande de prêt qui lui fut accordé sans autre démarche. Questionné sur des avantages accordés à des personnalités publiques en matière de recrutement de leurs fils et de leurs filles, Dahmani déclare qu’il était très strict sur le recrutement car il n’acceptait pas de personnel n’ayant pas de qualifications.

DE FAUSSES INFORMATIONS ET DISSIMULATION DE DOCUMENTS

Mimi Lakhdar était commissaire aux comptes de Khalifa Bank entre 1998 et 2000 et est accusé d’avoir dissimulé des informations et donné de fausses informations aux enquêteurs. Il expliqua avoir démissionné de la banque car cette dernière était dans l’incapacité d’arrêter les comptes aux dates requises par la loi en vigueur : «Khalifa Bank a accusé un retard de 18 mois pour la présentation du budget 1999/2000 et j’ai établi un rapport que j’ai envoyé à la DG de Khalifa Bank ainsi qu’à la Banque d’Algérie» a-t-il déclaré. Le président lui rappela qu’il aurait dû attirer l’attention du procureur en l’informant des infractions commises par la banque. Il déclara qu’il n’a fait qu’appliquer les articles 168 et 173 relatifs aux infractions bancaires «qui m’obligent à aviser la banque d’Algérie et Khalifa Bank.»

PLUS DE 80 000 CLIENTS DE KHALIFA BANK, SOIT REMBOURSES, SOIT INDEMNISES

Ainsi, le liquidateur de Khalifa Bank, Me Moncef Badsi, a déclaré devant le tribunal criminel de Blida que l’indemnisation, plafonnée à 60 millions de centimes par la loi, a été versée à plus de 76 000 clients de Khalifa Bank. En outre, plus de 6 000 clients faisant partie des gros déposants ont vu leurs situations apurées par le liquidateur. Un montant de 7,6 milliards de dinars a été réservé pour le remboursement des plus de 106 000 clients de Khalifa Bank dont il ne reste que 30 000 non remboursés à ce jour, étant de petits épargnants qui seront remboursés par la suite. Concernant l’apurement des créances des gros déposants dans les comptes bancaires, Me Badsi précise que 5 000 sur les plus de 11 000 gros déposants ont été réglés (10 % de la somme déposée). Dans le même contexte, Me Badsi rappelle qu’il ne pourra pas rembourser la totalité des déposants et autres créanciers car ne disposant pas de la somme nécessaire qui s’élève à 76 milliards de dinars : «nous ne disposons actuellement que de 6 milliards de dinars». Le liquidateur a précisé aussi qu’il a éliminé 2 623 demandes de règlement pour non-conformité ou vice de forme. Enfin, Me Badsi a affirmé de nouveau que les caisses de Khalifa Bank étaient vides lors de sa fermeture, même si Khalifa Abdelmoumène déclare qu’il avait laissé 97 milliards de dinars.


Procès Khalifa

Une huitième journée de «routine»

De notre envoyé spécial, Mehdi Mehenni, Le Soir d’Algérie, 14 mai 2015

A la huitième journée du procès Khalifa, l’audition des accusés a porté particulièrement sur les crédits contractés d’une manière illégale, et qui seraient, en partie, à l’origine du trou financier de 2,3 milliards de dinars découvert en 2003, à la caisse principale de Chéraga. En interrogeant un prévenu, détenu, le procureur général a révélé pour la première fois que le préjudice financier a été finalement porté à 77 milliards de dinars ! Il précise que c’est le liquidateur de la banque qui est parvenu à l’établir en 2007.
Mohand Amghar Arezki, ex-DG de Khalifa Rent Car (KRC), était le premier à passer à la barre, hier, au tribunal criminel près la cour de Blida.
Après trente ans de service à la BNA, il prend sa retraite pour rejoindre Khalifa Banque en 1998. Il débute avec un salaire de 80 000 DA avant de le voir évoluer à 100 000 DA, une fois installé à la tête de la direction générale de l’administration. En novembre 2000, il est nommé DG de KRC, à peine après sa création. Son salaire passe à 150 000 DA. Le juge entreprend de l’interroger sur la disparition de 40 voitures qui auraient été mises à la disposition de responsables d’OPGI et autres entreprises nationales. Aussi sur les 10 voitures de luxe qui devaient servir pour l’année de l’Algérie en France en 2001. Pour les 40 voitures offertes à des DG et P-dg du secteur public, Mohand Amghar Arezki n’en a pas idée. S’agissant des 10 autres voitures, il finira par lâcher, après insistance du juge, qu’elles ont été mises à la disposition d’organisateurs de la fameuse année de l’Algérie en France. Un évènement, rappelle le juge, qui n’a pourtant jamais eu lieu. L’accusé est très évasif et répond aux questions du président de l’audience approximativement. Le juge, visiblement contrarié, tente, dans un premier temps, de se retenir. Il lui demande qui était en charge de l’achat des voitures de KRC. Mohand Amghar Arezki dit que ce sont les actionnaires. Le juge lui rappelle qu’en 2007, il avait cité Badreddine Chachoua, directeur technique et chargé de la communication au groupe Khalifa. L’accusé nie. Le juge commence à s’impatienter. Il se penche sur les crédits que le prévenu a contractés. En août 2002, Mohand Amghar Arezki a signé un chèque pour lui-même de 1,5 milliard de centimes, relevé des fonds de KRC. Il dit avoir eu l’accord verbal de Moumène Khalifa. Le juge lui indique que ce n’était pas la procédure légale. L’accusé s’embrouille et reste toujours évasif. Il explique, néanmoins, que cet argent lui a servi à l’achat d’un appartement de six pièces à Alger-Centre, plus précisément au quartier Khlifa-Boukhalfa. Le procureur général prend la relève et fait rappeler à Mohand Amghar Arezki qu’il avait aussi obtenu un crédit de 450 millions de centimes, en 1999, auprès de la banque Khalifa.
Le parquet vient de le coincer, puisqu’il révèle que l’appartement et les travaux d’aménagement lui ont coûté un milliard de centimes, et que le reste a été dépensé dans le remboursement de l’ancienne dette. «Vous reconnaissez donc avoir obtenu un deuxième crédit sans avoir remboursé le premier», lance le procureur général, l’air plutôt satisfait d’avoir finalement obtenu un aveu. Et comme pour l’enfoncer davantage, il lui rappelle que lorsque le liquidateur était intervenu en 2003, il avait revendu l’appartement pour en acheter un autre sur les hauteurs d’Alger, au quartier Saïd-Hamdine. Mohand Amghar Arezki ne voulait pas qu’on lui confisque son appartement, et le parquet lui fait rappeler qu’il avait dit au liquidateur à l’époque, que les 1,5 milliard de centimes étaient une donation de Moumène Khalifa et non pas un crédit. L’accusé nie.
Le juge reprend son interrogatoire et lui demande si Moumène Khalifa avait un bureau. Il répond qu’il n’en avait pas. Le juge trouve cela improbable et insiste. «Il n’avait pas de bureau parce qu’il se déplaçait beaucoup. Partout, c’était son bureau…», tente-il de convaincre. Le juge pique une colère noire : «C’est la première fois depuis le début du procès qu’un accusé me fatigue autant. Vous ne cessez de contourner les questions… Vous ne comprenez pas ce que je vous dis… Dans quelle langue voulez-vous que je vous parle… ? en arabe, en français, peut-être en chinois ?»
Le sévère rappel à l’ordre du juge ne semble pas trop faire changer d’attitude à Mohand Amghar Arezki. Il explique que du fait qu’il a vécu son enfance en France, il ne maîtrisait pas trop la langue arabe.
Il est à signaler que Moumène Khalifa comptait beaucoup sur le témoignage de Mohand Amghar Arezki. Depuis le début du procès, les deux prévenus, détenus, échangeaient beaucoup sur le banc des accusés.
M. M.


Procès de l’affaire Khalifa : Octroi de donations faramineuses sans dossier ni contrat

Selma Kasmi, Maghreb Emergent, 14 mai 2015

Les auditions des accusés dans le procès de l’affaire Khalifa se sont poursuivies mercredi au tribunal criminel près la Cour de Blida. Les prêts accordés par Khalifa Bank qui s’apparentent à des donations de Abdelmoumene Khalifa ainsi que les états financiers de la banque étaient au centre des auditions.

Amghar Mohamed Amokrane, condamné à trois ans fermes en 2007 pour constitution d’association de malfaiteurs, escroqueries et abus de confiance, gérait administrativement toutes les agences de Khalifa Rent Cars (KRC), se trouvant à Alger, Oran et Annaba. Cet ancien employé de la Banque Nationale d’Algérie (BNA), a demandé au début de l’année 2000, un prêt bancaire de 450 millions de centimes, puis 1,5 milliards auprès de la banque du groupe. M. Amghar explique au juge que c’est Abdelmoumene Khalifa qui lui a donné l’autorisation de retirer cette somme qui correspond en réalité à un prêt bancaire et non pas un crédit. Le juge Antar Menouar lui précise que cette opération a été réalisée sans documents officiels pouvant la prouver. « Le crédit s’octroie aux clients contre une assurance. Moi, je suis employé de la banque et j’ai droit à un prêt bancaire », répond l’accusé. Et d’expliquer que ce prêt a été demandé verbalement. « Le PDG du groupe l’a accepté, et m’a dirigé vers l’agence de Chéraga pour le retirer. Je ai remboursé la totalité du prêt dès l’arrivée du liquidateur de la banque M. Badsi Moncef », a-t-il précisé.

Ces déclarations poussent les magistrats du Tribunal à penser que ce « prêt » est une donation de Abdelmoumene Khalifa, qui est loin d’être la première du genre. Le président du tribunal pénal de Blida lui demande où sont passés les cinquantaines de voitures et les fonds colossaux débloqués en préparation de l’année de l’Algérie en France qui n’a finalement pas eu lieu. M Amghar répond n’avoir aucune information sur le sujet. Les donations présumées qu’aurait versées Abdelmoumene Khalifa de la caisse principale de la banque à ses collaborateurs, ont constitué le sujet principal de l’audition de Dahmani Nourredine, ancien responsable de la Direction des Hôtesses et des Stewards à Khalifa Airways. Poursuivi pour escroquerie, abus de confiance et constitution d’association de malfaiteurs, cet ancien cadre d’Air Algérie a lui aussi bénéficié d’un prêt de 250 millions de centime contracté auprès de l’agence bancaire Khalifa d’El Harrach, « sans constitution de dossier, ni de contrat de prêt ». Il dit qu’il en a remboursé 80 millions de centimes en 2003, après le retrait de l’agrément de la banque et qu’il continue à les payer jusqu’à aujourd’hui. Avec beaucoup d’amertume, il reconnait qu’il était difficile pour le personnel naviguant de Khalifa Airways de trouver un emploi car ils sont devenus « des pestiférés », dans le marché du travail.

Le seuil de risque de 20% dépassé 16 fois

Le commissaire aux comptes auprès de de Khalifa Bank, M. Mim Lakhdar, est appelé à la barre. Confirmant l’existence d’une désorganisation totale au niveau de toutes les directions du groupe Khalifa, il évoque des retards dans l’établissement des budgets annuels et des états financiers des années 1998, 1999 et 2000, allant jusqu’à 23 mois. Le juge Antar Menouar lui demande pourquoi il n’a pas signalé cette anomalie. M. Mim dit qu’il pensait que c’était conjoncturel, vu que la banque venait de lancer, expliquant que la situation s’est d’ailleurs rétablie vers 2001. Le juge le relance sur les dépassements du seuil des risques dans le capital arrêté à 20% par le règlement. L’accusé explique que ce seuil de risque a été dépassé 16 fois entre 1998 et 2000. Après le renflouement du capital en 2001, le taux du risque a considérablement baissé, a-t-il ajouté.

Toutefois, conformément à la réglementation en vigueur, le commissaire aux comptes est tenu de signaler les anomalies constatées dans les états financiers au procureur de la République ainsi que ce dépassement du seuil de 20% à la commission bancaire, laquelle doit informer impérativement la Banque d’Algérie. Mim Lakhdar affirme avoir porté à la connaissance de la commission bancaire l’état du budget de la banque Khalifa. S’agissant de la saisine du procureur de la République, M. Mim, dit qu’après l’établissement de l’état des lieux avec le président du Tribunal de Chéraga, il pensait que ce dernier allait informer le Procureur, et qu’il n’avait pas besoin de le faire lui-même. « J’ai été convoqué par le président du tribunal de Chéraga et j’ai tiré au clair tout l’état financier de la banque Khalifa. Pour moi, il est évident qu’un président du tribunal informe son procureur général, étant donné qu’ils appartiennent à la même instance juridique et qu’ils travaillent dans le même endroit. Je ne m’attendais jamais à être jugé un jour pour ce manque de communication entre les deux magistrats », s’est-il expliqué.


Procès EL Khalifa Bank : 40 voitures de KRC disparues, des donations sous forme de prêt…

El Watan, 14 mai 2015

Les auditions des accusés se sont poursuivies, hier, au tribunal criminel près la cour de Blida, concernant l’ancien directeur général de KRC, Amghar Mohand Ameziane Ali, et les commissaires aux comptes d’El Khalifa Bank, qui ont levé le voile sur la disparition de 40 voitures et sur les pratiques d’une banque loin de respecter les règles et les ratio prudentiels en accordant des crédits dépassant largement les 20% de ses fonds propres et des comptes d’ordre, avec des écritures entre sièges non débouclées.

Amghar Mohand Ameziane Ali est un ancien cadre dirigeant de la BNA qui cumule 30 années d’expérience. A peine avait-il pris sa retraite, en 1998, qu’il rejoint Khalifa Bank par l’intermédiaire de Ghazi Kebbache, oncle de Abdelmoumen Khalifa, mais aussi de Kaci Ali, premier PDG de Khalifa Bank, qu’il a connu en tant qu’ancien collègue de la BNA.

Il a été recruté avec un salaire de 80 000 DA, au poste de directeur général de l’administration, puis promu vice-président de l’administration, conseiller chargé du développement avant d’être nommé, en novembre 2000, à la tête de la Sarl Khalifa Rent Car (KRC), une filiale créée par El Khalifa Bank (50%) et Khalifa Airways (50%). D’emblée, il nie toute relation entre KRC Algérie et KRC France qui est, comme le précise le juge, une filière de KRC Algérie. «Je sais qu’elle était gérée par un certain Brandéla, mais nous n’avions pas de contact», ne cesse-t-il de répéter.

Le juge lui rappelle les propos qu’il avait tenus lors de l’instruction, selon lesquels cette filiale était gérée par Kassa Sami Jacques Soualmi (le directeur d’El Harrach) et Chachoua Amine. L’accusé nie tout en bloc. Durant des heures, il se montre évasif, répétitif au point de s’emmêler les pinceaux et de susciter la colère du juge qui a du mal à suivre son raisonnement. Il l’interroge sur la personne qui achetait les véhicules pour le compte de KRC, et Amghar répond : «Je n’ai pas compris.»

Le juge : «Je vous parle en arabe. Qui achetait les voitures à KRC ?» «Moi je recevais les voitures, les contrôlais et je les comptabilisais…», dit-il avant d’être interrompu par le président : «Vous aviez déclaré que c’était Badreddine Chachoua.» L’accusé, désarçonné, cherche une réponse qu’il ne trouve pas. Le juge lui demande s’il avait contracté un crédit et l’accusé affirme qu’il avait effectivement bénéficié de 1,5 million de dinars, précisant qu’il ne «s’agit pas d’un crédit, mais d’un prêt social».

Le juge : «Comment l’avez-vous obtenu ?» L’accusé : «J’habitais dans un F2, un logement de fonction de la BNA, sur la placette de Hydra, que j’ai acquis dans le cadre de la cession des biens. J’étais à l’étroit. Je voulais un plus grand appartement. Lorsque j’ai rencontré Abdelmoumen Khalifa, je lui ai dit que j’avais besoin d’un prêt pour acquérir un logement. Il a accepté, à condition, m’a-t-il précisé, que la somme ne dépasse pas les 15 millions de dinars. Je lui ai remis la demande, sur laquelle il a écrit ‘accordé’ et a signé dessous. J’ai été au bureau et j’ai demandé au comptable d’Airways de m’établir un chèque de 15 millions de dinars, que j’ai encaissé.»

Le juge : «Pourquoi n’avoir pas demandé directement à Khalifa Bank ?» L’accusé : «J’avais le droit de faire des opérations. C’est réglementaire.» Le juge lui demande s’il a déposé un dossier pour ce prêt et l’accusé répond : «Non.» Pour justifier cette opération, dit-il, «tout à fait légale, le comptable a devant lui un débit et un chèque à mon nom». Le président insiste et l’accusé reste évasif au point d’irriter le juge. «Abdelmoumen vous a donné un accord verbal et vous allez à la comptabilité encaisser le montant.

En tant qu’ancien banquier, estimez-vous cette opération légale ?» L’accusé : «Je travaillais. J’étais gérant de KRC. A la fin de l’année, j’ai établi les bilans où ce prêt était signalé avec les justificatifs.» Le juge : «Avez-vous remboursé le montant ?» L’accusé encore une fois va chercher très loin sa réponse pour dire à la fin : «Où est le problème, si je suis signataire et ordonnateur ? J’ai un salaire de 150 000 DA, c’est la garantie pour le remboursement. J’attendais un échéancier du groupe, parce que moi, en tant que responsable de KRC, je ne pouvais pas le faire. Et en 2003, il y a eu ce qu’il y a eu.»

Le juge lui demande s’il avait fait sa demande de prêt par écrit et l’accusé répond : «Non, verbalement.» Le magistrat, visiblement fatigué d’entendre l’accusé dire n’avoir rien compris à la question, lui lance : «Qu’avez-vous fait de ce montant ?» Amghar répond : «J’ai acheté un F6 rue Khelifa Boukhalfa pour 9 millions de dinars, que j’ai rénové pour un million de dinars.» Le juge lui fait remarquer qu’il n’a rien remboursé jusqu’en 2003, lorsque le liquidateur l’a convoqué. «Je lui ai remis les bilans et le procès-verbal de l’assemblée générale des actionnaires, où l’accord de ce prêt avait été donné», dit-il. Et le magistrat précise : «Vous avez encaissé le chèque bien avant cette réunion. Ce n’est pas un prêt, mais un cadeau.»

«Je suis gérant, j’ai le droit d’être ordonnateur et bénéficiaire»

L’accusé ne cesse de répéter qu’il attendait que le groupe lui établisse un échéancier de remboursement. Il explique qu’en 2005, il a revendu l’appartement acheté et remboursé 11 millions de dinars au liquidateur. «Quant aux 4 millions de dinars restants, nous ne nous sommes pas entendus. Il m’a donné trois ans pour terminer le remboursement.» Le juge : «Avez-vous eu un autre prêt ?» D’une petite voix, il déclare : «Oui, en 1999, d’un montant de 3 millions de dinars…» Le magistrat précise : «Non, 4,5 millions de dinars.» Et l’accusé réplique : «Si on compte les intérêts…» Ce prêt lui avait été accordé par Khalifa Bank pour acheter un logement auprès de l’OPGI de Bir Mourad Raïs, révèle Amghar. «Ce logement n’était pas prêt. J’avais l’intention de le vendre après pour rembourser le crédit…»

Le juge : «Vous n’aviez pas remboursé le premier et vous en preniez un autre…» Mal à l’aise, Amghar murmure : «Pour moi, c’était légal.» Le juge demande à l’accusé où se trouvait le bureau de Abdelmoumen Khalifa. «Il n’avait pas de bureau. Tous les bureaux se trouvant au niveau des filiales lui appartenaient», dit-il, suscitant des rires dans la salle. «Comment un PDG d’un groupe aussi important n’a pas de bureau ?» lance le juge.

Amghar persiste dans sa réponse. Le magistrat comprend la réaction d’Amghar : «Vous voulez jouer au malin avec le tribunal. Vous me dites que Abdelmoumen n’avait pas de bureau pour éviter que je vous parle de la secrétaire Nadjia Aiouaz, parce que lui-même a dit qu’elle n’était pas sa secrétaire.» L’accusé : «Nadjia Aiouaz m’a été présentée par Abdelmoumen, lorsque j’étais directeur général de l’administration. Il m’a dit qu’elle était à la BDl et qu’elle avait besoin de travailler. Elle était là-bas comme secrétaire et quand je suis parti, elle y est restée. Elle a été ma secrétaire puis celle de Nanouche, de Ghazi et de Alloui.

Elle recevait les communications, prenait les rendez-vous et quand Abdelmoumen avait besoin d’un numéro ou d’un café, il faisait appel à elle. Il était rarement là-bas. Il n’avait pas de bureau.» Le juge : «Au siège du groupe, Abdelmoumen n’avait pas de bureau ?» L’accusé : «Ahhh, au siège ? Bien sûr qu’il a un bureau et un secrétariat et quand on appelait, c’était Aiouaz qui répondait.» Il jure que sa filiale était rentable et avait dans ses comptes 20 millions de dinars.

Maître Meziane, avocat de Khalifa Bank, demande à l’accusé ce qu’il a remis comme document pour justifier le retrait du montant et Amghar éclate : «Il ne s’agit pas d’une opération commerciale, mais interne. C’est juste un prêt. La pièce comptable est créée par le comptable qui précise que M. Amghar a obtenu un prêt personnel.» Il lui demande pourquoi avoir pris la somme de 15 millions de dinars. L’accusé répond : «Pour rembourser le premier prêt et acheter un logement.»

L’avocat lui demande aussi s’il sait que KRC a été liquidée en laissant une ardoise de plusieurs milliards de dinars. L’accusé, médusé, déclare : «Je ne sais pas.» Le procureur général demande à Amghar quel poste il occupait à la BNA. Et l’accusé de répondre : «Directeur du contrôle du crédit et de recouvrement des créances», précisant : «Il y a une différence entre crédit et prêt.» Le procureur général lui rappelle la lettre qu’il a écrite au liquidateur, lui disant que le montant de 1,5 million de dinars était «une donation du PDG».

L’accusé est déstabilisé, il perd la voix. Le procureur poursuit son interrogatoire ; il revient à la société KR, et demande à l’accusé combien de véhicules ont été remis à des dirigeants de sociétés publiques ayant fait des placements à Khalifa Bank. Amghar rétorque : «Je ne sais pas.» Mais le magistrat signale que 10 véhicules de KRC ont été affectés dans le cadre de «L’Année de l’Algérie en France» et ont disparus.

L’accusé lâche timidement : «Je ne sais pas …» Le magistrat : «Des gens ont pris les véhicules pour le projet de l’année en Algérie, et ils sont partis sans rien faire…» L’accusé : «Moi j’ai facturé.» Le procureur général : «L’association Radieuse a pris aussi des véhicules…» L’accusé : «S’ils les ont volés, c’est avec des factures.» Le procureur général : «Sur ordre du PDG, 40 véhicules de KRC ont disparu dans la nature… La C5 n’a-t-elle pas été donnée à un dirigeant d’une société publique qui avait fait des placements ?» L’accusé : «Ces voitures sont sorties avec des noms de personnes et non de sociétés.»
Salima Tlemçani

 

Procès EL Khalifa Bank : Crédits et prêts sociaux sans dossier ni document

Steward à Air Algérie durant 20 ans, devenu chef de cabine et responsable de l’équipage à bord, Noureddine Dahmani a démissionné en 1999 pour rejoindre Khalifa Airways afin d’«améliorer sa situation sociale». Il est embauché en tant que responsable du recrutement du personnel navigant commercial (PNC), pour un salaire de 100 000 DA, après être passé par plusieurs postes. Le juge lui demande les noms des cadres dirigeants du groupe Khalifa. Dahmani répond : «Je ne les connais pas tous, mais j’en ai rencontré certains, à l’occasion d’un voyage.» Il cite : «Nanouche, Mir Ahmed, Chikhaoui Ryad dont j’ai fait la connaissance sur le vol de Séoul pour un forum des hommes d’affaires».

Le juge : «Est-ce que Chikhaoui et Baichi sont ces responsables qui intervenaient pour faire recruter les enfants des dirigeants des entreprises qui plaçaient leur argent à la banque Khalifa ?» L’accusé : «Durant les périodes de recrutement, il y a un monde fou. On dirait une fête. Tout le monde vient pour tenter de faire recruter un proche. C’est humain. Mais nous avions des critères qu’il fallait remplir pour être retenu. Cette rigueur m’a valu beaucoup de problèmes parce que je refusais catégoriquement les personnes imposées.»

Sur sa relation avec Aziz Djamel, directeur de l’agence d’El Harrach d’El Khalifa Bank, l’accusé déclare : «Je l’ai connu lorsque j’ai déposé ma demande de crédit. J’ai vu le PDG, Moumen Khalifa, et je lui ai demandé un prêt. Je lui ai dit que j’en avais besoin en raison des problèmes que je vivais.» Le président : «Quels problèmes ?» Dahmani : «J’avais commencé à construire avec mes frères, à côté de la maison familiale. J’étais l’aîné et donc responsable de la fratrie. Ils m’ont fait une procuration et la CNEP m’a accordé un crédit de 1 300 000 DA en 1991.

J’ai commencé les travaux, mais j’avais du mal à rembourser. Pendant 14 ans, je vivais dans une seule pièce avec mes enfants et je n’avais que mon salaire pour rembourser. C’est pour cela que j’ai été voir Abdelmoumen. Il a accepté et signé ma demande sur place, en mettant la mention ‘accordé’.» Le président lui demande s’il a apposé son cachet et l’accusé infirme, précisant que la demande de crédit n’avait pas été faite à son bureau mais à bord de l’avion, lors de son retour de Dubaï.

Quelques jours après, Dahmani s’est présenté à l’agence El Harrach, vers laquelle Abdelmoumen l’avait orienté, muni de sa demande qu’il a remise à Aziz Djamel, le directeur qu’il dit ne pas connaître. Le juge : «A-t-il vérifié la signature de Moumen ?» L’accusé : «Lorsque le directeur m’a dit ‘reviens dans deux jours’, cela voulait dire qu’il a dû contacter et vérifier auprès de Moumen. Quand je suis revenu, il m’a demandé d’ouvrir un compte à l’agence parce que tous les employés d’Airways avaient leur compte à Rouiba. Puis il m’a demandé de revenir dans une semaine. Je lui ai demandé comment faire pour la procédure. Il m’a répondu qu’il allait s’en charger.» Le juge s’étonne : «Ne vous a-t-il pas demandé de dossier ?»

L’accusé tente d’être plus explicite et affirme que les prêts sociaux existent dans toutes les sociétés, citant le cas d’Air Algérie où lui-même en avait obtenu un. «Le chef d’agence avait ramené ma demande où il était bien mentionné ‘prêt social’. Si c’était un crédit, je ne l’aurais pas fait, car il me restait 1,8 million de dinars à rembourser», souligne-t-il. Dahmani se souvient être revenu une semaine après avoir ouvert le compte et la somme de 2,5 millions de dinars était déjà versée. «J’ai soldé la situation avec la CNEP et, avec le reste, j’ai effectué une partie des travaux de la maison familiale, pour pouvoir emménager.»

Le juge : «Comment avez-vous remboursé ?» L’accusé : «Je n’ai pas remboursé, parce que personne ne savait que la société allait s’arrêter d’un coup. Pour moi, lorsque le directeur de l’agence, Aziz Djamel, m’avait dit qu’il allait s’occuper de la procédure, j’ai compris qu’il allait faire une ponction sur salaire.» Le juge : «Pour moi, ce n’est pas un crédit à partir du moment où il n’y a ni dossier ni garantie. La preuve, vous n’avez pas remboursé jusqu’à ce que le liquidateur vous convoque…» L’accusé persiste à déclarer qu’il attendait que la société entame la procédure de ponction sur son salaire : «Je n’ai rien pris dans un sachet. C’est un prêt légal…»

Le juge : «C’est l’argent des déposants. La manière avec laquelle il vous a été remis ressemble à une donation.» L’accusé : «Je n’ai pas été à la banque pour demander un crédit, mais c’est à mon PDG que j’ai demandé un prêt social.» Le juge : «N’auriez-vous pas pu l’avoir au niveau de Khalifa Airways ?» L’accusé : «Pour moi, c’est le groupe. Il n’y a pas de différence. Lorsque Khalifa Aiways s’est arrêté, nous sommes devenus des pestiférés. Je ne peux rien faire d’autre que l’aéronautique. A Air Algérie, j’avais démissionné et je ne pouvais pas y revenir. Je suis resté quatre ans au chômage. Je n’ai pu trouver qu’un poste de démarcheur dans une société étrangère, durant deux ans, pour 30 000 DA. La société a été mise en liquidation et, encore une fois, je me suis retrouvé au chômage. Deux ans encore sans travail, avant que je ne prenne ma retraire anticipée…»

Dahmani affirme qu’il continue à rembourser ce prêt au liquidateur d’El Khalifa Bank. Et de préciser : «Jamais je n’aurais pensé que le groupe allait s’arrêter brutalement. J’attendais la décision de ponction sur mon salaire. A quel titre Moumen me ferait-il une donation ?» Le juge : «Pourquoi voir Abdelmoumen pour un prêt social et non pas le responsable de Khalifa Airways ?» L’accusé : «J’étais dans une situation telle que si on m’avait dit d’aller le récupérer de Tamanrasset, je l’aurais fait, pour éviter l’éclatement de ma famille…» Le juge : «Personne ne conteste le fait, mais pourquoi ne pas l’avoir fait dans les règles et ne pas avoir remboursé à ce jour ?» L’accusé : «Je n’en avais pas les moyens. Il n’y avait que mon salaire avec lequel je comptais rembourser.

Mais la société s’est arrêtée. J’ai écrit au PDG du groupe. Si l’argent qui m’a été affecté est sorti d’une autre société que Khalifa Airways, ce n’est pas mon problème…» Le juge : «Est-ce que les travailleurs de Khalifa Airways ont obtenu des prêts de l’agence El Harrach ?» L’accusé : «Je ne sais pas. Je jure que je suis de bonne foi.» Le procureur général : «Combien de responsables sont passés à la tête d’Airways ?» L’accusé : «Chakib Belaili l’ancien PDG d’Air Algérie, puis Kebbach Ghazi, Tayebi Sakina et Nanouche.» «Durant cette période, il y avait deux DG à la tête de Khalifa…» L’accusé : «C’est vrai. Il y avait Nanouche et Mme Tayebi. Moi je travaillais avec Mme Tayebi qui était directrice générale de l’exploitation.»

Le procureur général : «C’est une donation et aujourd’hui, vous parlez de prêt social, comme Amghar…» L’accusé : «C’est un prêt social, je n’ai pas dit donation.» Le magistrat : «Dans le dossier, nous avons de nombreux stewards recrutés par Khalifa Airways sans niveau, juste parce qu’ils sont les enfants de dirigeants d’entreprises ayant placé leur argent à Khalifa Bank.» Dahmani nie catégoriquement et le procureur général revient à la charge : «J’ai ici des pilotes qui avaient le niveau de terminale…» L’accusé réplique : «Ce sont les aptitudes qui priment sur le niveau. Il y a eu des commandants de bord avec le certificat d’études durant les années qui ont suivi l’indépendance.» L’accusé précise qu’il n’avait pas les prérogatives de recrutement des pilotes ni des stewards.

Salima Tlemçani