Si mon client est coupable, alors Sidi Saïd l’est aussi !

L’avocat de l’ex-DG de la CNAS à la barre :

Si mon client est coupable, alors Sidi Saïd l’est aussi !

par Sihem H. et Nassima O., Le Jeune Indépendant, 1 mars 2007

L’avocat de M. Abdelmadjid Benacer, ex-directeur général de la CNAS, poursuivi pour trafic d’influence et corruption et pour qui le procureur a requis une peine de cinq ans d’emprisonnement accompagnée d’une privation de ses droits civiques, est paru à l’aise, lors de sa plaidoirie, hier, au 41e jour du procès.

Me Dchicha Farouk, qui plaide également pour trois autres accusés de la Mutuelle des travailleurs des postes et télécommunications pour le même délit, a tout simplement utilisé la carte de l’aveu d’Abdelmadjid Sidi Saïd. L’avocat n’a même pas fait l’effort de chercher ses mots ou de faire un exposé introductif.

Il a dit à l’adresse de la présidente : «Pourquoi mon client est-il ici et pourquoi est-il poursuivi alors qu’il n’avait aucun pouvoir de décision ? Sidi Saïd s’est présenté devant vous en qualité de témoin et a reconnu l’irrégularité de toutes les démarches effectuées pour le dépôt à Khalifa Bank.

Que fait alors mon client ici, devant vous, Madame la présidente ? Pourquoi est-il devant la chambre correctionnelle ? Je ne comprends pas. Laissez-le partir !» Il enchaîna ensuite en rappelant les propos tenus par le patron de l’UGTA lors de son passage à la barre en tant que témoin.

M. Sidi Saïd avait en effet déclaré : «Le PV de la réunion du conseil d’administration autorisant le dépôt n’était pas le vrai […] Je suis aujourd’hui devant vous, j’assume, et faites maintenant ce qui doit être fait.» Pour l’avocat, son client n’est nullement responsable et le vrai coupable n’a même pas été poursuivi ! Il laisse entendre ensuite que si Sidi Saïd est en liberté, son client doit l’être obligatoirement ! «Mon client est poursuivi pour trafic d’influence mais, Madame la présidente, il faut qu’il possède une grande influence du même niveau que celle de Sidi Saïd, président du conseil d’administration, pour être poursuivi pour ce délit», ajouta-t-il.

M. Sidi Saïd, qui avait répondu aux questions du tribunal lors de son passage en sa qualité de témoin, a clairement reconnu que le document qu’il avait signé n’était pas le vrai et a également reconnu l’irrégularité de toutes les démarches effectuées dans ce sens.

«M. Benacer est simplement un bouc émissaire ! C’est grâce à lui que la CNAS a connu ses belles années. De plus, depuis 1988, la Caisse est devenue un établissement public à caractère spécifique bénéficiant par la suite de l’autonomie financière», ajouta l’avocat.

Me Dchicha est passé ensuite à la deuxième carte, celle de la responsabilité du Trésor public qui n’a pas réagi après les retraits des milliards de la Caisse qui ont été placés à Khalifa Bank. «C’est donc au Trésor et à l’Etat, défaillants, qu’incombe la responsabilité et non à mon client», plaida-t-il.

L’avocat a fait savoir que son client a tout simplement, d’un point de vue commercial, choisi la banque qui offrait le meilleur taux d’intérêt. Me Dchicha a conclu en demandant la relaxe de tous ses clients et a ajouté avoir un regret par rapport aux droits bafoués de l’ex-directeur de la CNAS.

Ensuite vint le tour de Me Benacria qui plaida le cas de Teli Safi, l’ancien directeur général de l’Agence de développement social (ADS), poursuivi pour trafic d’influence et corruption. L’avocat expliqua que les 20 micro-ordinateurs offerts par Khalifa Bank étaient au compte de l’ADS, avant de s’interroger sur les raisons qui ont fait que seul son client est poursuivi pour possession de la carte de thalassothérapie, alors que la liste comporte plusieurs noms.

Deux autres avocats plaidant pour Amour Saïd de l’ENDIMED et Boukarma Hakim ex-chef de la sécurité à Khalifa Bank ont pris la parole. Le premier avocat, Me Belkacem, demanda la relaxe pour son client, insistant sur l’urgence de restituer le passeport de son client, poursuivi pour corruption.

Il a expliqué que le responsable n’a jamais demandé de carte de gratuité, encore moins d’autres cadeaux. Il a rappelé au tribunal que son client, poursuivi pour trafic d’influence, s’est opposé au conseil d’administration qui voulait déposer l’argent de l’entreprise à la banque Khalifa.

Mon client n’est ni un escroc ni un corrompu, a conclu Me Belkacem. Lui succédant, Me Mebni Saïd a, lui aussi, plaidé la relaxe de celui qui était le chef de la sécurité de Khalifa et pour qui le procureur avait requis une peine de 18 mois de prison ferme assortis d’une amende de 10 000 dinars.

Il a tenté de tirer son client d’affaire en affirmant que ce dernier n’avait aucune intention de garder le véhicule de service, objet des poursuites. Le véhicule était simplement gardé par mon client en attendant de le rendre au liquidateur.

Il n’avait l’intention ni de le garder ni de le vendre, plaida-t-il. Me Farouk Ksentini entra en action pour plaider la cause des responsables de la Mutuelle des PTT, les accusés Zammoum, Barbar, Tchoulak et Issli, pour qui le procureur a requis entre 4 et 3 ans de prison assortis d’une privation de leurs droits civiques.

Me Farouk Ksentini a commencé sa plaidoirie en faisant l’éloge du tribunal dont la composante n’a «rien à envier à celle des pays les plus développés». L’avocat s’est attelé ensuite à détruire les arguments de l’accusation. Pour lui, il n’y a aucune trace de corruption dans les «actes de gestion accomplis par les responsables de la Mutuelle en question».

Argumentant ses propos, Me Ksentini a expliqué que «le placement de l’argent dans Khalifa Bank ne constitue nullement un délit en soit puisque les responsables ont, non seulement obtenu l’accord du conseil d’administration, mais démontré que le dépôt a pour objectif unique la fructification de leur argent».

D’autant plus que «le règlement intérieur de la Mutuelle encourage clairement les responsables à faire fructifier l’excédent de caisse qu’ils pourraient enregistrer en le plaçant dans des établissements financiers qui offrent les meilleurs taux d’intérêt».

Khelifa avait acquis la confiance de tout le monde et sa banque offrait des taux d’intérêt très élevés. L’attrait du grain est légitime et, dans ce cas précis, il est justifié. On ne pouvait pas deviner ce qui se tramait dans la tête du golden boy qui avait à l’époque une solide réputation.

N’oublions pas qu’il a été décoré par les plus hautes instances du pays, affirma-t-il. Pour ce qui est de la voiture obtenue par la Mutuelle, en contrepartie des dépôts, Me Ksentini a précisé là encore qu’une Mutuelle a parfaitement le droit de «recevoir et de solliciter les dons».

Maintenant, s’il y avait eu effectivement trace de corruption, il aurait fallu ester en justice «la personne morale, c’est-à-dire la Mutuelle, et non les personnes physiques». Avant de clore sa plaidoirie, l’avocat, qui a, quelques minutes auparavant, commis un lapsus en demandant la «relaxation» au lieu de la «relaxe», a pris de court l’assistance en plaidant auprès du jury les circonstances atténuantes pour ses clients qui seront peut-être condamnés.

Tout en apportant les preuves de l’innocence de ses mandants, Me Ksentini a demandé au tribunal d’ajouter une question subsidiaire. Juger ses clients sous l’article 40 de la nouvelle loi sur la corruption qui prévoit une peine de 6 mois à 2 ans pour punir des responsables coupables d’avoir obtenu des cadeaux.

Pourtant, la présidente avait clairement précisé avant la clôture des débats que les questions subsidiaires ne seraient plus acceptées, après le passage au volet des plaidoiries de la partie civile. De son côté, Me El Agoun Saïd, avocat d’Aich Rachid, ancien directeur des finances de la CNAC, poursuivi pour corruption et abus de pouvoir, et contre qui le procureur a requis 5 ans de prison ferme, a expliqué au tribunal que les différents caractères du délit retenu contre son client sont loin d’être réunis.

Aich Rahid, en déposant l‘argent à Khalifa Bank, n’a fait qu’«obéir à la décision du conseil d’administration qui a décidé de placer l’argent de la Caisse dans cette banque pour profiter des gains.» S. H. et N. O.