Nabil Djemaâ: «La Banque d’Algérie n’a pas tiré les leçons de l’affaire Khalifa»

Nabil Djemaâ. Expert en finances et banques

«La Banque d’Algérie n’a pas tiré les leçons de l’affaire Khalifa»

El Watan, 15 avril 2013

Nabil Djemaâ est un expert judiciaire en opérations financières et bancaires, agréé par le ministère de la Justice. Possédant une riche expérience bancaire de 25 ans, il a exercé la fonction de responsable du commerce extérieur à la BDL pendant plusieurs années,
et ce, avant de participer à la création de deux banques étrangères en Algérie (Housing Bank et groupe Crédit agricole). En tant qu’expert en opérations financières et bancaires, il dénonce l’absence de contrôle qui doit être assuré par la Banque d’Algérie afin d’éviter les scandales. Pour lui, l’affaire Khalifa est le résultat d’une flagrante défaillance de l’ex-Banque Centrale. Une défaillance
qui existe, selon lui, à ce jour.

-Vous accusez ouvertement la Banque d’Algérie d’être la source de tous les scandales financiers en Algérie, pourquoi ?

La Banque d’Algérie, appelée auparavant Banque Centrale, demeure ostensiblement passive par rapport à tout ce qui se passe comme graves dépassements dans les banques en Algérie. Pas d’audit, pas de contrôle de la vraie destination de l’argent octroyé souvent à des pseudo-investisseurs, pas de suivi du taux de recouvrement…Il ne faut pas oublier que l’ex-BCA est la banque des banques. Mais elle n’assume pas son rôle d’autorité et de contrôle. Résultat : les détournements d’argent sont légion dans le pays.

Sans les grosses sommes d’argent injectées par le Trésor public dans les banques publiques, ces dernières auraient été fermées depuis belle lurette. Rien que pour l’exemple, une institution internationale a dit une fois que les banques algériennes ont coulé 69 fois depuis leur création jusqu’aux années 2000. C’est grave ! Un constat qui en dit long sur la gestion de nos banques, puisque celles-ci ne fonctionnent pas selon une logique financière et commerciale. Elles sont caractérisées par une flagrante défaillance et on essaye de camoufler les défauts avec l’argent provenant de la rente pétrolière. On peut facilement s’attendre à une multitude de scandales, du moment que le chef d’orchestre se fait absent.

Personnellement, je préconise qu’il y ait un fichier national où seraient mentionnés les noms de tous ceux qui ont contracté de grosses sommes auprès des banques. La Banque d’Algérie doit les suivre. Elle doit veiller à instaurer un climat de transparence dans toute transaction bancaire. Puis, on a parlé pourtant du système de notation des banques en 2013. Où est cette notation qui devait être assurée par la Banque d’Algérie ? Et pourtant cela a été annoncé en grande pompe en 2012. Pourquoi ce silence ? Le recours à cette notation fait-il finalement peur ? Je pense qu’une notation exige beaucoup de transparence mais finalement personne ne veut s’aventurer…

-Et pourtant on parle de réforme…?

La réforme bancaire reste juste un slogan malheureusement. Il y a quelques mois, le chef du gouvernement a appelé à faciliter l’ouverture des comptes bancaires dans le cadre de ce qu’il appelle une réforme. Je trouve cela humiliant pour le citoyen. L’ouverture d’un compte reste un droit universel et il ne faut pas attendre qu’un chef du gouvernement intervienne pour appeler à faciliter cette procédure. C’est grave ! Un chef du gouvernement doit s’occuper d’une vraie réforme.

La réglementation bancaire algérienne doit carrément changer pour être en harmonie avec le contexte financier actuel. Certaines lois sont dépassées, notamment la loi sur la monnaie et le crédit, puisque les textes concernant la domiciliation datent de 1958. Une réforme, c’est aussi un contrat de performance, l’introduction des nouvelles technologies pour une meilleure transparence, la généralisation de l’utilisation du réseau mondial Swift qui assure la non-répudiation des échanges et où aucun tiers ne peut nier avoir effectué une quelconque transaction.

Il y a aussi le placement des responsables qu’il faut à la place qu’il faut. Vu la médiocrité des services de nos banques publiques, je ne cesse de me demander à qui profite le blocage et sur quelle base nomme-t-on les PDG de ces banques et les membres du fameux Conseil de la monnaie et du crédit. Une chose est sûre, ils sont placés sur la base de plusieurs critères, sauf ceux liés à la compétence. Cela se passe au moment où et la Banque d’Algérie et les politiques ferment les yeux.…

-Les autorités ont-elles tiré la leçon dix ans après l’éclatement du scandale Khalifa ?

Je pense que rien n’a changé depuis. Les scandales bancaires en Algérie, franchement ce n’est pas ça qui manque. Toutes les banques, surtout publiques, en sont touchées au quotidien. A la BNA, comme à la Badr ou à la BDL, les détournements d’argent sont légion. Mais on ne fait rien, en contrepartie, pour éviter ce phénomène inquiétant et ô combien préjudiciable pour l’économie nationale.
Le système bancaire algérien reste défaillant et surtout manquant de traçabilité. Comment voulez-vous que ça change alors que ce sont toujours des personnes incompétentes qui managent les banques publiques.

Le scandale Khalifa Bank est le résultat de la défaillance du système de contrôle au niveau de la Banque d’Algérie, qui reste archaïque à ce jour. Comment expliquer le fait que la BDL ait déposé 70% de son capital, soit 4,7 milliards de dinars, à Khalifa Bank, alors que celle-ci était en liquidation ? Aussi, Khalifa Abdelmoumen avait une dette envers la BDL de l’ordre de 15 milliards de centimes lorsqu’il était importateur de médicaments, alors qu’il a pu avoir l’agrément pour ouvrir sa propre banque sans pour autant régler ses dettes. De graves défaillances qui peuvent surgir maintenant puisque rien n’a changé dans le système bancaire algérien dix ans après l’éclatement du scandale Khalifa.

Mohamed Benzerga